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droit d'employer tous les moyens qui lui paraîtront convenables pour ramener le calme et la paix, et dans ce cas les ministres ne sont responsables que de l'exécution des ordres du roi.

» Tel est le moyen que je veux proposer en France. Je sais bien qu'on me dira que c'est s'exposer au risque de donner trop de force au pouvoir exécutif : je ne répondrai à cette objection qu'en interrogeant la bonne foi de l'Assemblée ; je demanderai si elle ne croit pas que la bonté du roi, que l'opinion générale, que les forces citoyennes ne puissent et ne doivent faire évanouir ces alarmes, surtout lorsqu'on voudra bien observer que ce pouvoir ne sera accordé au roi que pour un temps limité, pour un temps court. Non, messieurs, la constitution n'a plus rien à craindre que de nous-mêmes; il n'y a que l'exagération des principes, il n'y a que la ligue de la folie et de la mauvaise foi qui puisse y porter quelque atteinte. Hâtons-nous d'affermir le grand eeuvre de la liberté! Que les ennemis de la constitution, qui, n'en doutez pas, sont les instigateurs des désordres, soient forcés à perdre l'espérance de détruire notre ouvrage!

- » Je me résume, et j'ai l'honneur de vous proposer de charger le roi de prendre les mesures qu'il croira les plus propres à assurer la tranquillité publique. Je vous propose enfin d'investir le roi, pour trois mois seulement, de toute la plénitude de la puissance exécutive.

» Le reste de la loi qui vous a été proposée par votre comité me paraît parfaitement bon; mais je répète que la loi / dans son ensemble ne suffit point pour les circonstances malheureuses dans lesquelles nous nous trouvons. >>

M. le comte de Mirabeau.

« Je ferai observer à M. de Cazalès qu'il est hors de la question; car en effet il discute celle de savoir si l'on accordera ou si l'on n'accordera point au roi la dictature, si la France a besoin ou n'a pas besoin de dictature.

» Si l'Assemblée consent à ce que cette question soit à Fordre du jour, je demanderai la parole.

M. de Cazalès.

« On n'est point hors de la question quand on traite le fond de la question. Je désire fort que M. le comte de Mirabeau ait la parole sur cet objet. »

M. l'abbé Maury prétend que M. de Cazalès a le droit de parler comme il le fait, et que nul n'a celui de l'in

terrompre.

M. le comte de Mirabeau.

« J'ai prétendu, non pas que le préopinant fût hors de ses droits, j'ai dit seulement qu'il était hors de la question. Je répète que M. de Cazalès a proposé d'établir la dictature en France je l'invite à en faire une motion spéciale, et de nouveau je prends l'engagement d'y répondre. »

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M. Duval d'Espréménil.

« Il est échappé à l'attention de M. de Mirabeau de confondre une seule émeute, un seul attroupement avec un esprit général d'insurrection. Je commencerai par établir les faits; c'est toujours la méthode de ceux qui veulent aller de bonne foi à une détermination utile. Encore une fois, il ne s'agit point d'un attroupement passager; nous n'aurions besoin que de la loi martiale; il s'agit d'un esprit de révolte et de sédition répandu généralement dans tout le royaume, et je défie qu'on me cite dans la loi martiale un seul article qui puisse parer à ce mal universel. Pour y parer il faut donc nous armer de toute la force qui est dans nos mains, et si cette force est insuffisante il faut en chercher une autre ailleurs. M. de Mirabeau vous a dit que M. de Cazalès était hors de la question, et non pas hors de ses droits; cette distinction est si subtile, que j'avoue l'impuissance où je suis de la concevoir. Quel est l'objet qui nous occupe? L'insurrection générale, l'esprit de brigandage dans plusieurs provinces, la dévastation des propriétés, la sollicitude du roi, le mémoire du roi sur tous ces objets.

» Le roi s'est plaint de ce que les officiers municipaux n'avaient pas le courage ou la volonté de recourir à la loi

martiale. Il faut donc nous armer contre les malheurs décrits dans le mémoire du roi; il faut chercher les moyens de faire cesser ces malheurs. Nous avons donné à notre comité de constitution le droit de nous présenter ses vues sur tous ces objets; mais nous ne l'avons pas investi de la dictature des propositions : chaque membre de cette Assemblée a le droit d'imaginer et de présenter le remède. Maintenant le moyen proposé par M. de Cazalès est-il le seul bon? Je le crois.

» Il faut imposer aux brigands par une grande terreur : les Anglais ont recours à ces moyens violens, et l'on ne soupçonnera pas les Anglais de ne pas chérir la liberté civile. Ils ont pensé que le bill de mutinerie n'était pas suffisant: moi je pense que la loi martiale est insuffisante; je dis plus, la loi martiale est dangereuse; elle est inutile : les craintes des officiers municipaux sont un obstacle à l'exécution de cette loi. Quel moyen prendrons-nous donc? Un seul, et c'est le seul raisonnable; il faut investir le roi de la plénitude du pouvoir réprimant; il faut laisser aux provinces victimes des insurrections le droit de fixer le terme de ce pouvoir.

» Voilà mon opinion; je désire qu'elle soit discutée. »

M. Malouet.

<< Messieurs, je ne vous propose point, comme les derniers préopinans, de conférer au roi la dictature, mais bien d'établir le pouvoir exécutif sur sa véritable base, qui est dans une monarchie l'autorité royale. Il n'en est point fait mention ni dans le premier ni dans le second projet de décret qui vient de vous être lu; ainsi, avant d'en discuter les détails, qu'une lecture rapide ne me permet pas de bien saisir, j'en examinerai les principes; car c'est des principes de cette loi que dépend absolument la forme de gouverne-. ment sous laquelle nous allons vivre. La constitution, par cette loi, sera ou cessera d'être monarchique. Le pouvoir exécutif va être mis en dedans ou en dehors de sa sphère d'activité. Lors donc que des circonstances graves nous pressent de toute part, lorsque le poids des événemens va se placer sur nos têtes, et nous livre incessamment au juge

ment de la génération présente et de la postérité, quelles que soient les opinions dominantes, les inquiétudes, les passions ou les préventions qui nous environnent, chacun de nous doit déployer ici sa conscience et ses efforts, pour établir des principes qui survivent à l'agitation et aux intérêts du moment.

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» Le projet de loi qu'on vous propose est provoqué par des désordres précédés de tant d'autres excès, que nous avons tous eu le temps et l'obligation de nous occuper des remèdes ils doivent sans doute se trouver dans la constitution, et les dispositions insuffisantes que vous avez déjà décrétées n'excluent point celles qui vous restent à adopter pour rétablir l'ordre et en assurer la stabilité, pour mettre en harmonie la loi et ses moyens, qui sont tous les ressorts du pouvoir exécutif.

» Le second décret proposé remplit-il complètement cette fin? Je ne le crois pas, et, sans en rejeter les articles, je vais essayer de vous démontrer ce qu'il est indispensable d'y ajouter.

>> Comment doit se mouvoir, et jusqu'où peut s'étendre, dans un grand empire, le pouvoir exécutif? Comment le concilier avec la liberté? Comment servira-t-il à sa défense et point à sa destruction? Voilà le problème politique que nous avons à résoudre.

» Je n'en trouve la solution dans aucun des deux projets. » Je vois bien ce qui est prescrit, en cas de sédition ou de violence, aux officiers municipaux, aux chefs militaires d'une ville ou d'un bourg; mais, hors de l'enceinte des municipalités, je ne vois point de direction supérieure qui rallie, contienne, ordonne toutes ces forces et ces volontés éparses. Il semble que le décret ne considère qu'une ville, fasse abstraction de toutes les autres et des campagnes; il semble que les désordres dans un grand royaume ne puissent s'y déployer que partiellement et dans une juste proportion avec les forces locales. Si les officiers municipaux ou la milice ne font pas leur devoir, le projet de loi dit bien qu'ils sont responsables; mais en attendant qu'ils soient punis et que l'ordre se rétablisse, la loi se tait, et je ne trouve point la

place ni la fonction de l'ordonnateur suprême du pouvoir exécutif. C'est cependant ce qu'il faut nettement exprimer, et voici le moment de le dire. Ce n'est point en jetant un voile sur le trône que nous en serons protégés; et si son influence n'a une activité protectrice, ou elle s'effacera tout à fait et réduira la royauté à un vain simulacre, ou les premiers mécontentemens du peuple rappelleront le despotisme soùs des formes nouvelles.

» J'observerai d'abord que c'est une erreur aujourd'hui familière que de donner le même nom à l'autorité royale et au pouvoir exécutif; l'une représente l'empire et la souveraineté, l'autre en est l'instrument.

» Tout ce qui est nécessaire à la sûreté, à la protection de tous, à l'exécution inviolable des lois, compose le pouvoir exécutif distribué en plusieurs magistratures dans les républiques.

» La réunion de toutes ces forces sous la direction d'un seul distingue le gouvernement monarchique.

» Le pouvoir d'empêcher l'emploi illégal de ces forces appartient à une nation libre, exerçant par ses représentans l'autorité législative.

» Ainsi la liberté nationale ne consiste pas à atténuer ou à transposer le pouvoir exécutif, sans l'unité duquel elle ne peut exister ou se maintenir, mais à prévenir sa direction arbitraire; ce qui est éminemment le droit et le devoir du corps législatif.

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Or, lorsqu'une nation a investi ses représentans de ce droit, elle ne peut plus le perdre qu'en renonçant à la volonté de le conserver.

» Et lorsque la responsabilité des agens du pouvoir exécutif est devenue une loi constitutionnelle, leurs écarts peuvent être des délits plus ou moins graves; mais ils ne pourraient devenir des conquêtes sur la liberté que par la faute du pouvoir législatif, qui est toujours en état de prononcer que la loi est violée et la peine encourue.

>> Cette surveillance active des représentans de la nation est l'unique contre-poids légal et efficace de la force publique et de la puissance qui la dirige. Que tout autre corps

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