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douleur, et cette indignation permise aux lois mêmes, contre les excès qui lui sont dénoncés aujourd'hui : mais ces excès n'ont pas cessé ; ils se multiplient au contraire, au grand regret des amis de la liberté, qui y voient un danger pour elle; des amis de la justice et de l'humanité, qui comptent les infortunes particulières; des amis du peuple, dont le repos est troublé et Ja subsistance journalière compromise. Qu'il me soit permis de défendre ce peuple, et contre ceux qui l'inculpent, et même contre plusieurs de ceux qui le justifient.

» Le peuple veut avant tout la liberté; mais il veut aussi la justice et la paix; il les attend non seulement de la conclusion de nos travaux, mais aussi de nos décrets provisoires; il les attend du zèle des officiers civils et municipaux, qui, s'ils préfèrent à leur devoir la popularité, en deviennent indignes; il les attend aussi de l'énergie du pouvoir exécutif, qu'il ne faut plus chercher sous des ruines, mais là où il est, dans la constitution; c'est par elle et pour elle qu'il doit agir avec vigueur pour rétablir l'ordre public, sans lequel la liberté n'est jamais ni douce ni assurée.

M. Emmery a fait sentir combien l'objet soumis à notre discussion est important; mais avec son importance il faut considérer son urgence encore. Je conclus avec lui qu'il faut que le comité de constitution présente un projet de décret, et j'ajoute aussi avec lui qu'il doit le présenter dès demain. >>

Ce discours du guerrier orateur dont le nom seul inspire le respect des droits du peuple et l'amour de la liberté, fut applaudi avec transport : l'Assemblée adopta la motion de M. Emmery. Le 18 M. Chapellier, au nom du comité de constitution, donna lecture du projet de loi demandé, et le samedi 20 février 1790 M. Barnave ouvrit ainsi la discussion sur ce projet :

M. Barnave.

« Le comité de constitution s'est proposé, messieurs, dans le projet de loi qu'il vous présente, de découvrir les moyens de maintenir la tranquillité publique. A-t-il rempli cet objet? c'est ce que je ne pense pas. Je laisse à d'autres le soin d'ana

liser ce projet, et d'examiner ses défauts de détail; je considère cette loi sous un seul point de vue. Est-elle propre à ramener la tranquillité publique, ou bien a-t-elle une tendance directement opposée au but que ses rédacteurs se sont proposé? Dans ma manière de voir elle est propre à faire naître l'anarchie, et voici comment je raisonne. Le comité accorde aux officiers de justice, comme aux officiers municipaux, le droit de requérir le secours des troupes rien ne me semble plus vicieux, car si la liberté publique exige que les pouvoirs ne soient pas concentrés dans une même main, la même liberté exige que des puissances homogènes ne soient point réparties dans des mains différentes. Vous reconnaissez ce principe, et la loi proposée s'en écarte essentiellement. Eh! n'est-ce pas s'en écarter en effet que de remettre entre les mains des officiers de justice le pouvoir de requérir la force armée? L'officier de justice ne peut recourir à la force armée que pour protéger l'exécution de ses jugemens : dans les cas de troubles il n'a pas jugé, et là où s'arrêtent les fonctions du juge, là aussi s'arrête le droit que lui accorde la loi de requérir le secours des troupes; s'il va plus loin, il empiète sur le pouvoir municipal. La nouvelle constitution vient d'établir de nouvelles municipalités, et comme on doit présumer que les nouveaux officiers municipaux seront attachés aux nouveaux principes, on peut craindre que les officiers de justice qui ne sont pas établis dans le nouvel ordre sont encore attachés à l'ancien état. Accorder aux uns et aux autres la disposition du même pouvoir, c'est mettre la même force entre les mains de deux puissances rivales. Vous concevez aisément les dangers qui peuvent résulter de cette rivalité. Je conclus de ces observations que les officiers de justice ne peuvent pas, dans les cas de troubles, avoir le droit de requérir la force armée.

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>> Je passe à un second objet. Selon votre comité, dans le cas où les officiers municipaux refuseraient de requérir la force armée, quatre notables peuvent faire cette réquisition. Mais a-t-on bien réfléchi aux conséquences de cet article? Dans les momens d'attroupemens ou de troubles le conseil municipal s'assemblera; il sera composé des officiers munici

paux et des notables; s'il résulte de la délibération qu'il ne faut pas requérir la force armée, et que quatre notables, demandant cette réquisition, soient autorisés à la faire euxmêmes, assurément c'est accorder à la minorité l'empire sur la majorité : les dangers de cet empire sont faciles à concevoir. Si au contraire les notables se soumettent à la délibération du conseil municipal, votre comité autorise, à leur défaut, huit citoyens éligibles à requérir la force armée. Il suffit de réfléchir un instant à cette proposition pour la rejeter immédiatement. Une assemblée peut être nombreuse sans être criminelle; huit citoyens peuvent, par des intérêts particuliers, désapprouver les motifs de cette assemblée, et de là deux inconvéniens. Si la force armée requise par les huit citoyens éligibles obéit à cette réquisition, pensez-vous que l'attroupement soit disposé à se dissiper? Si, aux termes du projet de loi, les officiers municipaux ordonnent aux troupes de se retirer et que les troupes n'obéissent pas, l'autorité municipale est compromise, et ce refus fait couler des torrens de sang.

» est donc évident que la loi qui vous est proposée pour assurer la paix peut occasionner le désordre; il est donc évident qu'elle affaiblit les moyens confiés à la municipalité au lieu de les fortifier. Le comité ne s'est point attaché, comme il l'aurait dû, à la responsabilité des officiers municipaux. Il prononce deux peines vagues et insuffisantes : les officiers municipaux qui n'arrêteront pas les troubles par les moyens qui leur sont confiés en seront quittes pour la perte de leur emploi et l'interdiction de toute fonction d'administration publique.

» Il est un seul cas où les notables et les citoyens peuvent requérir la force publique; c'est celui où les officiers municipaux seraient environnés dans l'Hôtel-de-Ville et privés de leur liberté; alors les officiers municipaux se trouvent dans l'impossibilité physique d'user des moyens qui sont à leur disposition, et cette impossibilité ne peut donner lieu à aucune peine.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'aller plus loin; ces seules observations me semblent prouver assez combien

est insuffisante et dangereuse la loi proposée, et je conclus à ce que votre comité soit invité à s'occuper de nouveau de cet objet.

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M. Chapellier prit la parole après M. Barnave, non pour défendre le projet attaqué, mais pour en lire un autre, qu'il avait également fait approuver par le comité de constitution, dont il était membre. Ce second projet, ayant obtenu la priorité, devint aussitôt l'objet de la dis

cussion.

M. de la Fayette.

<< Les troubles excités dans les provinces ont alarmé votre patriotisme, votre justice, votre humanité. Je comptais parler sur le projet de loi qui vous a été proposé; mais le comité de constitution en présente un autre; plusieurs modifications ont été proposées; je me contenterai de dire que la révolution étant faite, il ne s'agit plus que d'établir la constitution. Pour la révolution il a fallu des désordres, car l'ordre ancien n'était que servitude, et dans ce cas l'insurrection est le plus saint des devoirs; mais pour la constitution il faut que l'ordre nouveau s'affermisse, que le calme renaisse, que les lois soient respectées, que les personnes soient en sûreté; il faut faire aimer la constitution nouvelle, il faut que la puissance publique prenne de la force et de l'énergie.

» J'attends la discussion de lundi, en espérant qu'elle sera la dernière, car le mal est pressant; et je crois que tous les membres qui ont fait des projets doivent les publier, ou les faire connaître au comité de constitution.

» Je ferai observer en outre que l'une des dispositions les plus propres à ramener le calme est un prompt rapport de la décision du comité féodal, notamment sur les articles qui annullent toute transaction formée. »

M. de Cazales (1).

« Il faut protéger, assurer les propriétés et la vie des citoyens : si la société négligeait ou était impuissante à rem

(1) Une impatiente inquiétude s'empara des esprits aussitôt que

plir ce devoir sacré, les hommes se trouveraient bientôt ramenés à leur état primitif'; il n'y aurait plus de patrie.

>>

Depuis six mois un grand nombre de citoyens a été altaqué; les propriétés ont été violées; elles le sont aujourd'hui; elles le seront peut-être encore. Pensez-vous que les propriétaires puissent le supporter plus longtemps? Non, sans doute; ils s'armeront pour leur défense, et de là la guerre la plus destructive de toutes les sociétés civiles, la guerre de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont quelque chose. Sans doute il est instant de parer à tous ces maux, et le projet de loi qui vient de vous être présenté par votre comité est peut-être propre à défendre les villes; mais il est sans force pour la sûreté des campagnes; en général même je ne pense pas que l'effet qu'il peut avoir soit assez prompt pour le moment dans lequel nous nous trouvons.

>> Profitons des exemples de nos voisins; voyons si la constitution anglaise ne nous offre pas des remèdes plus sûrs contre les insurrections et les émeutes; voyons quelle est la conduite de cette nation qui a le plus opposé de barrières au despotisme du trône, de cette nation qui a le mieux assuré la tranquillité civile.

» En Angleterre on a établi contre les séditieux le bill de mutinerie, qui, à très peu de chose près, est notre loi martiale. Mais quand les provinces sont ravagées, quand l'insurrection est générale, le corps législatif emploie de plus grands moyens; alors il a recours au pouvoir exécutif; il lui donne, par un acte parlementaire et pour un temps limité, le

M. de Cazalès parut à la tribune. En voici le motif: Trois jours auparavant, dans la séance du 17, M. de Cazalès avait encouru le mécontentement et la désapprobation de l'Assemblée en demandant le renouvellement de la législature; il prétendait que les membres actuels, aigris l'un contre l'autre, ne pouvaient plus délibérer avec sagesse, avec calme; que d'ailleurs l'Assemblée avait outrepassé ses pouvoirs, etc. Cette motion, faite dans le tumulte, et regardée comme un outrage, provoqua une scène d'exaltation et porta un grand nombre de députés à renouveler le serment de ne se séparer qu'après avoir donné une constitution à la France.

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