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confiance si légitimement due à cette Assemblée, si l'on a le projet absurde et criminel d'armer le fanatisme pour défendre les abus (plusieurs membres du côté droit interrompent par des murmures et par des cris); si jamais cette intention a pu être conçue, si elle a pu n'être pas aperçue, je la dénonce à la patrie! Je suis forcé de prophétiser à son anteur qu'elle n'aura pas le succès qu'il s'en promet. On veut détruire par le fanatisme l'ouvrage de la raison et de la justice; ces efforts coupables seront inutiles.

» Cette question est trop embarrassante... Elle ne le sera pas si vous reconnaissez à chacun de nous des sentimens profonds de religion. Nous ne pouvons opposer à cet objet sacré la question préalable, mais il faut ajourner... La religion catholique ne court aucun danger, pas plus que n'en a couru la royauté. Eh! quel instant pour rendre notre foi suspecte que celui où nous avons décrété (1) des actions de grâces à l'Être suprême! Ce n'est point par un décret injurieux à la religion elle-même qu'il nous faut déclarer nos sentimens pour elle; mais demain l'Assemblée nationale, en tombant au pied des autels, donnera à la France et à l'Europe entière une preuve frappante de son amour pour la religion que l'on prétend être en péril.

»

Ce discours improvisé de M. Charles de Lameth excita de si nombreux applaudissemens, qu'on s'aperçut à peine du tumulte dans lequel s'agitaient encore les partisans de la motion combattue, et sur laquelle on passa définitivement à l'ordre du jour. Le silence rétabli, M. Garat renouvela son vote ainsi qu'il suit :

« J'ai dû être surpris des soulèvemens qu'a occasionnés une partie de mon discours. Je soutiens de nouveau les sentimens que j'ai exprimés, et je me déclare aussi bon chrétien, catholique, apostolique que personne.... J'applaudis avec transport à la suppression des ordres religieux.

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(1) Il avait été décrété qu'un Te Deum serait chanté en mémoire de la séance du 4. (Voyez plus haut, Louis XVI à l'Assemblée nationale, page 9.) La cérémonie eut lieu en effet le 14

Un honorable membre, M. l'abbé de Montesquiou, commanda par sa présence l'union entre tous les membres ; il parut à la tribune, et des applaudissemens unanimes lui témoignèrent l'estime et la confiance qu'il inspirait à toute l'Assemblée.

M. l'abbé de Montesquiou.

<< Avant de traiter la question qui vous occupe j'oserai vous parler de la reconnaissance que m'inspirent les bontés dont vous m'honorez. La tâche que je me suis imposée est bien embarrassante; je sollicite votre indulgence, et je vous rappelle un axiome qui doit influer sur votre délibération : il faut rendre à César ce qui appartient à César, à Dieu ce qui appartient à Dieu.

» Examinons d'abord quel est le pouvoir de la société sur les ordres monastiques, quel est son pouvoir sur les vœux. Qu'est-ce que c'est qu'un vœu ? Le vœu n'est autre chose que les promesses d'un homme à l'Éternel et à sa conscience de vivre constamment dans l'ordre religieux qu'il a choisi. Jusque là il n'y a rien que de spirituel dans cet engagement sacré; mais dans les états catholiques la loi a cru devoir marcher à côté du vœu; elle a voulu que la société renonçât à l'homme qui renonçait à elle.

» Maintenant il existe des vœux pouvait-on, a-t-on dû faire des vœux? On a pu faire des voeux, puisque la loi reconnaissait et autorisait les vœux. Peut-on empêcher les vœux? Oui, sans doute, puisque la société peut ce qu'elle veut. La société peut-elle rompre les vœux déjà faits? Non, parce qu'ils ont été faits sous la sauvegarde de la loi. On ne peut pas rompre les vœux. Je dirai donc aux religieux : si vous voulez sortir, sortez; si vous ne le voulez pas, demeurez, car votre vœu est un contrat, et je n'ai pas le droit de rompre un contrat. La loi et le religieux, le religieux et la loi, voilà ce que nous devons respecter. Vous êtes hommes; tout ce qui est humain vous appartient: vous êtes hommes; tout ce qui est spirituel n'est pas de vous.

» Doit-on ouvrir les cloîtres dès à présent? Non; vous né pouvez les ouvrir qu'à ceux qui veulent en sortir; et ceux-là

mêmes qui voudront en sortir doivent se retirer par-devant les supérieurs ecclésiastiques, qui seuls et les premiers peuvent rompre les engagemens contractés avec l'Éternel. Ces principes vous ramènent à examiner quelles sont les propositions que vous devez décréter en ce moment.

Vous devez décréter que ceux qui voudront être libres obtiendront leur liberté, et recevront une pension convenable: vous devez indiquer des maisons commodes à ceux qui voudront être fidèles à leurs vœux.

» Il me reste à appeler votre attention, votre justice et votre clémence sur une portion monastique plus heureuse que riche, par cela même qu'elle est heureuse sans richesses; je veux dire les religieuses.

»Je n'ai reçu jusqu'ici que des lettres et des adresses de religieuses qui veulent rester dans leurs cloîtres. Vous ne pouvez ni ne devez les forcer à renoncer à leurs habitudes; car il ne faut pas oublier que les habitudes font le bonheur, et vous ne voulez pas faire des malheureux. Je demande donc que les religieuses soient exceptées de l'article de votre décret qui ordonnerala réunion de plusieurs maisons dans une seule. Gagneriez-, vous d'ailleurs beaucoup à vendre les établissemens des religieuses? Non, sans doute; car s'il en est de riches, il en est aussi de très - pauvres, et nous connaissons un grand nombre de maisons religieuses de femmes dans lesquelles on ne peut compter que sur environ 250 livres pour chaque individu. En vendant leurs propriétés, vous jetteriez, il est vrai, une plus grande partie d'effets dans le commerce; mais le trop grand nombre en ferait diminuer la valeur et le prix.

» Ces différentes réflexions me déterminent à vous proposer le décret suivant. » (Suivait le projet.)

L'Assemblée applaudit, et ferma la discussion, ouverte depuis trois jours. Un secrétaire donna lecture des divers projets présentés : celui de M. l'abbé de Montesquiou obtint la priorité; discuté article par article, il s'augmenta de quelques dispositions de celui de M. Barnave, de quelques amendemens de MM. Thouret et de Mirabeau, et forma enfin le décret du 13 février 1790, regardé comme un

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monument de la sagesse et des lumières de l'Assemblée nationale (1).

DU RÉTABLISSEMENT DE LA TRANQUILLITÉ PUBLIQUE,

DE LA DICTATURE ET DE LA LOI MARTIALE.

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DISCUSSION. Orateurs: MM. de La Fayette, Barnave, de Cazalès, de Mirabeau, d'Espréménil, Malouet, Robespierre, de Clermont-Tonnerre, Montlausier, etc.

Malgré les voies de conciliation et d'exhortation que l'Assemblée avait prises (Voyez ci-dessus, page 20); malgré son éloquente Adresse au peuple, si touchante et si vraie; en dépit enfin de la droiture de ses intentions, des bienfaisans résultats de ses travaux, la tranquillité publique ne s'était point rétablie; les ennemis du nouvel ordre de choses, devenus ceux de la patrie, de l'Assemblée et du roi, quoique dès cette époque ils se dissent les appuis, les défenseurs du trône, continuaient d'exciter le trouble dans les provinces, en égarant le peuple, en calomniant ses représentans, en stipendiant ces bandes de misérables pour qui la destruction, le ravage est l'unique source de fortune : les personnes étaient menacées, les propriétés violées, les perceptions, les paiemens arrêtés, enfin tous les pouvoirs étaient méconnus et sans force; et, ce qui démontre évidemment l'existence d'un plan de contre-révolution, c'est que les troubles avaient recommencé le même jour, et presque au même instant, dans les différentes provinces qui en étaient désolées.

Le roi, par son garde des sceaux, adressa le 16 février un mémoire à l'Assemblée, pour lui faire connaître l'état

(1) Voici le premier et principal article de ce décret :

« L'Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, » que la loi ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels de personnes de l'un ni de l'autre sexe; déclare en conséquence que les ordres et congrégations réguliers dans lesquels on fait de pareils » vœux sont et demeureront supprimés en France, sans qu'il puisse » en être établi de semblables à l'avenir. »

déplorable du royaume, et l'inviter à prendre à ce sujet le parti le plus convenable que lui suggérerait sa prudence. C'est alors qu'il s'éleva une discussion dans laquelle se heurtèrent les opinions les plus opposées, les moins philosophiques et les plus sages. Nous donnerons celles qui ont provoqué ou posé des principes dont l'application est de tous les temps.

Les récits touchans que renfermait le mémoire de M. le garde des sceaux avaient porté la douleur dans les åmes généreuses, l'exaspération dans certains esprits : beaucoup d'orateurs sollicitaient la parole; M. Emmery l'obtint le premier. Il rendit d'abord un hommage aux principes que professait l'Assemblée, et finit par demander que le comité de constitution soit chargé de présenter dès le lendemain un projet de décret qui puisse remédier au mal sans compromettre en rien la liberté du peuple et la sagesse de ses représentans. M. le marquis de Foucault, impatient de punir, ouvrit dans son discours un avis assez curieux, quoique digne de la défaveur avec laquelle il fut reçu :

<< De pareils maux, dit-il, sollicitent de prompts remèdes; il faut employer des troupes de cavalerie pour renforcer la maréchaussée; il faut réprimer avec violence les actions de violence, et placer ces troupes dans les villes, d'où elles entretiendraient des correspondances avec les campagnes. Cela vaudra mieux que des adresses qu'on ne comprend pas, et qu'on ne comprendra pas de sitôt; car je ne crois point à la prophétie qu'on a faite dans cette tribune, en assurant que dans dix ans tous les Français sauront lire; ce qui serait le plus grand des malheurs.... »

M. l'abbé Grégoire.

« Je ne crains pas qu'on se range à l'opinion du préopinant sur l'instruction du peuple; la vertu a sa place naturelle à côté des lumières et de la liberté. »

M. de la Fayette.

« L'objet proposé à l'Assemblée est aussi grave que pressant. Déjà plusieurs fois l'Assemblée nationale a témoigné sa

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