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mander, parce que personne ne voudra obéir; dans le siècle, les passions se développeront d'autant plus, qu'elles auront été plus longtemps réprimées. Quels moyens pour la régénération des mœurs! Vous manquez à la politique; votre devoir était de diminuer les dépenses, et vous les augmentez. Vous portez le désordre dans les familles : les lois de l'hérédité seront violées si les religieux rendus au monde sont privés de leurs droits héréditaires; les familles seront désolées si vous rendez ces droits aux religieux.

Que direz-vous aux provinces? Que diront les citoyens qui nous ont envoyés, lorsque vous serez de retour près d'eux? Devenus sur leurs foyers nos maîtres et nos juges, que leur répondrez-vous, quand ils verront les fondations de leurs pères dissipées, la religion ébranlée, les ministres et les autels dépouillés, les cloîtres profanés, les campagnes frappées de stérilité par la suppression de ces établissemens religieux qui leur donnaient la vie, enfin les biens de l'église mis à l'encan!....

» Le plan du comité n'avait point de bases. Ordonnez à ceux qui ont fait une étude particulière des propriétés ecclésiastiques de vous présenter des plans possibles.

» C'est assez de ruiner; sortons de ces débris amoncelés; évitons ces remèdes empyriques qui promettent la vie et qui donnent la mort. Il ne s'agit pas d'évacuer les cloîtres; mais de remplir le trésor royal. Bientôt arrivera peut-être la catastrophe de nos finances; n'en accusera-t-on pas la masse incohérente de nos travaux?

» Je demande que, conformément au décret du 2 novembre, il ne soit rien statué sur les biens du clergé sans avoir pris les instructions des provinces, et qu'on s'occupe sans relâche d'organiser un nouveau système de finances. »

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M. Garat l'aîné. (Séance du 13.)

Lorsque dans une Assemblée si éclairée on parle de questions qui présentent tant d'aspects et de rapports, il faut, aulant qu'on en est capable, les avoir approfondies dans tous leurs détails, mais il ne faut en présenter que les résultats.

» La religion gagnera-t-elle à la suppression des ordres religieux?

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Oui, car en sortant des cloîtres les religieux se dévoueront au service du culte : leur piété ne servait qu'à eux; elle servira à tout le monde.

» Les mœurs publiques y gagneront-elles?

» Convenons-en; leurs vertus restaient cachées à l'ombre de leurs autels solitaires, et leurs faiblesses, que la malignité faisait sortir de l'enceinte des cloîtres, étaient des sujets fréquens de scandale.

» L'éducation nationale y gagnera-t-elle ?

» Autrefois, je me plais à l'avouer, elle y eût beaucoup perdu; elle y gagnera beaucoup aujourd'hui. Il fallait autrefois élever les hommes à la soumission; il faut les élever aujourd'hui à la liberté. Le peu de lumières qu'il y avait autrefois parmi les hommes, il fallait le chercher dans l'obscurité des cloîtres; la lumière des esprits, plus abondante aujourd'hui, brille dans le vaste espace du monde ; il faut la puiser là où elle est répandue.

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L'indigence n'y perdra-t-elle pas des charités?

» Par orgueil ou par sensibilité, tout le monde aujour d'hui veut être ou paraître humain ; tout le monde recherche le bonheur où la gloire de la bienfaisance : j'en atteste ces dons patriotiques dont l'inépuisable source devient plus abondante chaque jour depuis qu'elle est ouverte ; j'en atteste ces nombreuses sociétés qui se forment de tous les côtés pour le soulagement de l'infortune, comme il s'en formait autrefois pour l'accroissement de la fortune des asso

ciés.

» D'ailleurs le sort des pauvres pourrait-il empirer lorsque celui d'une nation généreuse s'améliore!

» Les finances y gagneront-elles?

» C'est la dernière question qu'il faut faire, mais certaine ment c'est la plus facile à résoudre. M. l'évêque de Nancy a fait là-dessus des calculs effrayans; mais M. Dupont a fait d'autres calculs, et ceux-ci me rassurent.

» Les familles ne seront-elles pas effrayées de voir reparaître des membres sur lesquels elles ne comptaient plus!...

» Quand j'ai entendu faire cette question elle m'a fait frémir; mais s'il existait des familles assez coupables... faudrait-il nous occuper de leur cffroi ?

» Les droits de l'homme y gagneront-ils ?

» Des milliers d'hommes qui les avaient perdu ces droits les recouvreront, et la société recouvrera des milliers d'hommes: vous avez déclaré que tous les hommes sont nés et demeurent libres; déclarez-donc que les religieux ne sont pas des hommes, ou rendez-les libres aussi.

» Je jure que, méditant sur les institutions religieuses, je n'ai jamais pu concevoir qu'il fût plus permis à l'homme de se priver de la vie civile que de la vie naturelle.

» Je jure que je n'ai jamais pu concevoir que Dieu aimât à reprendre de l'homme les dons qu'il a faits à l'espèce humaine, et que ce fût un moyen de lui plaire que de lui sacrifier la liberté qu'on a reçue de lui.

» Je jure.... >>

MM. l'abbé Maury, l'évêque de Clermont, de Juigné, etc., crient au blasphème... M. Garat veut reprendre pour expliquer ses paroles; à peine a-t-il recommencé je jure, que M. de Fumel s'écrie que par ces mots l'orateur insulte l'Assemblée. Le tumulte est à son comble. Tandis qu'une partie de l'Assemblée demande à aller aux voix, d'un autre côté on veut que M. Garat soit rappelé à l'ordre. MM. l'abbé d'Aymar, de Bouville, de Juigné, Dufraisse, de Foucault, de Guilhermi et l'évêque de Nancy s'agitent avec force à la droite du président; dans le trouble on croit avoir entendu qu'ils ont fait une motion; alors tous les regards interrogent le président :

« Ces Messieurs, répond-il, demandent que l'Assemblée reconnaisse préalablement que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion nationale. »

A cette motion si peu attendue, et qu'on devait si peu attendre, l'étonnement est extrêine. M. l'évêque de Nancy s'accuse d'en être l'auteur :

» Il est, dit-il, des circonstances impérieuses... Pourquoi ai-je fait la notion de déclarer que la religion catho

lique est celle de l'État? c'est parce que tous nos cahiers nous obligent à demander avant tout cette déclaration. Lorsque la religion est à chaque instant outragée dans cette Assemblée, lorsqu'en ce moment même on vient de blasphêmer contre elle, on ne réclamerait pas, on laisserait dans le doute si elle est ou non la religion nationale! Un membre a été accusé d'avoir manqué à l'Assemblée par des expressions très-éqnivoques, et il a été censuré (1) : lorsqu'il sera question de la religion de nos pères, souffrirez-vous que des idées philosophiques fermentent dans cette Assemblée, et fassent éclipser cette religion? Non. Voilà les motifs de ma motion; je demande qu'elle soit mise en délibération sur-le-champ. »

» Sans doute, ajoute M. de Fumel; il n'y a plus de ménagemens à garder; il faut prendre un parti.

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Le président consulte l'Assemblée sur la question de savoir si une motion hors de l'ordre du jour peut être mise en délibération les partisans de la motion ne répondent que par des cris; mais d'autres orateurs abordent la question.

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M. Dupont de Nemours.

« Il n'y a personne dans cette Assemblée qui ne soit convaincu que la religion catholique est la religion nationale. Elle est la seule dont l'État paie les ministres, et puisque dans les réformes mêmes que l'on projette elle doit encore coûter quatre-vingts millions, il faut bien qu'elle soit la religion nationale. Ce serait offenser la religion, ce serait porter atteinte aux sentimens qui animent l'Assemblée, que de douter de cette vérité. On ne doit mettre en délibération que ce qui est douteux; il ne faut donc pas délibérer sur la motion de M. l'évêque de Nancy.

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M. Roederer.

« M. l'évêque de Nancy, en interrompant la délibération, pourrait faire croire que la religion périclite au milieu de nous, et que nous hésitons dans nos respects pour elle. C'est quali

(1) Voyez au livre FINANCES, censure de l'abbé Maury.

fier sans rigueur cette motion que de l'appeler injurieuse, et ce serait agir en citoyen infidèle que de ne pas relever cette injure. >>

M. de Cazalès.

<< Il n'est pas au pouvoir de l'Assemblée nationale de chan

ger la religion.... Il n'était pas en son pouvoir de ne pas reconnaître que le gouvernement de la France est monarchique, et cependant vous l'avez décrété : où serait l'impossibilité ou l'inconvénient de faire pour la religion ce qu'on a fait pour le gouvernement? Il ne faut que trois minutes pour faire la déclaration qu'on vous demande aujourd'hui,

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M. Charles de Lameth.

« Je ne m'élève assurément pas contre la motion de M. l'évêque de Nancy; mais je m'élève autant qu'il est en moi contre l'intention de l'apôtre qui l'a faite. Pour dévoiler cette intention je ne rappellerai qu'une circonstance, je ne ferai qu'une comparaison, qui je crois est frappante. Lorsqu'il fut question parmi nous d'abolir ces ordres politiques dont l'existence était une insulte pour la raison et pour le peuple, lorsque nous avons attaqué ces ordres injustes, contraires au bonheur de la nation, on a dit que nous voulions porter atteinte à la puissance royale : aujourd'hui que nous parlons d'abolir les ordres monastiques, on crie que nous attaquons la religion! C'est ici l'asile de tous les pouvoirs, le sanctuaire de toutes les autorités; si la religion pouvait être en péril, c'est ici qu'elle trouverait ses vrais défenseurs. Je poursuis ma comparaison.` Dans cette circonstance, où il ne s'agit plus de détruire les ordres, mais les désordres religieux, quand il est question de vils intérêts temporels et d'argent, on vient nous parler de la Divinité !... Il s'agit de la suppression des ordres religieux a hé bien, si l'on peut les rappeler à leur institution primitive, personne ne s'élevera contre eux; mais si, pour sauver une opulence si ridicule aux yeux de la raison, si contraire à l'esprit de l'évangile, on appelle l'inquiétude des peuples sur nos sentimensreligieux; si l'on fait naître, par une motion incidente à l'ordre du jour, et très-insidieuse, les moyens d'attaquer la

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