Page images
PDF
EPUB

42 5-64

nérer la France, à lui rendre la vraie liberté, à réunir tous les intérêts privés, toutes les volontés particulières sous l'empire de la volonté générale, la nation a dû reprendre à elle Ja disposition de biens qui n'ont pu cesser de lui appartenir, de biens qui servaient moins à l'entretien décent des vrais ministres du culte qu'à constituer un état dans l'Etat, et à favoriser une dangereuse indépendance.

» Dès lors la nation a dû faire de ces biens l'usage le plus sage selon les conjonctures où elle se trouve.

» Subvenir à des dépenses de sûreté, acquitter des engagemens dont la suspension est tout à la fois désastreuse pour les citoyens et honteuse pour la nation, sont les premiers besoins, ou plutôt les premiers devoirs. Eût-il été possible de les négliger longtemps sans compromettre le sort des ministres de la religion eux-mêmes? Peut-on concevoir une classe d'hommes, une classe de propriétés qui n'eût été perdue dans la confusion et dans l'anarchie? L'Assemblée nationale eût donc manqué à tous les principes; elle eût trahi votre confiance en hésitant de consacrer dès à présent une portion des domaines nationaux à la sûreté et au soulagement de toute la nation.

[ocr errors]

Quelles circonstances furent jamais plus impérieuses! Les ennemis de la liberté n'ont plus de ressource que dans les désordres et dans les plaintes de la misère; ils s'aveuglent sans doute s'ils pensent triompher du désespoir; mais nous ne mériterions pas d'être libres si nous ne réunissions tous nos efforts pour prévenir d'aussi déplorables extrémités.

» Ainsi, c'est sous l'empire des principes politiques les plus certains, et des besoins les plus urgens, que l'Assemblée nationale, acceptant l'intervention et le secours des municipalités, a décrété la vente de ces domaines, dont le sage emploi pouvait seul arrêter les progrès du mal; et puisque leur ancienne administration ne peut plus subsister, puisqu'en les rendant à la circulation ils seront une source plus féconde de richesses nationales, l'Assemblée a satisfait à tous ses devoirs en disposant de ces biens: mais dès lors elle devait mettre à la charge de la nation entière toutes les dépenses qu'ils acquittaient.

dans les années suivantes de mettre au hasard d'un crédit incertain et ruineux les besoins les plus urgens et les engagemens les plus sacrés : l'Assemblée n'a point voulu sacrifier plus longtemps l'avenir au présent, et, sans autre calcul, elle a défendu toute anticipation nouvelle.

» Elle employait en même temps tous ses coopérateurs, les uns à approfondir la dette publique en en préparant la liquidation; les autres à méditer un système d'imposition établi sur les bases de la liberté, et réglé d'après les véritables convenances de la chose publique; d'autres à combiner les besoins de l'Etat avec ceux de l'agriculture et du commerce; d'autres enfin à connaître la valeur des domaines que, dans des temps plus heureux ou moins éclairés, nos pères avaient assignés à l'acquittement d'une partie des charges publiques: l'Assemblée nationale préparait ainsi les matériaux du plan régénérateur que les représentans de la nation pouvaient seuls entreprendre avec quelque espoir de succès.

» Ce plan si vaste, fruit de tant de travaux divers, ne pouvait promettre ses résultats heureux que dans l'avenir : l'Assemblée nationale en a irrévocablement fixé le terme à l'année prochaine, et, pour atteindre à cette époque sans compromettre ni la sûreté publique ni les principes d'une sage administration, elle a porté une attention courageuse sur les besoins urgens de la présente année.

>> C'est sur cette année particulièrement que pesait l'ascumulation de tous les désordres précédens. Tandis que la plus grande partie des recettes ordinaires était suspendue ou détruite, soit par les chocs inséparables de la plus heureuse révolution, soit par l'incertitude qui accompagne les changemens même les plus favorables; tandis que la réduction des dépenses ne donnait encore que des secours lents et graduels, il fallait à la fois fournir aux frais de l'administration générale, acquitter une dette de 170 millions contractée sous la foi publique avec une banque dont le crédit avait été la seule ressource de l'année dernière, éteindre 141 millions de ces anticipations proscrites par nos décrets et par la voix publique, et redevenir justes envers les rentiers de l'Etat, envers ces rentiers qui n'ont pas reçu encore les restes de

l'année 1788, et dont l'aisance ou la misère influe si directement sur toutes les classes de l'industrie.

» Telle était la position sur laquelle l'Assemblée nationale a osé fixer ses regards sans désespérer de la patrie, et sans être détournée du ferme dessein de rejeter toute mesure qui mettrait obstacle au succès de ses méditations pour l'année 1791.

» Le salut de l'Etat tenait donc évidemment à la découverte et à l'emploi de ressources tout à la fois nouvelles et immenses, avec lesquelles il fût possible d'atteindre cette époque importante, et surtout de l'atteindre sans accroître des charges déjà trop pesantes, et sans essayer les moyens illusoires d'un crédit anéanti.

» Déterminée par ces puissantes considérations, convaincue, après un examen approfondi, qu'elle suivait la seule marche convenable, l'Assemblée nationale a rejeté tout expédient incertain; elle a osé croire qu'une nation puissante, qu'un peuple libre et gouverné par des lois, pouvait dans des circonstances difficiles se commander à lui-même ce que l'autorité arbitraire eût en vain sollicité de la confiance publique. Déjà l'Assemblée avait décrété, le 19 décembre dernier, une création d'assignats sur le produit d'une vente des biens ecclésiastiques et domaniaux, jusqu'à la concurrence de 400 millions; déjà elle les avait destinés à des remboursemens et à un subside pour les dépenses de l'année courante; en confirmant de nouveau ces dispositions, l'Assemblée nationale vient de décréter que ces assignats feraient l'office de monnaie.

» Délivrée par ce grand moyen de toute incertitude, et de tous les résultats ruineux d'un crédit abandonné sans cesse aux caprices de la cupidité, la nation n'a plus besoin que d'union, de constance, de fermeté, que d'elle-même en un mot, pour assurer à ce décret les plus heureux effets, pour qu'il ramène dans le trésor public, dans le commerce, et dans toutes les branches de l'industrie épuisée, la force, l'abondance et la prospérité.

» Français, les ennemis de la liberté peuvent seuls affaiblir cette espérance: il importe de rendre inutiles leurs

valeur qui leur permet de soutenir avantageusement la concurrence avec les métaux eux-mêmes.

» A quoi serviraient des assignats qu'on serait libre de refuser? Placés comme marchandise dans le commerce, loin qu'ils suppléassent à la rareté du numéraire, ils rendraient cette rareté plus incommode encore et plus funeste peutêtre, car le prix d'une marchandise ne peut que décroître toutes les fois qu'elle devient plus commune, surtout au moment où les moyens de l'acquérir sont plus rares.

» Les pièces de monnaie ordinaire, dont le cours ne serait pas forcé, auraient elles-mêmes un inconvénient presque égal à celui des assignats libres; elles ne se placeraient dans la circulation que comme une marchandise dont le prix pourrait varier à chaque instant; rien ne s'exécuterait qu'au travers de mille difficultés. Il est donc indispensable que la loi fixe le cours de la monnaie ordinaire, et qu'elle règle aussi impérieusement tout ce qui doit remplacer le numéraire dans la circulation; mais le législateur n'a droit de donner ce caractère légal qu'après s'être assuré de la valeur à laquelle il l'imprime : c'est ce qu'a fait l'Assemblée nationale; elle n'a créé des assignats - monnaie qu'après avoir déterminé une masse de biens nationaux et disponibles, et en avoir formé le subside de 400 millions pour secourir le trésor public.

» L'Assemblée nationale s'attend donc à voir tous les bons Français applaudir à cette mesure. Elle les délivre de l'art funeste des expédiens en finance; elle soulage les revenus de l'Etat d'une dépense considérable; elle prépare l'extinction de la dette publique; elle est utile à l'industrie; elle est digne enfin d'une nation éclairée, qui ne veut ni se tromper ellemême ni tromper les autres.

» L'intérêt attaché aux assignats rappellera bientôt le numéraire enfoui: ils ont déjà opéré sur le change avec l'étranger une révolution favorable; elle sera complette: tout se ranimera à la fois dès que les provinces seront à l'unisson de la capitale sur l'usage des assignats.

» L'Assemblée nationale aurait-elle besoin de rassurer les

citoyens sur le sort de la religion et de ses ministres ? sur celui de toutes les personnes qui regarderaient les biens ecclésiastiques comme une hypothèque ou un patrimoine? Quoi! l'hypothèque des créanciers du clergé s'affaiblirait-elle parce qu'elle passera dans les mains de la nation, parce que les biens ecclésiastiques seront désormais cultivés par de vrais propriétaires, parce que l'industrieuse sollicitude des pères de famille mettra à la place de l'activité usufruitière, qui épuise les forces productives, l'économie prévoyante qui les réserve pour nourrir des générations?

» Français, faut-il vous rappeler qu'éclairée, soutenue, encouragée par vos travaux, l'Assemblée nationale régénère et ne détruit pas; que les ruines dont elle semble environnée sont les frèles étais du despotisme, et non les solides appuis de la prospérité publique? Eh! qu'importe quels biens acquitteront votre dette envers les ministres de la religion, pourvu qu'ils soient honorablement traités, pourvu que leur salaire ne les éloigne pas de leur devoir, qu'il les rapproche au contraire des hommes qu'ils doivent édifier, instruire et consoler? Où sont les exemples d'un peuple qui en devenant libre soit devenu injuste envers ceux qui le servent, et n'avons-nous pas établi les dépenses de la religion au premier rang des dépenses publiques, ainsi que vous placez tous la religion elle-même au premier rang de vos devoirs?

[ocr errors]

Quand il est si évident que la liberté améliore l'homme, qu'elle lui donne des vertus en lui rendant sa dignité, qu'elle ne le délivre de la superstition qu'en donnant plus de force aux devoirs de la morale, quel aveuglement ou quelle perversité ne faudrait-il pas pour chercher à vous persuader que vous deviendrez irréligieux, que vous mépriserez les gardiens des mœurs et de la morale, parce qu'au lieu de laisser au clergé la disposition de ces biens vous entretiendrez le clergé des deniers de votre trésor! Souffrirez-vous qu'on vous croie moins bienfaisans envers vos frères pauvres, parce que les lois veilleront elles-mêmes sur eux, et que les droits de l'homme sont plus que jamais reconnus et sacrés? » Après vous avoir prouvé la sûreté des assignats-monnaie,

« PreviousContinue »