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ce vœu était consigné dans une adresse des villes et des places de commerce les plus importantes du royaume: l'avis des citoyens qui par état se trouvaient le plus à même de juger de la situation de la France et de ses besoins était conforme à l'avis du comité. Toutefois l'émission des assignats-monnaie provoqua une discussion que son étendue nous force de renvoyer au volume prochain. Nous terminerons celuici par une de ces pièces où, pour parler à la nation, ses représentans élèvent jusqu'à sa grandeur et leurs pensées et leur style.

L'Assemblée nationale avait chargé son comité des finances de la rédaction d'une adresse aux Français, à l'effet de détruire les préventions fâcheuses que les ennemis du bien public inspiraient contre les assignats-monnaie. Le 30 avril 1790 M. le marquis de Montesquiou, au nom de ce comité, fit lecture de l'adresse suivante, vivement applaudie, aussitôt adoptée, et envoyée dès le lendemain dans tous les départemens:

L'Assemblée nationale aux Français, sur l'émission des assignats-monnaie. (30 avril 1790.)

« L'Assemblée nationale vient de faire un grand pas vers la régénération des finances; elle s'est déterminée à de grands sacrifices; elle n'a été arrêtée par aucun obstacle, par aucun préjugé le salut de l'Etat lui en imposait le devoir. Espérant tout de l'esprit public, qui chaque jour semble acquérir de nouvelles forces, l'Assemblée natio nale eût pu ne craindre aucune fausse interprétation de ses motifs, et se reposer sur leur pureté; mais cette conscience d'elle-même ne lui suffit pas; elle veut que la nation entière puisse la juger, et jamais de plus grands intérêts n'ont été soumis à un tribunal plus imposant.

>> Donner une constitution à l'empire, assurer par elle le destin de la fortune publique, et par la fortune publique le maintien de la constitution, telle fut la mission de l'Assemblée nationale.

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Français, les bases de la constitution sont posées; le

roi que vous chérissez les a acceptées. Vos suffrages ont accueilli ce premier fruit de nos travaux; et dès ce moment c'est avec la certitude que nous allions travailler pour un peuple libre que nous avons entrepris de rétablir l'ordre dans les finances.

» Un abîme était ouvert devant nous : des impôts à la fois excessifs et oppresseurs dévoraient en vain la substance du peuple; ils étaient insuffisans à l'immensité des charges publiques; 60 millions de nouveaux subsides les eussent à peine acquittées, et tandis que les dépenses les plus nécessaires étaient arriérées, tandis que les créanciers les plus légitimes étaient soumis à d'injustes délais, les ressources mêmes de l'avenir n'avaient pas été respectées.

» L'Assemblée nationale n'a opposé à tant de désordres que votre autorité, son courage et ses principes. Juste et inébranlable à la fois, ce que chacun de vous eût dit, elle l'a dit en votre nom : fidélité pour tous les engagemens, soulagement pour le peuple, tel était votre vou; tel a été

son serment.

» Une recherche sévère sur les dépenses lui a prouvé que la somme des anciens revenus serait plus que suffisante lorsqu'ils cesseraient d'être prodigués : elle a ordonné aussitôt toutes les économies qui pouvaient s'opérer sans délai; elle a tout préparé pour les autres.

.

» L'examen des anciens revenus lui a montré que le peuple pouvait être fort soulagé sans que le trésor public fût appauvri déjà le plus désastreux des impôts a été remplacé par un subside que n'accroissent plus des frais immenses de perception, et cette première opération n'est que l'essai d'un plan général.

» L'arriéré des dépenses était incalculable, et le désordre se perpétuait à la faveur des ténèbres qui l'enveloppaient : l'Assemblée a porté la lumière dans cette obscurité; elle a soumis à une liquidation rigoureuse tout ce qui était dû au premier janvier dernier, et à un paiement régulier toutes les dépenses à partir de ce jour.

» Les anticipations absorbaient une grande partie des revenus de l'année, et leur renouvellement eût continué

ABOLITION DE LA NOBLESSE,

MONUMENS DE SERVITUDE,

DU 19 JUIN 1790.

DESTRUCTION DES

-SÉANCE MÉMORABLE

Orateurs: MM. Alexandre et Charles de Lameth, Lambel, de La Fayette, de Noailles, Le Pelletier de Saint-Fargeau, l'abbé Maury, Mathieu de Montmorency, etc.

La séance du 19 juin 1790, préparée et pour ainsi dire enfantée par celle du 4 août 1789 (voyez notre premier vol. page 69), acheva la révolution. Ici l'Assemblée prononce la destruction de la féodalité et de tous les priviléges qui s'opposaient à l'égalité garantie par la déclaration des droits: là elle proscrit jusqu'aux mots qui rappelaient le souvenir des priviléges et des distinctions; elle abolit la noblesse, elle abolit tous ces titres si vains, si frivoles, mais si chers à la nullité qu'ils élèvent, à l'orgueil qu'ils nourrissent... Ces titres ont reparu, il est vrai; mais le prestige est détruit: on ne rapporte pas les décrets de l'opinion... Honneur à l'Assemblée nationale, qui rendit à la qualité de citoyen son caractère vraiment noble et imposant!

Des particularités remarquables, un enchaînement de circonstances uniques, ont encore ajouté à l'intérêt de cette séance, dont nous allons offrir un exposé; et si auparavant nous en avons annoncé le résultat, nous donnerons pour excuse cette heureuse expression d'un de nos écrivains c'est que d'abord, pour faire connaitre une victoire, on ne la raconte pas, on la chante.

SÉANCE DU 19 JUIN 1790, AU soir. (Président, M. de Menou, en l'absence de M. l'abbé Syeyes.

Plusieurs députations viennent offrir leurs reconnais-sans hommages à l'Assemblée nationale; elles demandent et obtiennent la permission de prêter dans son sein le serment civique, et de le déposer signé sur le bureau.

Mais une réunion de braves a fixé tous les regards; ce sont les vainqueurs de la Bastille: M. Camus est l'interprète de Icurs sentimens. M. Camus, au nom du comité des pensions,

retrace les services de ces premiers héros de la révolution; illes montre trop au-dessus des récompenses ordinaires pour que le mot pension s'attache au souvenir de leur dévouement sublime. Il propose en leur faveur un décret qui sur le champ est adopté par acclamation, et dont voici les prinpales dispositions :

« L'Assemblée nationale, frappée d'une juste admiration pour l'héroïque intrépidité des vainqueurs de la Bastille, et voulant leur donner, au nom de la nation, un témoignage public de la reconnaissance due à ceux qui ont exposé et sacrifié leur vie pour secouer le joug de l'esclavage et rendre leur patrie libre ;

» Décrète qu'il leur sera fourni un habit uniforme et un armement complets. Sur le canon du fusil et sur la lame du sabre sera écrit: Donné par la nation à..... vainqueur de la Bastille. Il leur sera délivré un brevet honorable pour exprimer la reconnaissance de la patrie. Un brevet honorable sera aussi délivré aux veuves de ceux qui ont péri au siége de la Bastille. Lors de la fédération du 14 juillet il leur sera désigné une place où la France puisse contempler à loisir les premiers conquérans de la liberté. Leur nom sera inscrit dans les archives de la nation. L'Assemblée nationale se réserve de prendre en considération ceux à qui elle doit des gratifications pécuniaires. >>

Une députation (1) qui resta sans exemple, une députation vraiment universelle, se présente devant l'Assemblée ; elle est composée d'Américains, d'Anglais, de Prussiens, de

(1) Nous n'ignorons pas les efforts des ennemis de la liberté pour jeter le ridicule sur cette ambassade, à laquelle ils ne pouvaient reprocher qu'un enthousiasme qu'ils sont incapables de sentir; nous dédaignerons de les réfuter; les faits parlent d'eux-mêmes. D'ailleurs, de ce qu'un roi s'imagina d'en imposer à la multitude en supposant une fastueuse ambassade asiatique, peut-on conclure que l'Assemblée constituante, aussi franche, aussi loyale dans ses procédés que la nation qu'elle représentait réellement, se soit compromise aussi avec des imposteurs? A qui aurait-elle voulu en imposer? A la nation? C'eût été se faire à elle-même une surprise. Aux rois? Elle savait plus noblement enobtenir le respect qui lui était dû.

insinuations; il importe de prouver jusqu'à l'évidence que la résolution de l'Assemblée nationale n'est pas seulement fondée sur la plus impérieuse nécessité, mais qu'elle l'est encore sur des principes sains, qu'elle est sans inconvénient, que, sous tous les rapports enfin, c'est une loi sage

et salutaire.

» Portez un instant vos regards en arrière : c'est le désordre des finances qui nous ramène les jours heureux de la liberté ; appelés par un roi citoyen au secours de la chose publique, vous ne pouviez la sauver d'une manière sûre et honorable pour vous et pour lui qu'en détruisant les causes qui, après vous avoir accablés de maux, pourraient les reproduire un jour, et peut-être les rendre incurables. Le mépris des droits de l'homme était le principe de vos malheurs : dès ce moment vos représentans ont dû poser les droits de l'homme pour base d'une constitution propre à conserver au royaume sa force, aux Français leur dignité, à la chose publique tous les avantages résultans de notre heureuse position. Dès ce moment aussi les vrais représentans de la nation, ceux qui, ne voulant rien pour eux, ont tout demandé pour elle, n'ont eu que des combats à soutenir : ils les ont soutenus avec courage; l'Assemblée nationale n'en a que mieux connu vos vrais intérêts.

» Partout où, sous l'empire de la liberté, l'homme jouit de tous les droits dont la société ne peut le priver sans injustice, l'esprit de corps ne saurait être conservé sans danger; il tend sans cesse à séparer son intérêt de l'intérêt commun; tous les moyens de réunion qu'on lui laisse sont des armes offensives. Vainement voudrait-on employer l'intérêt sacré de la religion pour justifier une exception à ces principes, sans lesquels il n'y a point de liberté : les saints devoirs que la religion prescrit, les augustes mystères dont elle conserve la tradition, exigent sans doute une profession particulière, une profession qui consacre la vie entière à soutenir de grandes vérités par de grands exemples; mais elle ne doit pas séparer ceux qui l'embrassent du reste des citoyens ; l'influence morale de la religion ne doit donner aucune influence politique à ses ministres. Ainsi, travaillant à régé

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