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d'un papier aussi précieux sous tous ses rapports avec celui de cet habile Ecossais devenu si célèbre, dont l'imagination offrit sous la régence un numéraire qui, bien ménagé, n'aurait pas eu sans doute les suites funestes qui l'ont décrié, mais lequel enfin reposait moins sur des valeurs réelles que sur des espérances.

>> Votre comité n'a pas cru devoir adopter le système des primes proposé par la municipalité de Paris; il pense que, si l'on se permettait de préférer cette chance à un intérêt déterminé, le succès éphémère qu'elle pourrait avoir par le secours de quelques riches calculateurs ne se soutiendrait pas d'ailleurs nous ne vous proposerons jamais de favoriser un jeu quelconque quand il est capable de séduire de trop faciles capitalistes; il serait au-dessous de votre dignité et contraire à votre justice de placer des citoyens imprudens sur le bord d'un abîme où les trois quarts d'entre eux seraient précipités tous les mois.

» Pour épuiser tout ce qui doit être soumis à votre sagesse relativement à la nécessité de donner un intérêt aux assignats, nous devons vous représenter l'inconvénient habituel qui est sous vos yeux de n'en avoir pas attaché aux billets de la caisse d'Escompte; il n'est plus temps de le faire; il faut échanger contre des assignats ces billets; mais c'est reconnaître de plus en plus la nécessité d'attribuer un intérêt au papier qui va les remplacer.

» Nous ajouterons enfin, comme un motif de conviction de plus, que nous sommes entièrement d'accord à cet égard avec le premier ministre des finances, dont l'expérience est aussi précieuse qu'utile aux représentans d'une nation qui aime à lui conserver sa confiance.

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Quant à la mesure de l'intérêt annuel, plus de difficultés se sont présentées à l'examen attentif qu'a fait votre comité des observations et des adresses mêmes ou répandues dans son sein ou publiées par la voie de l'impression.

» Il serait trop long de vous rapporter en détail la diversité des opinions à cet égard; elles se réduisent à deux, celle qui insiste pour un modique intérêt, et celle qui en propose un plus considérable.

» Sans doute, messieurs, s'il ne s'agissait que de délivrer des assignats en paiement à vos créanciers, sans leur imprimer le sceau du numéraire national, il serait juste de leur accorder un très-grand intérêt; car vos créanciers, comme nous l'avons déjà observé, obligés de s'en servir pour se liquider de gré à gré avec les leurs, feraient sans cela une perte qui deviendrait une cruelle injustice. Avec ce gros intérêt même l'assignat, qui n'aurait pas l'avantage de la circulation, pourrait, malgré sa valeur intrinsèque, se négocier de plus en plus à perte, par la concurrence des vendeurs, pressés d'acquitter leurs engagemens tous à la fois de là une nouvelle source d'agiotage, et même une route ouverte à la malveillance. Il serait impossible de vous offrir la mesure certaine de l'intérêt à donner à un pareil assignat; vous lui attribueriez huit et dix pour cent peut-être sans succès, puisque d'autres effets sur la place se négocient et s'achètent

une perte plus grande; et en vérité de pareils calculs sont indignes de vous. Mais du moment où les assignats deviennent un papier circulant dans tout le royaume, il est inutile que l'intérêt soit aussi fort; il serait même dangereux qu'il fût trop considérable : la prudence nous conseille, à raison des circonstances présentes, de ne nous livrer à aucun excès en plus comme en moins.

» La raison la plus apparente que donnent les partisans d'un intérêt plus fort est d'indiquer ce moyen comme produisant le double avantage d'assurer dans ce moment le succès d'une opération sur laquelle repose le sort de l'Etat, en déterminant à recevoir avidemment les assignats, et de diminuer promptement la masse des billets en circulation par le désir de les conserver. Nous rendons hommage à ces deux considérations, et nous ne les perdons point de vue dans l'avis auquel nous nous sommes fixés.

» Ceux qui demandent au contraire que l'intérêt soit très modique craignent qu'en en forçant la proportion on ne nuise à la négociation des effets de commerce et même aux placemens relatifs aux entreprises de l'agriculture et des arts. On nous a représenté de toute part que l'escompte montera en proportion dc l'intérêt accordé au billet circulant, et que

cet accroissement, qui sera d'un et demi ou deux pour cent, peut être nuisible aux opérations actives du commerce: nous ne devons point dissimuler que c'est là l'opinion de beaucoup de personnes recommandables par leur expérience dans les affaires de la banque et du commerce, considéré dans ses rapports avec les changes.

» Il est difficile de faire disparaître tout à fait cette objection, qui résulte de l'élévation plus que probable de l'escompte. Il paraît de plus incontestable que si les assignats prennent faveur, comme votre comité ne peut en douter, le porteur de l'assignat qui consentira à l'échanger contre l'effet d'un particulier pourra bien y mettre quelque condition à son avantage qui augmenterait certainement le prix de cet échange. Il est vrai que cette crainte même fait présager le succès des assignats relativement au trésor public; et cette observation n'est point indifférente il n'en est pas cependant moins juste de prendre des précautions pour ne point exposer les commerçans à des pertes trop graudes en introduisant un numéraire dont le cours fût nuisible à celui des lettres-dechange.

» Mais il nous paraît aussi démontré que le commerce, tant maritime qu'intérieur, a moins de crainte à cet égard que la banque; ce sont les droits de commission qui produisent en partie l'élévation de l'escompte il n'en est pas de même vis-à-vis du commerce, et surtout vis-à-vis des manufactures; dans bien des villes l'argent se prête directe ment aux commerçans à cinq pour cent; et pourvu que l'intérêt de l'assignat soit un peu inférieur, on nous assure que le commerce n'a rien à craindre, et que, s'il était réduit à quelques sacrifices, l'augmentation du numéraire, en encourageant les travaux, lui offrira des bénéfices équivalens.

» Nous ne devons pas d'ailleurs perdre de vue les différentes destinations de l'assignat ayant cours; l'une est de ramener le numéraire d'argent dans la circulation par l'avantage qu'il aura sur les espèces stagnantes et non productives; et de l'élévation de l'escompte même naîtra dans l'esprit des possesseurs de l'argent le désir de placer en assignats pour profiter à leur tour du bénéfice de cette élévation; mais il ne

faut pas oublier non plus que les assignats, devant suppléer pendant quelque temps aux espèces qui nous fuient, il serait dangereux de trop diminuer la rapidité de leur circulation par un intérêt trop fort.

» C'est dans cette combinaison difficile des deux contraires que consiste le succès du nouveau numéraire.

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L'opinion des députés extraordinaires du commerce, qui ont assisté plusieurs fois à votre comité des finances, a surtout influé sur notre détermination; nous avons leur avis par écrit, et ils insistent pour que l'intérêt des assignats ne soit pas au-dessous de quatre et demi pour cent : il paraît que cette proposition rapproche les deux extrêmes; que si elle produit l'effet de faire séjourner les assignats dans les portefeuilles, il en résultera nécessairement que l'argent reparaîtra, parce qu'il n'y aura pas d'autre numéraire qui le supplée; qu'elle fera regarder l'assignat comme assez productif pour engager son détenteur à le garder, et le possesseur de l'argent à désirer son échange contre l'assignat, mais pas assez cependant pour nuire à sa circulation.

» C'est de ce contre-poids que dépend le succès d'une opération neuve à beaucoup d'égards; c'est sur elle que votre comité médite depuis longtemps; il a jeté ses regards dans l'avenir; il les a ramenés sur le moment présent; il ne s'est point dissimulé combien de canaux de dérivation se multiplieront autour du nouveau fleuve dont les eaux sont destinées à vivifier le corps politique : le premier ministre des finances ose à peine tenir le gouvernail dans cette route nouvelle.

» Votre comité vous propose donc, messieurs, de donner quatre et demi pour cent d'intérêt aux nouveaux assignals. Ce taux intermédiaire se place assez heureusement entre les deux opinions opposées, et il nous offre de plus deux avantages, qui, quoique secondaires, ne sont point du tout indifférens pour le succès de l'opération.

» Le premier est de donner une fraction très nette pour l'intérêt par jour, et l'autre de rendre infiniment facile l'échange des billets de la caisse d'Escompte contre les assignals.

» Avant d'entrer dans quelques détails à cet égard votre comité se plaît à rappeler qu'il ne s'agit point ici de calculer les conditions d'un emprunt; il s'agit de balancer des forces contraires, et de trouver le modérateur le plus sûr. Il serait aussi imprudent de mépriser les premiers effets de la nouvelle circulation que de juger d'après eux de la durée de son succès: il faut sans doute que la première impression soit heureuse; mais jamais des législateurs ne doivent lui sacrifier la réaction de l'avenir.

» En Espagne le papier circulant appelé vales reales perdit dans son début, et cette perte se soutint quelque temps par la faute du gouvernement, qui se détermina mal à propos à índemniser de la baisse des gens qui avaient intérêt à ce qu'elle existât pour avoir de plus en plus des bonifications certaines; mais il a repris son niveau naturel, et quoiqu'il ne porte que quatre pour cent d'intérêt il gagne actuellement un et demi pour cent; cependant il n'a pas l'avantage de l'hypothèque spéciale, qui donnera à nos assignats une valeur plus réelle.

» Mais nous sommes dans des circonstances difficiles et délicates; la balance des numéraires ne peut être alors dans son équilibre naturel, parce que la malveillance ajoute au poids de la crainte : il faut donc être circonspect. Il suffit que l'intérêt des assignats soit au-dessous de l'intérêt légal pour ne point déranger les combinaisons ordinaires, et préparer de loin la baisse de cet intérêt légal en facilitant par la suite le paiement de la dette publique et sa réduction de gré à gré sans injustice.

» En n'élevant pas trop l'intérêt de l'assignat l'Etat trouvera aussi l'avantage puissant de faire facé aux sacrifices que le trésor public sera peut-être obligé de faire pour se procurer pendant quelques mois de l'argent, tant pour les appoints que pour la solde des troupes, et pour les autres dépenses de détail indispensables; mais nous lasserons probablement bientôt les thésauriseurs, et nous allons subordonner à la nécessité de concourir au succès de nos opérations ceux mêmes qui se faisaient un plaisir cruel de les troubler.

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