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des richesses enlevées à la société. Ainsi les moines sont nuisibles individuellement; ils sont dangereux comme corps.

» Si l'Espagne, antrefois si peuplée, est actuellement déserte et apauvrie, elle le doit entièrement à l'établissement des monastères : si l'Angleterre est florissante, elle le doit en partie à l'abolition des ordres religieux.

» On vous a dit, messieurs, que les ordres religieux consomment sur les lieux les fruits que chaque lieu fait naître; que des charités abondantes nourrissent autour d'eux les campagnes et les villages : moi je vous assure au contraire que les maisons religieuses un peu riches achètent dans les villes toutes leurs grandes provisions; que les ouvriers des villes font leurs plus importans travaux, et que par conséquent c'est dans les villes, et non dans les campagnes, que les maisons religieuses dépensent leur fortune.

» La nation pourrait-elle donner quelque regret à ces distributions de quelques alimens faites devant les portes des couvens, et qui accoutument les peuples à se nourrir du vil pain de l'aumône! charité respectable sans doute dans son principe, mais dont les effets les plus connus sont de multiplier les fainéans et les fripons dans cette classe intéressante du peuple à qui l'on a fait encore plus de mal lorsqu'on a pu l'avilir que lorsqu'on l'a fait gémir sous le poids des tra

vaux.

» C'est par d'autres hommes que des moines, messieurs, que dans cette régénération des choses et des personnes vous féconderez les campagnes, que vous irez au secours de ceux qui les cultivent. La liberté et le goût de la vie agricole ne se sont jamais séparés: votre constitution, en attachant davantage le citoyen aux propriétés territoriales, fera refluer la population des villes dans les campagnes, et les riches y porteront, y verseront leurs fortunes. C'est de bonnes lois, et non de charités, qu'ont besoin les peuples, l'agriculture, les arts et le commerce. Quant à l'éducation, peut-on croire que vous conserverez à des maisons religieuses le soin précieux d'élever des citoyens ?

» Il faut donc détruire entièrement ces ordres; en conserver quelques-uns ce serait préparer la renaissance de

tous. Rendez des hommes à la liberté, des citoyens à la société, des bras à l'agriculture et aux arts qui les redemandent; rendez à la circulation d'immenses propriétés qui restent dans une stagnation funeste, et vous ferez un bien inestimable à la nation. »>

M. Dedeley d'Agier.

<< Doit-on conserver les ordres religieux? Non; et pourquoi? 1° Parce que leur régime est continuellement en opposition avec les droits de l'homme; 2° parce qu'aucun avantage ne compense cette cruelle opposition. >>

M. d'Agier n'ajouta pas un mot de plus ; il descendit de la tribune après avoir ainsi prononcé son opinion, qu'un écrivain du temps compare aux coups de hache

Phocion.

M. Cayla, général de l'ordre de Saint-Lazare.

« Je vais me servir d'une comparaison bien connue : les procédés qu'on cherche à vous inspirer contre les moines ressemblent assez à la conduite des sauvages de la Louisiane, qui coupent l'arbre pour en avoir les fruits. Ce procédé n'est ni le plus délicat, ni le plus sage, ni le plus digne de cette Assemblée. Les fautes de quelques-uns sont donc devenues les crimes de tous! On a cherché à exciter votre patriotisme en liant la destruction des ordres religieux à la régénération de l'Etat. Examinons l'effet de cette régénération, en commençant par la capitale. La ville de Paris a déjà fait tant de pertes, que vous devriez lui en épargner encore; cependant vous allez incessamment éloigner d'elle cent mille personnes attachées à la magistrature; vous voulez aujourd'hui la priver des communautés religieuses et de la foule des consommateurs que ces communautés renferment. Vous enlevez en général aux campagnes des consommateurs utiles. On dit biens des religieux ne feront que changer de mains; mais les mains des capitalistes ne sont ni généreuses ni bienfaisantes. On nous montre la fortune publique régénérée par les propriétés ecclésiastiques; l'âge d'or va renaître; le bonheur public va s'élever sur les ruines du clergé.... Mais si ce n'était là qu'un

que

les

beau rêve! En demandant la fameuse déclaration des bénéfices, vous avez voulu connaître les ressources que le clergé peut offrir; hé bien, vous aurez achevé vos opérations avant que de vous être procuré ces premières bases. Après avoir pris sur les établissemens religieux les quatre cents millions que vous destinez à l'Etat, vous restera-t-il de quoi payer les pensions des moines? Vous prendrez alors sur le clergé ; mais il faudra entretenir quarante-quatre mille curés, quarante-quatre mille vicaires; car, dussiez-vous en diminuer le nombre, les individus resteront, et pour s'en débarrasser on ne les enverra pas à la lanterne. Il vous restera les frais du culte, les pauvres, les marguilliers, les sacristains, les chanoines. Pourrez-vous subvenir à tous ces besoins? Non; votre opération est donc impolitique.

» Elles vont donc être anéanties, ces institutions pieuses! Quel hommage à la religion, quel héroïsme de vertus présentent la Trappe et Sept-Fonds! Vous réserverez quelques maisons, dit-on, d'où les religieux pourront sortir au gré de leurs plaisirs ou de leurs besoins : des hommes vénérables iront-ils désormais habiter ces retraites, qui ne seront plus les asiles de la paix et de l'innocence?

» Bornez-vous à réduire toutes les maisons où il n'y aura pas vingt-cinq religieux; alors vous vous procurerez sans injustice les quatre cents millions que vous avez promis aux finances, et les sommes nécessaires à la régénération parfaite de l'Etat. >>

M. Barnave.

« Le préopinant a voulu parler en faveur des religieux : je soutiens une thèse opposée à la sienne, et je parle aussi pour eux. Il ne s'est occupé que des chefs de quelques maisons religieuses opulentes, qui, ayant fait vœu d'obéissance et de pauvreté, jouissent de toutes les douceurs de l'indépendance et de la richesse: moi je songerai aux individus. Le préopinant s'est livré à des calculs dans lesquels il a glissé beaucoup d'erreurs : je ne m'arrêterai pas à cette nature de raisonnement. Il suffit que l'existence des moines soit incompatible avec les droits de l'homme, avec les besoins

de la société, nuisible à la religion, et inutile à tous les autres objets auxquels on a voulu la consacrer....... ( Les murmures du côté droit de la salle interrompent l'orateur.) Je crois n'avoir pas besoin de démontrer l'incompatibilité des ordres religieux avec les droits de l'homme; il est très-certain qu'une profession qui prive les hommes des droits que vous avez reconnus est incompatible avec les droits...

(MM. l'abbé Maury, de Juigné, l'évêque de Nîmes, Dufraisse-Duchey, l'évêque d'Angoulême, etc., se livrent aux mouvemens les plus impétueux. On crie à l'ordre! aux voix ! Le calme rétabli, M. Barnave continue :)

» Ma proposition est juste; il suffit pour le prouver de rappeler ce premier article des droits de l'homme :

» Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

» Les ordres religieux sont contraires à l'ordre public; soumis à des chefs indépendans, ils sont hors de la société; ils sont contraires à la société. Obligés à des devoirs que n'a pas prescrits la nature, que la nature réprouve, ne sontils pas, par la nature même, conduits à les violer? Le respect pour la religion n'est-il pas alors attaqué? C'est un trèsgrand mal politique. Quant à l'éducation publique, elle doit être faite par des hommes qui jouissent des droits de citoyen, qui les aiment pour les faire aimer. Tout homme qui ne peut subsister par son travail doit exister par la société; ainsi les secours à donner aux pauvres, aux malades, sont des devoirs de la société; des hommes étrangers à la société ne peuvent être chargés de remplir ces devoirs.

» Les ordres religieux sont donc incompatibles avec l'ordre social et le bonheur public; vous devez les détruire sans restriction. >>

M. de la Fare, évêque de Nancy.

« Je ne m'arrêterai pas à réfuter le préopinant, ni à attaquer les assertions hardies qu'il s'est permises et qu'il n'a pas prouvées. Il a offert des raisonnemens; je présenterai des calculs. Je suis loin de croire que vous vouliez entre

prendre de détruire la religion; mais il faut convenir que tout ce que vous avez fait jusqu'ici serait bien propre à assurer le succès d'une pareille entreprise.

» Je commence par le tableau de l'état actuel du clergé. Les dimes étaient déclarées rachetables; par une rédaction postérieure vous les avez abolies sans rachat. Vous aviez mis les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation avec les conditions expresses de consulter les provinces, et vous avez décrété la vente d'une partie de ces biens, en valeur de quatre cents millions, sans entendre le clergé.

» Les calculateurs les plus exagérés portent à cent cinquante millions les revenus du clergé en retranchant de cette somme ce que produisaient les dîmes, les frais de réparations et de fondations, la perte résultant de la suppression des droits féodaux, le produit de deux cents millions de fonds territoriaux que vous vous êtes engagés à vendre, les frais du culte, ceux de l'administration des biens mis à la disposition de la nation, les pensions à faire aux religieux sécularisés, on trouve une dépense supérieure au revenu de seize millions.

» On pense cependant que les pensions proposées par le comité sont trop modiques. Eussiez-vous de quoi payer ces pensions, seront-elles payées exactement? N'arrivera-t-il pas à ces religieux ce qu'éprouvent chaque jour les membres dispersés de cette société célèbre (les jésuites) à qui la France doit peut-être tous les grands hommes et toute la gloire du dernier siècle? Songez-vous encore aux effets funestes de l'administration publique à laquelle vous allez livrer les biens ecclésiastiques? Elle épuisera la terre, tyrannisera les campagnes; elle établira la plus odieuse aristocratie.

» On vous propose de rendre tous les religieux au siècle. Ainsi la volonté de l'homme pourra rompre des engagemens volontaires et sacrés; ainsi on pourra désormais briser tout engagement civil ou militaire; ainsi la religion, la politique et la morale seront attaquées : la religion, en autorisant l'apostasic; la morale, en introduisant le désordre dans le cloître et dans le siècle dans le cloître personne ne voudra com

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