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cherait de vous en entretenir trop longtemps. Ceux qui dans l'opinion contraire ont flétri le papier-monnaie proprement dit ont parlé d'un numéraire sans valeur, absolument étranger à celui dont il s'agit aujourd'hui ; il ne ressemble en aucune manière aux dangereuses illusions de nos pères, dont les funestes effets sont encore gravés dans la mémoire de leurs descendans.

» L'or et l'argent présentent à la vérité, pour principal avantage sur les antres numéraires fictifs, leur solidité physique; elle les met sans doute plus longtemps à l'abri de la destruction; ils se détériorent cependant avec le temps. Quant à leur valeur intrinsèque, elle n'est pas inaltérable; elle diminue par l'abondance progressive des métaux dont ils sont composés: ils varient également dans leur valeur relative; ils peuvent être contrefaits comme les autres numéraires; enfin ils ne sont point productifs comme peut l'être un papier heureusement combiné. Voyons donc si le nouveau numéraire leur sera véritablement inférieur.

» Au moment où une nation, en faisant circuler un métal, lui a donné une valeur supérieure à celle du poids de la matière dont elle est composée, elle a dit à ceux qui se trouvaient obligés d'en faire usage: vous ne pourrez refuser pour 24 livres ce lingot, quoiqu'il n'en vaille que 23, ni celui-ci pour 6 livres, quoiqu'il ne vaille que cent dix sous. On ne lui reprocha pas une injustice, parce qu'une convention générale ne peut pas en être une. Lorsque ces métaux circulèrent pour la première fois on put leur faire à cet égard les objections qu'on accumule sur les autres numéraires; mais la réponse fut sans doute qu'une nation, en créant un signe représentatif, garantit plutôt le titre que la valeur; elle imprime uniquement le mouvement de la circulation.

>> Les assignats sur les biens du domaine et du clergé, outre l'avantage de la circulation, auront une valeur complète, puisqu'ils sont le signe représentatif d'une valeur qui n'a point d'alliage, celle d'un immeuble cédé par la nation, qui, d'après vos décrets, aura nécessairement une valeur équivalente. Ils ne sont que des subdivisions, des obligations

que les municipalités déposeront dans la caisse de l'extraor dinaire. Votre comité ne se lasse point de vous répéter que les assignats seront de véritables délégations avec privilége sur des immeubles partagés en petites portions pour la commodité des porteurs; ils auront de plus la valeur monétaire que leur imprimera le sceau de l'Etat; ils auront enfin une valeur immobilière que n'a jamais eue jusqu'à présent le papier d'aucune nation. Les valeurs mobilières déposées dans les caves de la banque d'Amsterdam, qui sont représentées par ses billets, peuvent être pillées, enlevées; nos immeubles au contraire ne peuvent échapper au dernier possesseur des assignats. Ne perdons jamais de vue que les différens papiers circulans répandus dans un royaume par la seule autorité d'un monarque ou de son conseil, après avoir contracté un caractère d'injustice dans leur origine, éprouvent de la résistance dans leur usage, et offrent des abus incalculables dans la facilité de leur multiplication; mais tous ces vices disparaissent quand un papier est une émanation de la volonté générale. Qui d'entre nous osera douter de sa valeur? Ce serait douter de nous-mêmes.

» Les assignats circulans offriront par dessus tous les autres avantages qui vous ont été exposés celui que n'a pas le numéraire métallique, lorsque vous leur aurez attribué un intérêt raisonnable.

» Vous aviez fixé à cinq pour cent, par votre décret du 19 décembre, l'intérêt des assignats destinés à être donnés en paiement à la caisse d'Escompte; mais les nouveaux assignats seront d'une nature différente: il ne vous avait pas été proposé au mois de décembre dernier de donner aux assignats le mouvement d'une circulation générale; la combinaison ne doit plus être tout à fait la même; il est par conséquent indispensable d'examiner de nouveau cette question, en répondant à plusieurs objections qui ont été faites et qui seront renouvelées peut-être sur la fixation des intérêts.

>>

Quelques personnes recommandables par leurs connaissances en matière de numéraire, tant réel que fictif, soutiennent qu'un papier qui tient de la nation l'avantage de la

circulation ne doit point y réunir celui d'un intérêt; que c'est lui ôter même une partie de la rapidité de son mouvement; que c'est grover l'Etat d'une charge de plus, et qu'autant vaudrait-il faire un emprunt s'il était praticable.

» Mais d'abord aucun emprunt n'est praticable ni proposable aujourd'hui, et il ne faut jamais perdre de vue qu'il s'agit ici avant tout du service de 1790, qui devrait être assuré depuis longtemps.

» Il est ensuite bien certain qu'un tel papier, surtout dans les circonstances présentes, s'affaiblirait successivement dans les mains de ceux qui, n'ayant aucun intérêt à le garder, chercheraient continuellement à s'en défaire; alors, par l'effet si connu de la concurrence, la multiplicité des débiteurs qui voudraient s'acquitter ferait baisser continuellement la valeur conventionnelle, toujours indépendante de la valeur fictive; le vendeur volontaire hausserait dans une proportion arbitraire le prix de ses denrées : de là l'avilissement du papier national, des désordres dans les prix, et des malheurs de détail inévitables surtout lorsque la craintive défiancé est accrue par les efforts d'une malveillance criminelle. De ce désordre, messieurs, naît une réflexion faite pour frapper des législateurs; c'est que le papier sans intérêt, que le créancier de l'Etat ne pourrait ni garder avec un bénéfice, ni céder qu'avec perte, deviendrait une injustice à son égard, et assurément une opération injuste vous serait inutilement présentée. Abolissez à jamais, messieurs, cette distinction immorale de la justice privée et de la justice des nations; descendez un moment du faîte de la législation pour examiner comme juges cette question si simple lorsqu'un débiteur s'arrange avec son créancier, que celui-ci prend avec lui des termes en attendant la vente d'un immeuble, lequel des deux doit supporter la privation des intérêts? Est-ce le créancier? Est-ce le débiteur? C'est ce dernier sans doute; autrement ce serait une faillite partielle. Hé bien, messieurs, replacez-vous maintenant sur les sièges des législateurs, et aussitôt vous prononcerez unanimement que la nation française, en s'acquittant avec un papier sans intérêt, n'exercerait pas visà-vis de son créancier qui le recevrait malgré lui una

exacte justice. Ceux qui combattent la circulation des assignats objectent à cet égard que les assignats non circulans pourraient être donnés en paiement avec un intérêt plus considérable; qu'il faut en conséquence donner la préférence à ces assignats qu'ils appellent volontaires : mais peut-on leur donner ce nom dans cette supposition? La nation en effet offrirait à son créancier l'option entre un assignat ou rien; n'est-ce pas abuser vis-à-vis de lui d'ane autorité véritablement tyrannique? car enfin il a le droit d'exiger un numéraire, parce que c'est un numéraire qu'il a donné.

» Le porteur d'une créance sur l'Etat est rarement celui qui l'a reçue immédiatement du gouvernement; c'est souvent un commerçant qui a des engagemens à remplir, un propriétaire qui a des remboursemens à faire : l'assignat que vous lui donnez dans ce cas ou est onéreux pour la nation si l'intérêt est très considérable, ou n'est pas l'équivalent du sacrifice qu'il est obligé de faire. De quel droit la nation exerce-t-elle ainsi sur lui l'empire de la nécessité, et lui commande-t-elle souvent une banqueroute totale par la faillite partielle dont elle ne craint pas d'encourir le reproche?

» La circulation donnée aux assignats l'écarte entièrement; par elle l'état met son créancier à l'abri de tout dommage, parce qu'il peut le donner en paiement, et que s'il est obligé de le garder l'intérêt l'indemnise du retard.

» En matière d'emprunt, il est vrai, la génération suivante acquitte par là une partie des intérêts jusqu'au remboursement; mais d'abord serait-ce une injustice? N'acquittonsnous pas aujourd'hui les intérêts de la dette contractée avant nous? Ne faut-il pas que le fardeau se partage entre les gênérations? Celle qui a supporté les maux inséparables de la révolution même la plus heureuse ne pourrait encourir de reproches si elle laissait quelques engagemens à payer par ceux qui en recueilleront tous les fruits. Mais il ne s'agit pas ici de faire acquitter des intérêts par notre postérité ; ceux-ci vont s'éteindre avec la vente des immeubles, et c'est là ce qui rend l'opération qui vous est proposée bien supérieure à un emprunt ordinaire; c'est là ce qui donne à votre numểraire nouveau toutes les qualités qui concourrent à le rendre

véritablement précieux. Lorsque vous aurez réglé les moyens de pourvoir aux dépenses du culte public et de toutes celles qui y ont quelques rapports, quelle carrière est ouverte aux législatures suivantes pour opérer, avec la vente de tant d'immeubles, notre libération totale, sans surcharger d'intérêts les générations futures, soulagées d'ailleurs continuellement par l'extinction des rentes viagères!

» Un des grands avantages de l'intérêt qui doit être attaché aux assignats, c'est de rappeler en circulation le numéraire réel dans la proportion précisément où le numéraire nouveau séjournera dans le porte-feuille du capitaliste, dans le comptoir du négociant, dans la bourse même du fermier et du laboureur, qui dans ce moment peut-être retiennent l'argent sans l'enfouir ils le retiennent parce que les impositions se paient plus lentement; ils le retiennent parce qu'ils ont peu d'emplois à en faire; mais lorsqu'un assignat portant intérêt, et garanti par la nation, pourra lui offrir un bénéfice inconnu jusqu'aujourd'hui, il s'habituera insensiblement à ce nouveau numéraire, moins volumineux et plus productif que l'autre. Ne peut-il donc pas même se mêler une teinte de patriotisme au désir d'obtenir un accroissement de revenu dans les nouveaux calculs de ces bons habitans des campagnes, qui d'ailleurs attachent encore plus de prix à l'acquisition d'un bienfonds que les capitalistes des grandes villes? Le commerçant de son côté, voyant que le nouveau numéraire aura le double avantage de norter intérêt et de remplacer l'argent dans les paiemens, l'adoptera sous ces deux aspects. Les étrangers eux-mêmes en feront un objet de spéculation, tant que le cours défavorable des changes ne leur permettra pas de réaliser les fonds qu'ils ont en France, et cette dernière observation répond à bien des objections. Votre comité croit apercevoir qu'en vous bornant à une quotité d'assignats égale à celle des immeubles dont vous avez décrété la vente, bientôt vous verrez rechercher l'assignat, qui réunit trois avantages précieux, celui de porter intérêt, celui de servir en paiement, et celui d'être appuyé sur un immeuble qui ne peut échapper au dernier détenteur.

» Aussi votre comité ne s'arrêtera point à la comparaison

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