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théories brillantes, ou une réunion de prétendues ressources dont la complication seule indique la plus évidente impossibilité; mais, messieurs, vous êtes bien convaincus que la méditation la plus profonde sur les unes et les autres a précédé la résolution qu'a prise enfin votre comité général des finances.

>> Tout ce qui a été dit si souvent, et qui sera répété sans doute avec plus ou moins d'impartialité sur le papier-monnaie, ne peut s'appliquer qu'à ceux des numéraires fictifs qui n'ont de ressemblance que le nom avec celui qui va vous être présenté. Ce qu'on appelle ordinairement un papier-monnaie, ou même billet d'état, repose simplement sur une hypothèque générale : les assignats au contraire seront le signe représentatif d'une créance déléguée avec hypothèque spéciale sur des immeubles. Au reste ne nous flattons pas, messieurs, de réunir toutes les opinions; il faudrait pour y parvenir avoir trouvé l'art de satisfaire tous les intérêts, et cet art est encore inconnu sur la terre.

>> Entrons dans l'examen de notre position actuelle relativement au numéraire. Quelles que soient les causes diverses de la rareté de celui qui est en possession d'être dénommé le numéraire réel, qu'elle soit absolue ou relative, que ce numéraire se soit écoulé loin de nous ou qu'il soit enfoui, que ce soit enfin la malveillance ou la crainte qui le disperse, il nous manque; il faut y suppléer. Le papier de la caisse d'Escompte ne peut plus en tenir lieu; il faut le remplacer sans délai plus d'incertitude à cet égard, plus d'hésitation; elle deviendrait funeste. Il en est de la machine politique comme de celles qui concourent aux travaux de l'industrie : quand le secours des fleuves ou des ruisseaux lui est refusé par la nature, le fluide vient au secours de l'homme ingénieux qui sait soumettre l'air et le feu aux besoins des arts; employons à son exemple la ressource d'une circulation nouvelle au lieu de ces métaux enfouis qui refusent de couler dans le trésor public, et bientôt la grande machine de l'Etat, dont la stagnation nous effraie, va reprendre toute son activité.

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Déjà votre comité des finances, au mois de décembre dernier, vous avait fait sentir les inconvéniens de la disette du

numéraire; il vous avait proposé d'autoriser provisoirement la circulation des billets de la caisse d'Escompte, pour suppléer à la rareté de l'argent pendant les six premiers mois de l'année, et d'essayer si ce papier, auquel on paraissait habitué, pourrait en tenir lieu; il espérait que, son remboursement n'étant pas éloigné, il serait préférable à des billets d'état qui ne pourraient pas peut-être offrir cet avantage. L'échange volontaire de ces billets d'une compagnie de négocians contre des assignats sur des biens du domaine et du clergé avait paru suffisant pour retirer insensiblement les billets de la caisse. Votre comité avait pensé que, sans secousse et même sans efforts, cet échange rappellerait l'argent dans la circulation. Dans des temps plus heureux cet espoir n'eût point été tompé; mais il en est arrivé autrement; les efforts des actionnaires ont vainement retiré près de 30 ou 40 millions de billets de caisse, par les demi-actions qu'ils se sont empressés de prendre ; les assignats n'ont point concouru à ces efforts; la caisse d'Escompte n'en a pu négocier que pour treize cent mille livres; nous n'avons pu en placer, parce que ç'aurait été manquer aux engagemens pris avec elle, et nuire à la diminution de la masse de ses billets. Bientôt les craintes sur cette caisse se sont renouvelées; les murmures se sont accrus, et avec eux la défiance. Je n'examinerai pas ici jusqu'à quel point ces plaintes peuvent être exagérées; il suffit qu'elles existent pour devenir dignes d'attention. Le paiement à bureau ouvert au 1er juillet devient incertain; la caisse d'Escompte est dans une position aussi critique que contraire au but de son établissement; il faut céder aux circonstances; c'est une intempérie à laquelle il faut se soumettre. Elle fait baisser trop sensiblement le thermomètre du crédit pour ne pas obéir à cet indicateur fidèle dans l'atmosphère orageux au milieu duquel nous vivons depuis quelque temps; mais puisons dans cette nécessité même de nouvelles

ressources.

» Il en eût été autrement, messieurs, il est permis de le croire, si les frais du culte eussent été définitivement réglés aussitôt après votre décret du 19 décembre, si le remplacement des dimes eût été prononcé; peut-être alors les assi

gnats, circulant librement, eussent remplacé très-heureusement la disette des espèces, ou plutôt les eussent fait revenir dans la capitale. Nous ne cesserons de vous conjurer de fixer bientôt les idées sur tout ce qui a rapport à l'hiérarchie ecclésiastique. Nous sommes informés par l'un de vos comités qu'il a un travail complet à vous soumettre sur cet important objet.

» Dans le moment actuel il est au moins indispensable de dégager la portion des biens ecclésiastiques qui va être mise en vente de toute hypothèque et privilége, de la présenter parfaitement libre à ceux qui vont les recevoir, et c'est une des précautions prises par le projet de décret qui vous sera soumis. Nous ne dirons rien de la forme des ventes, de l'estimation et même de la désignation des biens; vous avez nommé des commissaires pour procéder à toutes ces opérations; ils s'en occupent. Ces opérations sont certaines; mais en accélérant ces ventes il ne faut pas les précipiter, et rien à cet égard ne s'oppose à ce que vous décrétiez dès à présent la nature des assignats. Cette décision est d'autant plus urgente, que leur fabrication exigera un temps assez considérable, et que nous ne pouvons plus en perdre.

C'est ici le lieu d'écarter une idée qui a paru se propager dans le public à l'occasion du plan proposé par la municipalité de Paris, mais qui n'a pas même pénétré jusqu'à votre comité. On a parlé un moment de billets municipaux; on a dit que le crédit des municipalités pourrait offrir un nouveau numéraire: dispensez votre comité de discuter une aussi légère assertion.

» Il a paru sans doute très convenable, et j'ose dire très politique, de transmettre la propriété des biens ecclésiastiques dès à présent aux municipalités, d'exproprier ces biens, pour me servir de l'expression d'un de nos orateurs, et déjà l'on en éprouve les heureux effets. La commune de Paris applaudit unanimement aux propositions faites par la municipalité à l'Assemblée nationale; de nombreuses soumissions sont offertes; de très grandes municipalités annoncent leur adhésion à ce genre d'acquisition, les unes pour douze millions, les autres pour dix, d'autres pour de moindres sommes : bientôt,

nous n'en pouvons plus douter, les valeurs qui représentent les quatre cent millions se placeront tout naturellement dans les diverses parties du royaume, et l'organisation prochaine des assemblées de département concourra à accélérer les adjudications. Il est donc temps, messieurs, de poser sur la base d'un crédit vraiment national le type du remboursement successif de la dette publique.

» Laissons à l'ancienne administration l'erreur des crédits intermédiaires; montrons enfin à l'Europe entière que nous apercevons l'étendue de nos ressources, et bientôt nous prendrons avec assurance la vaste route de notre libération, au lieu de nous traîner dans les sentiers étroits et tortueux des emprunts morcelés et des négociations onéreuses.

» Pourquoi nous asservirions-nous plus longtemps à cette fatale habitude contractée dans le labyrinthe de l'ancienne administration? Pourquoi cette crainte puérile de marcher sans appui? Est-ce à une grande nation qui se régénère à douter de ses forces? Un débiteur ordinaire qui ne peut donner à ses créanciers qu'un papier auquel il ne peut apposer le sceau du numéraire se débat avec découragement dans les liens d'une créance aussi pénible pour ses créanciers que pour lui-même; mais une nation qui peut donner à son papier le mouvement de la circulation, qui par cette circulation nouvelle peut répandre des bienfaits sur ceux qui, créanciers de l'Etat, sont débiteurs à leur tour vis à vis de leurs concitoyens; qui par elle peut rétablir dans l'empire le courage de l'industrie, engourdi par l'effet de la stagnation des espèces; qui par elle enfin peut rendre aux manufactures leurs travaux, aux ouvriers leur salaire, au commerce son activité; cette nation, dis-je, ne doit pas rester plus longtemps dans l'incertitude sur le grand parti qui lui reste à prendre, et l'opinion des citoyens qui la composent concourra au succès infaillible de cette détermination.

» Il en est du numéraire comme des contributions; elles sont volontaires au moment de leur création, parce qu'elles sont consenties librement par les représentans du peuple, et elles le sont en effet vis à vis de la nation entière, qui les

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a accordées elles n'en sont pas moins obligatoires vis à vis de chaque citoyen; il est forcé de se soumettre à l'expression de la volonté générale. Le nouveau numéraire, messieurs, aura la même origine, et par conséquent la même autorité ; elle résultera de la convention solennelle d'une grande famille composée de créanciers et de débiteurs qui, pour l'intérêt commun, soldent leurs créances avec des contrats hypothéqués sur des immeubles jusqu'à la vente prochaine des biens-fonds, qui doit éteindre la dette. C'est au nom de la grande famille de l'Etat, qui vous a remis ses pouvoirs, que vous allez sceller cet accord, ce pacte très légal; il ne peut être mal accucilli ou mal interprété que par ceux qui, s'aveuglant sur la situation du trésor public, se fondent sur de chimériques espérances, ou par ceux qui verraient avec une joie coupable se multiplier autour de nous les obstacles de la détresse.

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Vainement, messieurs, vous objectera-t-on que l'excès d'un tel numéraire, en concurrence avec le numéraire réel, deviendrait très-préjudiciable: oui, sans doute, si ces deux, numéraires pouvaient longtemps rester en concurrence; mais d'abord le numéraire réel de la France est depuis longtemps au-dessous des besoins de son industrie; en ce moment l'or et l'argent se cachent; ils s'enfouissent; la malveillance les resserre: le papier ne sera donc pendant quelque temps qu'un heureux remplacement. Ce n'est que le papier-monnaie proprement dit, c'est à dire celui qui ne porte pas intérêt, qui repousse le numéraire réel, parce qu'il s'agite continuellement et ne repose jamais dans les portefeuilles, à cause de sa stérilité; mais la nature de celui que votre comité me charge de vous proposer aura le double avantage de suppléer dans ce moment aux espèces qui nous fuient, aux billets d'escompte que l'on repousse, et de disparaître successivement de la circulation à mesure que reparaîtront les espèces fugitives; il s'éteindra définitivement par la vente des immeubles désignés, et cette extinction prochaine ajoute beaucoup à sa valeur.

>> Un si grand nombre d'excellens ouvrages nous ont donné depuis quelque temps des connaissances très justes sur la nature des différens numéraires, que votre comité se repro

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