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supprimés; 3° que le système d'impositions à établir soit tel que les impôts portent surtout sur les objets et sur les jouissances du luxe. »

M. l'abbé Maury parlait encore, et déjà plusieurs membres témoignaient l'impatient désir de lui répondre; M. l'abbé de la Salcette parvint le premier à faire entendre la proposition qui suit :

«

Puisque M. l'abbé Maury a tant de haine pour le luxe, je consens à le proscrire avec lui.... Aucun luxe sans doute ne peut être aussi scandaleux que le luxe des ecclésiastiques; aucun n'insulte autant à la misère publique. Pour entrer dans toutes les vues de M. l'abbé Maury (1) je fais donc la motion que nul ecclésiastique ne puisse avoir désormais plus de mille écus de revenu, et que le surplus des revenus de chaque domaine ecclésiastique soit versé dans le trésor national, au soulagement des impositions du peuple.

»

Des applaudissemens presque unanimes couvrirent les dernières paroles de M. l'abbé de la Salcette; sa proposition avait fait éclater une joie semblable à celle qui anima l'Assemblée dans la fameuse nuit du 4 août 1789, et pea s'en fallut que cette motion ne fût sur le champ tranformée en un décret qui eût dès lors condamné le clergé à ne pouvoir plus se faire respecter que par ses vertus. Ce fut M. Regnault de Saint-Jean-d'Angely qui arrêta l'impétuosité de ce mouvement en faisant observer le danger de l'enthousiasme dans une délibération dont l'influence pouvait avoir la plus grande étendue. L'Assemblée ajourna la motion de M. de la Salcette; celle de M. l'abbé Maury, restée l'objet de la discussion, fut alors combattue par un grand nombre d'orateurs, qui tour à tour employèrent la force du raisonnement ou le trait non moins puissant d'une piquante ironie.

(1) Rappelons ici une circonstance qui dans cette discussion jetait une sorte de défaveur sur les vues philantropiques de M. l'abbé Maury, en même temps qu'elle justifiait la motion de M. de la Salcette. Deux jours auparavant, dans la séance du 16, à l'occasion d'un délai demandé et obtenu pour la déclaration des biens ecclésiastiques, M. l'abbé Maury avait fait à l'Assemblée l'aveu qu'il possédait huit cents fermes.

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M. Blin s'attacha à réunir en peu de mots les plus solides argumens élevés contre l'impôt sur le luxe, et M. le comte Charles de Lameth parut s'être chargé plus particulièrement de diriger les traits de l'épigramme, dont M. l'abbé Maury chercha en vain à déguiser les blessures, soit en riant, soit en baltant des mains avec les autres députés. (1)

M. Blin. « M. l'abbé Maury vous propose , messieurs, de décréler sur le champ la suppression d'un impôt considérable; il veut soulager le peuple, et, par une contradiction bien étrange, il vous engage à créer des octrois dans les villes ; il veut qu'on taxe le luxe, et le salut du peuple est l'objet de ce désir! Il n'a donc pas vu qu'il réduit ainsi deux cent mille hommes å

de pain! Cet impôt sur le luxe, qui ne lui paraît attaquer que les riches, frappe surtout le peuple dans tous ses moyens de travail, d'industrie et de subsistance; malgré son apparence de moralité, aucun impôt n'est plus immoral, puisqu'aucun ne viole autant la liberté, la propriété, et tous les rapports qui lient le pauvre au riche pour le bonheur de tous deux.

» Il est aisé de prouver que cet impôt miséricordieux du luxe mettrait sans pain le quart du royaume. Je vais présenter un seul exemple à l'appui de mon opinion. Une livre de lin vaut quinze ou vingt sols : sous des mains industrieuses elle devient coupon de dentelle, et sa valeur est de 800 livres; ce changement a fait vivre vingt-cinq ouvriers pendant six mois. »

M. le comte Charles de Lámeth. « J'ai entendu avec le plus vif intérêt, mais sans surprise, la motion philantropique de M. l'abbé Maury....

(M. l'abbé Maúry se lève pour interrompre l'orateur, qui n'en continue pas moins son discours :)

(1) C'était une babitude de M. l'abbé Maury. Le 22 du même mois ile, janvier, au moment où l'on prononçait contre lui un décret de censure, motivé sur une de ces apostrophes injurieuses qu'il adressait fréquemment à l'Assemblée , M. l'abbé Maury rendit les applaudissemens unanimes en battant des mains avec tout le monde.

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» Embarrassé du nombre des motions et des orateurs, je ne puis désigner celui dont il s'agit que par son nom.

» Il faut bien que je lui rappelle, avec Montesquieu, que la vertu même a besoin de limites ; qu'en voulant altaquer le luxe qui corrompt les meurs, on ne peut oublier que nous ne cherchons point à constituer une nation nouvelle, mais à régénérer une nation dont le luxe fait la richesse, et pour laquelle le luxe est un besoin; une nation qui, comme les rois, est condamnée à la magnificence.

» Je ferai observer en passant qu'il est plus aisé d'égarer le peuple que de le secourir; que l'honneur de la popularité ne s'acquiert ni dans une ni dans deux séances : je ferai observer que le préopinant se trompe souvent sur l'esprit des décrets de l'Assemblée, et je rappellerai en peu de mots une erreur de cette nature, dont la circonstance actuelle renouvelle le souvenir. Un jour M. l'abbé Maury a réclamé avec force en faveur des domestiques; il a dit qu'on les séparait des autres citoyens : il n'a pas voulu voir que l'Assemblée, en les privant d'être électeurs ou éligibles, a craint seulement l'influence dangereuse de celui qui commande sur ceux qui doivent obéir, et qu'elle a redouté ce que pourrait faire dans les élections un homme qui aurait vingt domestiques... Dans un moment où le peuple a besoin de repos

il ne faut point chercher à l'agiter.

» Renoncer à la faculté de secourir le peuple c'est enlever un plaisir au cour bienfaisant de M. l'abbé Maury. Ne pouvant donc faire croire sans danger au peuple que nous pouvons, si nous le voulons, le soulager des impôts qui l'obsèdent, cherchons un autre moyen. La motion de M. de la Salcette ne peut pas nous l'offrir, car elle produirait un changement trop-fort pour des prélats qui ont un million, 800,000 livres, 500,000 livres de rentes; nous voulons, s'il est possible, faire le bonheur de tous, én ne faisant le malheur de personne. On peut offrir à M. l'abbé Maury, et à tous les ecclésiastiqües dont il est l'organe, une facilité pour remplir leurs vues bienfaisantes : que le clergé, au lieu de payer pour sa contribution patriotique le quart de son revenu, en donne la moitié; ce second quart sera versé dans la caisse des dépar

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temens, et employé directement à secourir les indigens. Mais il est impossible de supprimer les impôts sans les remplacer, et l'on a prouvé que le remplacement proposé par M. l'abbé Maury était plus nuisible au peuple que les impôts mêmes. »

M. l'abbé Maury, convaincu en secret sans doule, ne voulut point cependant laisser trop d'avantage à ses adversaires (il désignait ainsi les orateurs qui combattaient ses opinions); il retira sa motion, mais en déclarant qu'on l'avait mal compris, qu'il n'avait pas précisément proposé un impôt sur le luxe... Un murmure qui s'éleva fit connaître que ses adversaires avaient plus de mémoire que lui. Du reste l'Assemblée adopta la motion de M. le marquis de Lancosme , en créant un comité des impositions, dont nous ferons plus tard connaître les principaux travaux.

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ÉMISSION DES ASSIGNATS-MONNAIE.

1

Rapport fait au nom du comité des Finances par M. Anson.

(Séance du 9 avril 1790.)

9 « Messieurs, par votre décret du 26 février dernier vous avez demandé au premier ministre des finances l'état des besoins de l'année présente et des moyens d'y pourvoir.

» Le premier ministre des finances s'est conformé à ce décret; il vous a adressé un mémoire très-détaillé qui vous a été lu le 6 du mois dernier; il présente le tableau de la situation des revenus en 1790, et des ressources que le ministre vous propose pour suppléer à leur déficit. Votre comité des finances, chargé de l'examen de ce mémoire, vous en a rendu compte

le et, après vous avoir exposé ses vues un peu différentes de celles du premier ministre des finances, il vous a soumis un projet de décret.

Quelques articles de ce projet avaient rapport aux assignats sur les biens donnaniaux et ecclésiastiques, ainsi qu'à la vente de ces biens. Votre décret postérieur du 17 ayant décidé

. i que cette vente serait faite aux municipalités du royaume, et celle de Paris ayant présenté un plan qui avait paru

mém riter votre attention, il était naturel de l'examiner ayant de

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12,

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1

se décider définitivement sur la forme et sur la nature des assignats donnés en paiement à la caisse d'Escomple, qui par ces ventes éprouve nécessairement une altération.

» D'un autre côté les anticipations sur jes revenus ordinaires, qui forment encore dans ce moment une partie considérable de vos ressources journalières, et dont la continuation vous paraît contrarier l'ordre

que vous

voulez établir dans les finances, ne pouvant être subitement abandonnées sans y substituer aussitôt des assignations équivalentes sur des rentrées extraordinaires, vous avez sagement pensé qu'il y avait également lieu de suspendre encore votre décision sur la partie du décret qui en prononçait la cessation.

» Vous nous avez chargés de consérer de tous ces objets tant avec le premier ministre des finances qu'avec les députés du commerce : nous avons rempli vos intentions.

» Voilà les deux objets dont votre comité des finances vient vous rendre compte aujourd'hui.

» Ces assignats doivent tout à la fois suppléer à la rareté du numéraire, et prendre la place des anticipations; c'est donc principalement sur leur valeur, leur activité, leur forme et leur quotité, que je viens vous proposer aujourd'hui, au nom de votre comité, de prendre une délibération définilive.

» Vous voyez, messieurs, que de cette délibération importante dépend le sort de l'année 1790, et par conséquent le succès de tous vos efforts pour assurer les bases de la constitulion sur des fondemens inébranlables.

» Votre comité a cru devoir, messieurs, présenter avec cette précision l'état de la question qui doit vous occuper aujourd'hui, afin d'écarter pour le moment toutes les idées générales sur la dette publique et sur un plan vasle et universel de finances que quelques membres éloquens de cette Assemblée vous offrent de temps en temps : elles sont prémalurées ; elles vous détourneraient de l'objet unique de votre délibération; il ne faut pas perdre de vue que tous les plans de cette nature ne sont applicables qu'à l'année 1791; que vous avez ordonné positivement, par plusieurs de vos décrets, que vos regards ne se porteraient sur l'année

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