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assurerait aussi une meilleure composition de ces tribunaux, en n'y laissant de places que pour les plus excellens sujets; elle produirait d'ailleurs une économie importante sur la Jépense annuelle de la justice.

» A l'égard de la compétence en premier et dernier ressort à attribuer aux tribunaux de district, il ne pourrait y avoir de difficulté sérieuse que pour savoir si le taux de cette compé tence ne devrait pas être augmenté au-dessus de deux cent cinquante livres. Les considérations exposées plus haut pour motiver le dernier ressort des juges de paix jusqu'à cinquante livres reçoivent ici une nouvelle application, en remarquant de plus que, les tribunaux de district étant le premier degré de la justice réglée, c'est en ces tribunaux que seront portées les plus minutieuses affaires entre les citoyens les moins en état de supporter les frais de procédure; que ces tribunaux, obligés de suivre l'exactitude des formes, ne seront accessibles que sous la direction des officiers ministériels qui en occupent les avenues, et que les appels seront portés à des cours supérieures plus éloignées, toujours moins expéditives, et autour desquelles les dépenses inévitables d'abord, et trop ordinairement ensuite les occasions de dépenses superflues, se multiplient.

» Vérifiez la situation du plaideur qui a plaidé par appel dans une cour supérieure, ou même dans un présidial, pour une propriété de dix livres de revenu ou de deux cent cinquante livres de capital : s'il a perdu sa cause, voyez s'il n'a pas perdu deux ou trois fois la valeur de l'objet de ses pour suites; et s'il a gagné le procès, voyez encore s'il est vrai qu'il gagne réellement la valeur de la propriété qui lui est adjugée. Vous protégerez donc l'intérêt particulier en refusant l'appel dans tous les cas où, par la modicité de l'objet en litige, son avantage n'est qu'illusoire quand il n'est pas ruineux, et plus vous donnerez de latitude à cette base de la nouvelle organisation judiciaire, plus il vous deviendra facile d'en simplifier le système général.

» Je m'arrête ici, messieurs, parce que les observations qui se présentent ultérieurement, étant relatives à la constitution de la justice par appel, tiennent à une nouvelle branche

de la discussion ; elles me conduiraient trop loin en cet instant, et seraient d'ailleurs prématurées. Je ne me suis proposé en ouvrant la discussion que de vous présenter de premiers aperçus, d'abord sur l'ordre qui me paraît le plus utile à suivre dans le cours de cette discussion, ensuite sur les vu s qui ont déterminé les premières parties du projet qui vous est soumis, et qui doivent être aussi les premières à prendre en considération.

>> Je pense qu'il est avantageux de commencer par décréter explicitement les maximes constitutives du pouvoir judiciaire; j'en ai dit les raisons, et si elles vous paraissent déterminantes chacun des articles composant le premier titre. du projet doit être délibéré, et faire la matière d'un décret.

» Vous pourrez passer immédiatement après à l'organisation des tribunaux, qui formeront le premier degré de juridiction; vous vérifierez chacune des dispositions que le comité vous a présentées, et dont je viens d'exposer les principaux motifs sur l'établissement des juges de paix et des tribunaux de district.

>>> La constitution du degré supérieur de juridiction pour le jugement des appels, et celle des autres parties nécessaires pour compléter le système judiciaire, viendront se placer successivement dans l'ordre du travail; chacune de ces parties offrira des considérations particulières qu'il serait inutile, disons même nuisible à la bonté et à l'accélération de vos délibérations, de vouloir embrasser toutes à la fois. Je solliciterai, mais avec la plus grande retenue, l'indulgence de l'Assemblée pour lui présenter de nouveaux développemens lorsque le progrès de la discussion aura pu les rendre

utiles. »

Depuis longtemps l'opinion publique s'était prononcée contre l'existence des parlemens; nous avons vu, par la discussion qui eut lieu à l'occasion du décret du 3 novembre 1789, que l'opinion non moins prononcée de l'Assemblée éviterait plus tard de longs débats sur l'entière destruction de ces corporations aristocratiques : dans la discussion qui suivit le discours de M. Thouret les parlemens trou

vèrent en effet peu de défenseurs. Un seul orateur, M.de Cazalès, se fit distinguer par la chaleur et par l'éloquence qu'il déploya en faveur de ces cours; mais dans son dévouement il porta lui-même le coup qui devait les frapper. En finissant M. de Cazalès, dans une intention contraire à l'avis du comité, posa aussi cette question : « l'ordre judiciaire actuel sera-t-il détruit ou seulement réformé ? » Aussitôt une grande partie de l'Assemblée se lève, et veut aller aux voix. Après une discussion fort courte, mais très orageuse, M. de Toulongeon reproduit ainsi la question: « L'ordre judici ire sera-t-il, ou non, reconstitué en entier? » et l'Assemblée décrète l'affirmative.

Trois projets d'organisation du pouvoir judiciaire se partageaient les voix pour la priorité; le projet du comité, celui de M. Chabroux et celui de M. Duport: l'Assemblée ne l'accorda d'abord à aucun; mais, sur la proposition de M. Barrère, elle décréta une série de questions formant la base de tous les projets, et sur lesquelles s'établit la discussion. La première portait: Etablira-t-on des jurés tant en matière civile qu'en matière criminelle? Celte question et les suivantes donnèrent lieu à de longs débats que nous réunirons dans le prochain volume, en les faisant précéder de l'excellent ouvrage d'Adrien Duport sur l'établissement des jurés.

FIN DU TROISIÈME LIVRE.

AVIS AU LECTEUR

Sur la division de l'ouvrage, et principalement sur les livres III et IV de ce volume.

Le peu d'étendue donné aux livres III et IV de ce volume pourrait faire croire que nous avons négligé les matières auxquelles ils sont consacrés : nous devons donner le motif de cette apparente stérilité, que rendrait sans excuse la richesse de la mine que nous exploitons, et qui serait une infraction à nos engagemens si elle n'avait pour but de les mieux remplir. Le livre Ier est complet; il parcourt tout entière l'année 1790. Le second n'offre qu'une discussion, très importante à la vérité; mais avant la délibération sur le droit de paix et de guerre d'autres matières constitutionnelles se présentaient à notre choix : le livre III s'arrête précisément où commence la discussion relative à l'établissement des jurés le livre IV donne un rapport et une adresse sur l'émission des assignats, et se tait également sur la discussion relative à cet objet. Dans chacun de ces trois derniers livres se trouve donc une lacune elle était indispensable; en voici les raisons. Nous n'avons pas cru devoir couper en plusieurs parties des discussions d'un aussi grand intérét; nous avons pensé au contraire que notre travail consistait principalement à réunir ce qui était épars, et à former de toutes ces discussions autant de tableaux d'action dont l'unité ferait surtout le mérite, en offrant à l'esprit une étude sans distraction. La discussion relative à l'exercice du droit de paix et de guerre est en son lieu rapportée en entier fallait-il la couper pour donner place à deux ou trois discours sur le juri, à deux ou trois discours sur les finances? De cette façon aucune de ces grandes discussions ne se fút présentée complète, et tout intérét diminue du moment qu'il est partagé : nous devions craindre ce danger, et nous croyons l'avoir évité par la division de

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l'ouvrage, dont la marche ne cesse pas pour cela d'étre chronologique et historique : nous pouvons d'ailleurs assurer que, sous ces deux rapports, le volume de tables qui terminera l'ouvrage ne laissera rien à désirer. Une méthode contraire nous cút été plus facile; mais elle eút jeté le lecteur dans un grand inconvénient. En suivant, par exemple, l'ordre des temps d'une manière absolue, nous n'eussions fait qu'une vaste gazette; le premier livre, si riche par les incidens, et les trois autres, si importans pour l'étude suivie des différentes législations, se seraient trouvés confondus en une seule narration grossie des matériaux les plus incohérens, et le lecteur, autant de fois détourné de l'objet de son attention que les ordres du jour subissent d'interruptions, n'aurait souvent obtenu qu'après plusieurs mois de date le résultat d'une discussion à laquelle il eút voulu principalement s'attacher.

Ces explications ne nous ont point paru déplacées au milieu des grandes opérations de l'Assemblée; elles sont faites une fois pour toutes. Notre intention bien soutenue est que cet ouvrage réunisse tous les genres d'intérêt dont il est susceptible: l'encourageant accueil qu'il a reçu fait de notre zèle un devoir.

Ainsi, d'après notre plan, il nous reste à former un tableau général des discussions arriérées relatives à la constitution, au pouvoir judiciaire, aux finances, etc., et c'est ce que nous ferons en terminant le choix des travaux de l'Assemblée constituante. Dans la partie constitutionnelle nous rapporterons en note, mais textuellement, pour l'intelligence des discussions, la constitution proclamée en 1791; précieux dépôt que cette immortelle Assemblée, par ces paroles sublimes, avait remis « à la » fidélité du corps législatif, du roi et des juges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, » à l'affection des jeunes citoyens, au courage de tous les » Français!... »

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