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grand exemple de sagesse et de justice lorsque, dans le même instant où vous vous abstiendrez d'employer l'autorité civile maintenir l'effet extérieur des vœux, vous conserverez cependant les asiles du cloître aux religieux jaloux de mourir sous leur règle.

pour

» C'est pour remplir ce double objet que nous vous proposerons de laisser à tous les religieux une liberté entière de quitter leur cloître ou de s'y ensevelir.

» En leur permettant de rentrer dans le monde vous n'auriez encore rien fait pour eux si vous ne leur assuriez pas en même temps le moyen d'y subsister: morts à la société, les religieux n'ont plus de propriétés, plus de successions à réclamer ou à attendre; vous ne pourriez leur donner une seconde vie sans porter l'alarme et le trouble dans toutes les familles; ils ne peuvent donc exister que par vos secours. Votre comité vous proposera à cet égard les mesures qui lui ont paru les plus sages.

Vous sentez, messieurs, que les circonstances fâcheuses qui nous environnent ne permettent d'assurer aux religieux qui sortiront du cloître que le simple nécessaire; le vœu dont ils sont liés ne leur permet pas d'exiger davantage; mais le nécessaire est le même pour tous, et nous avons cru en conséquence ne devoir faire aucune distinction entre les religieux des différens ordres; ils ont tous un droit égal à leur subsistance : la différence de l'âge a dû seule nous frapper, parce qu'elle en peut entraîner une dans les besoins. Cependant les abbés réguliers ne pourraient-ils pas être distingués des simples religieux? Ils ont une administration, une juridiction, une prélature; et ces motifs déterminent votre comité à vous proposer pour eux une pension un peu plus forte; ils ne sont pas en assez grand nombre pour que cette extension devienne jamais onéreuse.

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»

Quant aux religieux qui resteront dans le cloître, ils ne s'y déterminent que par un amour louable, un vif amour de la règle qu'ils ont embrassée : il est juste d'entrer dans leur esprit, et c'est pour favoriser leurs pieuses intentions que le comité vous propose de les réunir en nombre suffisant pour garantir une exacte observation de cette règle

qu'ils chérissent, et de les fixer de préférence dans les campagnes ou dans les petites villes, afin de les rappeler autant qu'il sera possible à leur première institution.

» Si des considérations d'un intérêt temporel pouvaient influer sur vos décrets, votre comité vous observerait que ce nouvel ordre de choses sera utile sous un double rapport: la présence des religieux vivifiera les campagnes qu'ils habiteront, et vous acquerrez d'ailleurs la libre disposition de leurs terreius situés dans les capitales; ressource immense, ressource bien précieuse dans notre position critique.

» Quand nous vous proposons de fixer de préférence les religieux à la campagne ou dans les petites villes, nous ne prétendons pas cependant les exclure absolument des villes plus considérables; les maisons qui offriraient de se vouer au soulagement des malades, celles que vous jugeriez dignes de présider à l'éducation publique, ou qui vous paraîtraient utiles aux progrès des sciences, mériteront toujours de la faveur, surtout dans les lieux où l'on manque de pareils établissemens.

>> Sans doute, messieurs, vous ne refuserez pas à ces maisons, ainsi conservées par des motifs d'utilité publique, le droit et le moyen de se régénérer; mais, dans le moment où tous les regards se tournent vers la liberté, nous sommes loin de vous proposer d'admettre une perpétuité de vœux que l'inconstance des esprits et l'instabilité des choses ne sauraient comporter.

» Vous croirez sans peine, messieurs, qu'en nous occupant du sort des religieux nous n'avons pas oublié d'autres victimes que la faiblesse de leur sexe rend encore plus intéressantes. Elles sont dignes en effet de toute votre protection, et votre cœur, qui jusqu'à ce jour a répondu à toutes les plaintes qu'on vous a adressées, ne sera pas froid et insensible pour elles seules; mais leurs besoins, leurs occupations, leurs goûts, leurs habitudes sont si différens des goûts, des besoins, des habitudes et des occupations de notre sexe, qu'elles méritent un réglement particulier, dont votre comité s'occupe, et qui sera l'objet d'un autre rapport.

» Il ne me reste actuellement qu'à vous parler de la dota

tion des maisons qui seront conservées. Votre comité a pensé que le moment était venu d'attaquer la répartition trop inégale des revenus ecclésiastiques, et qu'il fallait fixer à chaque maison le même revenu, à raison d'une somme déterminée pour chaque religieux qui l'habitera. Ainsi disparaîtra ce révoltant contraste qui offre quelques ordres environnés de tout le faste de l'opulence, et qui voue les autres à la honte d'une mendicité que vous aurez la gloire de détruire.

» Il a paru aussi à votre comité également prudent et économique de charger chaque maison de tous les frais relatifs au culte et des réparations de ses bâtimens. C'est en considération de cette double obligation que nous croyons devoir vous proposer d'assurer aux maisons conservées 800 livres pour chaque religieux.

» Mais comment leur fournirez-vous ce revenu? Leur assignerez-vous des fonds? les paierez-vous en argent?

» Cette question, très-importante, se trouve intimement liée à celle de l'administration future de tous les biens du clergé vous n'avez pas encore décidé, messieurs, si vous laisserez toujours aux ecclésiastiques l'administration qu'ils ont eue jusqu'à ce moment, ou si vous vous déterminerez à ne fournir que des salaires pécuniaires aux ministres du culte.

» Un objet si grave a dû nécessairement occuper votre comité, et je ne dois pas dissimuler que les avis y sont partagés. Nous ne pouvons donc que vous proposer de suspendre encore pour quelques momens votre décret sur l'administration des biens des religieux; ils subiront la loi qu'il vous plaira de donner à tous les autres biens du clergé.

» Vous connaissez, actuellement, messieurs, les motifs qui ont dicté à votre comité les articles qu'il croit devoir vous soumettre : ma dernière mission est de vous en donner lecture; heureux si votre comité peut se flatter d'avoir rempli vos intentions, et d'avoir justifié la confiance dont vous l'avez honoré! » (Suivait le projet.)

DISCUSSION. (Séance du 12.)

Les débats trop généraux qui suivirent la lecture de ce

rapport amenèrent l'Assemblée à adopter d'abord un mode de discussion établi sur ces trois questions:

« 1°. Abolira-t-on les ordres religieux ?

» 2°. Quel sort fera-t-on aux religieux qui ne voudront pas rester dans les maisons et dans l'habit de leur ordre?

» 3°. Quel sort fera-t-on à ceux qui voudront rester dans les maisons et dans l'habit de leur ordre ?

Ces questions posées, le premier orateur qui obtint la parole fut M. le duc de la Rochefoucauld:

« Il y a longtemps, messieurs, que l'opinion publique en France a décidé la question soumise en ce moment à nos délibérations; il y a longtemps qu'elle demande la suppression des ordres religieux. Quand vous avez mis les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation vous avez entendu autour de vous un applaudissement universel; quand vous avez suspendu provisoirement l'émission des vœux, du fond des cloîtres et du milieu du monde se sont élevées vers vous des voix reconnaissantes : en supprimant les ordres religieux vous ne ferez qu'achever un ouvrage dont le plan a été tracé déjà dans vos précédens décrets, et pour lesquels vous avez reçu ces remerciemens des hommes, la véritable sanction des lois.

» Je ne conteste pas les services qu'ont pu rendre les ordres religieux à l'agriculture, lorsqu'il n'y avait que des déserts; aux lettres, lorsque l'ignorance était universelle; à la religion, lorsqu'elle était la seule morale des peuples de l'Europe, ivres de la fureur des guerres. Mais tout est changé avec les siècles : la religion, défendue par des écrivains immortels dont l'éloquence étonne la logique la plus exacte et la philosophie la plus hardie, n'a plus besoin que de ces vertus actives et pratiques que déploie le clergé séculier dans le service du culte; les lettres, dont le goût s'est répandu dans toutes les classes de la société, ne peuvent plus faire de progrès que par les sciences naturelles, dont les cloîtres ne peuvent pas être de bonnes écoles; l'agriculture enfin, qui a couvert de riches productions le sol d'un si bel empire, pourra être perfec

tionnée encore si les vastes domaines réunis dans les mains d'un seul abbé ou dans une seule maison religieuse sont divisés par petites portions entre les mains d'un grand nombre de pères de famille qui travailleront pour leurs enfans.

» Ainsi donc je conclus, avec l'opinion publique, à ce que les ordres religieux soient abolis, et cette abolition doit être entière, en conservant cependant à ceux qui le désireront la liberté de vivre dans les monastères. »>

M. l'abbé Grégoire.

« Je commence par ma profession de foi je ne crois pas qu'on doive abolir en entier les établissemens religieux; le culte, les sciences et l'agriculture demandent que quelques-uns soient conservés. Il n'y a pas assez de prêtres séculiers; il est nécessaire de se ménager des troupes auxiliaires. Les moines, dit-on, ne sont pas nécessaires à l'agriculture oui; mais ils lui sont utiles. Je conviens, quant à l'éducation, qu'il n'est point indispensable de les charger encore d'y concourir. Lorsqu'ils auront été élevés dans les principes de notre constitution ils pourront être plus propres à ces sortes de fonctions que des citoyens libres, que des prêtres séculiers. Relativement aux sciences, en voyant ce qu'ils ont été, on verra ce qu'ils peuvent être : les abbayes de Saint-Germain-des-Prés et de Sainte-Geneviève rendent chaque jour aux lettres des services importans; elles sont remplies de savans distingués; on y continue en ce moment la Gallia christiana, etc. Sous tous ces rapports, il serait impolitique et dangereux de supprimer en entier les établissemens ecclésiastiques. »

M. Pétion de Villeneuve.

« C'est un principe constant que tous les corps étant faits par la société, la société peut les détruire s'ils sont inutiles, s'ils sont nuisibles. Voyons si les religieux sont utiles, s'ils ne sont pas nuisibles.

>>

Autrefois les religieux priaient et travaillaient ; aujourd'hui ils ne travaillent plus ce sont des bras ravis à l'agriculture,

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