délinquant; de plus elle sera et demeurera affichée au pilori pendant trois mois. » « Ne doutez pas,continua M. Guillotin, ne doulez pas un seul instant, messieurs, que le préjugé se dissipe; cette révolution sera l'ouvrage du temps. Rien n'est si difficile que de détruire une soltise qui s'est accrochée au prétexte imposant de l'honneur; elle tient à un sentiment presque irrésistible que l'habitude a identifié avec notre existence sociale; mais quand celle sollise fait une partie de nos mæurs et s'est mariée avec d'autres usages aussi peu réfléchis, il semble qu'elle soit indes- > tructible : or, tel est le préjugé de cette infamie liéréditaire que nos ancêtres avaient consacrée depuis tant de siècles. La révolution étant universelle, elle frappera sur cette inconséquence morale qui fait partager à l'innocence les peines d'un crime ou d'un délit. Sans ce bouleversement général de la législation, cette erreur aurait résisté encore pendant plusieurs siècles aux déclamations des orateurs, aux efforts combinés de la pbilosophic et des lois. C'est dans le peuple surtout qu'elle s'était fixée, car la noblesse en avait secoué le joug; or les vérilés morales sont difficilement saisies par un peuple égaré qui respecte par habitude tout ce qui lui a été transmis par ses pères, et adore religieusement jusqu'au mensonge qu'il a eriendu répéter dès son berceau. Il faut espérer que le peuple s'empressera de s'instruire. Admis dans différens emplois à quelques parties de l'administration, il s'éclairera prompletement; il apprendra les lois de son pays, qu'il ignorait, et la vérité sera substituée à une foule de sottises avec lesquelles la cupidité sacerdotale ou le despotisme des souverains amusaient sa faiblesse et sa crédulité. » Cependant l'Assemblée ajourna ces deux articles, en les renvoyant au comité chargé de réformer la jurisprudence criminelle. (Nous reviendrons sur la proposition principale de M. Guillotin lorsqu'elle sera l'objet d'une délibération.) Le décret ci-dessus rapporlé était rendu depuis trois jours, et déjà ses dispositions bienfaisantes consolaient une nombreuse famille. Les frères Agasse avaient tout récemment été condamnés à mort par sentence du Châtelet : le 24 janvier pne députation du district Saint-Honoré se rendit chez les parens des condamnés pour leur porter , au nom de leurs concitoyens , les assurances les plus touchantes d'intérêt, d'anion, de secours, enfin de tous les sentimens que mérite la vertu outragée par les préventions. Le 25 la même députation rendit compte à l'Assemblée de cette honorable démarche, et M. Target, président, lui fit la réponse suivante : « Messieurs, il n'appartient qu'à des actions aussi nobles qne la vôtre d'ajouter au zèle dont l'Assemblée nationale est animée pour les progrès de la verlu , du véritable honneur et des mæurs patriotiques. J'oserai dire en son nom que vous avez déployé plus de puissance qu'elle-même : elle a fait la loi; l'instant d'après vous donnez l'exemple, et tout le monde sait combien , dans les matières qui tiennent à l'opinion, les exemples sont au-dessus des lois. » ORGANISATION DU POUVOIR JUDICIAIRE. 1 2 7 Discours de M. Thouret en ouvrant la discussion sur la nous velle organisation du pouvoir judiciaire.(24 Mars 1790.) Le 17 août 1789 le comité de constitution, par l'organe de M. Bergasse, avait soumis à l'Assemblée un premier projet d'organisation du pouvoir judiciaire; le 22 décembre suivant M. Thouret, au nom du même comité, proposa un second projet; l'Assemblée nationale, par son décret du 3 novembre 1789, avait en oulre ordonné que les parlemens resteraient en vacances jusqu'à l'époque où elle s'occuperait de la nouvelle organisation judiciaire. (Voyez notre premier volume, pages 369 et suivantes.) Cette grande et importante discussion, qui dès le premier jour décida de tous les tribunaux alors existans en France, s'ouvrit le 24 mars 1790, par le discours ci-après de M. Thouret : « Messieurs, la matière dont vous venez d'ouvrir la discussion offre un grand intérêt à vos délibérations : le pouvoir judiciaire est celui des pouvoirs publics dont l'exercice habituel aura le plus d'influence sur le bonheur des particuliers, sur le progrès de l'esprit public, sur le maintien de l'ordre politique et sur la stabilité de la constitution. Après ce que vous : avez fait votre devoir est devenu plus impérieux sur ce qui vous reste à faire : c'est lorsqu'on est parvenu au milieu d'une longue et difficile carrière que le courage et la vigilance doivent se ranimer pour atteindre le but. » Le veu de la France s'est fait entendre : la réforme de la justice et des tribunaux est un de ses premiers besoins, et la confiance publique dans le succès de la régénération va s'accroitre ou s'affaiblir, selon que le pouvoir judiciaire sera bien ou mal organisé. » Cette matière, qui an premier coup d'ail présente un champ si vaste, se réduit cependant par l'analise à quelques points principaux dont la décision abrégerait beaucoup le travail. » Le comité vous a proposé, par le premier tilrede son projet, de décréter les maximes constitutionnelles par lesquelles le pouvoir judiciaire doit èire défini, organisé et exercé : le motif qui l'y a porté est le même qui vous a déterminés à placer à la tête de la constitution le titre des L'HOMME ET DU CITOYEN. L'exercice du pouvoir judiciaire a été si étrangement dénaturé en France, qu'il est devenu nécessaire non seulement d'en rechercher les vrais principes, mais de les tenir sans cesse présens à tous les esprits, et de préserver à l'avenir les juges, les administrateurs et la nation elle-même des fausses opinions dont elle a été victime jusqu'ici. En décrétant d'abord les maximes constitutionnelles vous remplirez ce grand objet d'utilité publique, et vous acquerrez pour vous-mêmes un moyen sürde reconnaître, dans la suite de la discussion, les propositions que vous devez admettre ou que vous pourrez examiner, de celles qui ne mériteraient pas même DROITS DE votre examen. » Le plus bizarre et le plus mallaisant de tous les abus qui ont corrompu l'exercice du pouvoir judiciaire était que des corps et de simples particuliers possédassent patrimonialement, comme on le disait, le droit de faire rendre la justice en leur nom; que d'autres particuliers pussent acquérir à titre d'aéRÉDITÉ OU D'achat le droit de juger leurs concitoyens, et que les justiciables fussent obligés de payer les juges pour obtenir un acte de justice. Le comité vous propose, par les cinq premiers articles du titre Ier de son projet, de consacrer comme maximes inaltérables que la justice ne peut être rendue qu'au nom du roi; que les juges doivent être élus par les justiciables et institués par le roi; qu'aucun office de judicature ne pourra être vénal, et que la justice sera rendue gratuitement. » Le second abus qui a dénaturé le pouvoir judiciaire en France, était la confusion établie dans les mains de ses dépositaires des fonctions qui lui sont propres avec les fonctions incompatibles et incommunicables des autres pouvoirs publics : émule de la puissance législative, il révisait, modifiait ou rejetait les lois; rival du pouvoir administratif, il en troublait les opérations, en arrêtait le mouvement, et en inquiétait les agens. » N'examinons pas quelles furent à la naissance de ce désordre politique les circonstances qui en firent tolérer l'introduction, ni s'il fut sage de ne donner aux droits de la nation d'autre sauvegarde contre l'autorité arbitraire du gouvernement que l'autorité aristocratique des corporations judiciaires, dont l'intérêt devait être alternativement tantôt de s'élever au nom du peuple au-dessus du gouvernement, et tantôt de s'unir au gouvernement contre la liberté du peuple; ne cherchons pas encore à vérifier, par la balance des biens et des maux publics que cette fausse spéculation a produits, si la violation des vrais principes a été rachetée par une suffisante compensation d'avantages réels: disons qu'un tel désordre est intolérable dans une bonne constitution, et que la nôtre fait disparaître pour l'avenir les motifs qui ont pu le faire supporter précédemment; disons qu'une nation qui exerce la puissance législative par un corps permanent de représentans ne peut pas laisser aux tribunaux exécuteurs de ses lois, et soumis à leur autorité, la faculté de réviser ces lois; disons enfin que, quand cette nation élit ses administrateurs, les ministres de la justice distributive ne doivent point se mêler de l'administration dont le soin ne leur est pas confié. Le comité a consigné ces principes dans les art. 6, 7, 8 et 9 du titre 1er de son projet : ils établissent l'entière subordination des cours de justice à la puissance législative, et séparent très-explicitement le pouvoir judiciaire du pouvoir d'administrer. » Le troisième abus qui déshonorait la justice en France était la souillure des priviléges, dont l'invasion s'était étendue jusque dans son sanctuaire. Il y avait des tribunaux privilé у giés et des formes de procédure privilégiées pour de certaines classes de plaideurs, privilégiés: on distinguait en matière criminelle un délit privilégié d'un délit commun : des défenseurs privilégiés des causes d'autrui possédaient le droit exclusif de plaider pour ceux mêmes qui pouvaient se passer de leur secours ; car il est bien remarquable qu'aucune loi en France n'a consacré le droit naturel de chaque citoyen de se défendre lui-même en matière civile, lorsque la loi criminelle le privait d'un défenseur pour la protection de sa vie : enfin le droit égal de tous les justiciables d'être jugés à leur tour, sans préférences personnelles, était violé par l'arbitraire le plus désolent ; un président qui ne pouvait pas être forcé d'accorder l'audience, un rapporteur qu'on ne pouvait pas contraindre de rapporter, étaient les maîtres de faire que vous ne fussiez pas jugé, ou que vous ne le fussiez que lorsque l'intérêt d'obtenir le jugement avait péri par un trop long retardement. » Une sage organisation du pouvoir judiciaire doit rendre inipossibles à l'avenir toutes ces injustices, qui détruisent l'égalité civile des citoyens dans la partie de l'administration publique où cette égalité doit être la plus inviolable. Il ne s'agit pas lå de simples réformes en législation, mais de points vraiment constitutionnels. Le comité a réuni, dans les articles 12, 13, 14, 15 et 16 du titre 1 er de son projet, les dispositions qui lui ont paru nécessaires pour anéantir les priviléges en matière de juridiction, les distractions de ressort, les entraves à la liberté de la défense personnelle, et toute préférence arbitraire dans la distribution de la justice. » Toutes les maximes renfermées dans ce premier titre du projet sont les bases nécessaires d'une bonne constitution du pouvoir judiciaire; elles nous ont paru d'une vérité absolue, et indépendante du parti que vous voudrez adopter ensuite sur le nombre, la composition et la distribution des tribunaux. La forme des instrumens par lesquels le pouvoir judiciaire peut être exercé est variable jusqu'à un certain point; mais les principes qui fixent sa nature pour le rendre propre |