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prouvera pas d'avoir remis à votre décision des articles qu'il a sollicités; c'est entrer dans ses vues que d'en accélérer le succès. Il en a mieux que je ne pourrais le faire exposé la nécessité et l'importance. Ne différez donc plus; rendez la vie, sauvez l'honneur des familles nombreuses de cette capitale et des provinces; prononcez un décret qui deviendra pour le royaume un bienfait universel! >>

Ce discours entendu, et après une légère discussion, l'Assemblée proclame le décret suivant (20 janvier 1790):

« Art. 1. Les délits du même genre seront punis par le même genre de peine, quels que soient le rang et l'état des coupables.

» Art. 2. Les délits et les crimes étant personnels, le supplice d'un coupable et les condamnations infamantes quelconques n'impriment aucune flétrissure à sa famille. L'honneur de ceux qui lui appartiennent n'est nullement entaché, et tous continueront d'être admissibles à toute sorte de profession, d'emploi, de dignité.

» Art. 3. La confiscation des biens des condamnés ne pourra jamais être prononcée dans aucun cas.

» Art. 4. Le corps du supplicié sera délivré à sa famille si elle le demande. Dans tous les cas il sera admis à la sépulture ordinaire, et il ne sera fait sur le registre aucune mention genre de mort.

du

M. Guillotin prit ensuite la parole pour renouveler sa proposition des deux articles suivans, déjà soumis à l'Assemblée le 1er décembre 1789:

<< 1o Dans tous les cas où la loi prononcerait la peine de mort contre un accusé, le supplice sera le même, quelle que soit la nature du délit dont il se sera rendu coupable. Le criminel sera décapité. Il le sera par l'effet d'un simple mécanisme (1).

(1) Lorsque, le 1er décembre 1789, M. Guillotin, s'élevant contre l'infamie de l'office du bourreau, proposa à l'assemblée de substituer à la main d'un homme une pièce mécanique qui trancherait la tête du

» 2° Nul ne pourra reprocher à un citoyen le supplice ni les condamnations infamantes quelconques d'un de ses parens; celui qui osera le faire sera réprimandé publiquement par le juge. La sentence qui interviendra sera affichée à la porte du

coupable sans prolonger le supplice, il employa ces expressions démonstratives: Avec ma machine, dit-il, je vous fais sauter la tête d'un clin-d'œil, et vous ne souffrez point; et ces expressions égayèrent certains écrivains qui certes montraient moins d'humanité que le respectable opinant. Nous rappellerons à ce sujet des réflexions insérées dans le Moniteur du 18 décembre 1789 :

« Sur la motion de M. le docteur Guillotin, relative au choix d'une mécanique dont le jeu trancherait la tête aux criminels en un clin-d'œil, on trouve dans quelques feuilles publiques des trivialités indécentes. Le peuple français a aussi quelque chose à perdre à la révolution ; ce sont des habitudes basses dans lesquelles l'ancien régime cherchait à le fortifier avec tant de complaisance : de ces habitudes la plus méprisable est celle de plaisanter sur les supplices. Depuis l'épée de Charlemagne surnommée la Joyeuse jusqu'au surnom de la Veuve, qu'une certaine classe du peuple a donné à la potence, on reconnait dans notre nation une infirmité de l'esprit dont le siége est dans l'âme. Le langage d'un peuple libre ne doit rien exprimer qui soit indigne de son caractère. » Si l'on y réfléchit on verra que dans ces momens d'orage on a porté la peine d'avoir maintenu la plus nombreuse partie de la nation dans un éloignement total d'un certain ordre d'idées justes et de sentimens honnêtes. Un peuple qui se joue des sentimens cruels dans ses expressions ne peut être retenu par des idées de justice dans ses vengeances, et dans ce sens on peut dire hautement que tant de juges si sévères des actions cruelles chez le peuple méritent d'en être regardés eux-mêmes comme les véritables complices.

» Revenons à la proposition de M. Guillotin; il est peut-être le premier qui dans une assemblée de législateurs ait parlé des supplices avec humanité, et de leurs douleurs ignominieuses avec un véritable intérêt.

» L'innovation de mettre la mécanique à la place d'un exécuteur, qui, comme la loi, sépare la sentence du juge, est digne du siècle où nous allons vivre et du nouvel ordre politique où nous sommes; elle écarte un peuple adonné à un genre de spectacle dont il est honteux à tout gouvernement de faire une ressource; elle prépare eufin l'anéantissement du préjugé qui flétrit, à la honte de la nation entière, toute une famille honnête par le supplice que la loi prononce contre un criminel. »

délinquant; de plus elle sera et demeurera affichée au pilori pendant trois mois. »

Ne doutez pas, continua M. Guillotin, ne doutez pas un seul instant, messieurs, que le préjugé se dissipe; cette révolution sera l'ouvrage du temps. Rien n'est si difficile que de détruire une sottise qui s'est accrochée au prétexte imposant de l'honneur; elle tient à un sentiment presque irrésistible que l'habitude a identifié avec notre existence sociale; mais quand cette sottise fait une partie de nos mœurs et s'est mariée avec d'autres usages aussi peu réfléchis, il semble qu'elle soit indestructible: or, tel est le préjugé de cette infamie liéréditaire que nos ancêtres avaient consacrée depuis tant de siècles. La révolution étant universelle, elle frappera sur cette inconséquence morale qui fait partager à l'innocence les peines d'un crime ou d'un délit. Sans ce bouleversement général de la législation, cette erreur aurait résisté encore pendant plusieurs siècles aux déclamations des orateurs, aux efforts combinés de la philosophic et des lois. C'est dans le peuple surtout qu'elle s'était fixée, car la noblesse en avait secoué le joug; or les vérités morales sont difficilement saisies par un peuple égaré qui respecte par habitude tout ce qui lui a été transmis par ses pères, et adore religieusement jusqu'au mensonge qu'il a entendu répéter dès son berceau. Il faut espérer que le peuple s'empressera de s'instruire. Admis dans différens emplois à quelques parties de l'administration, il s'éclairera promptetement; il apprendra les lois de son pays, qu'il ignorait, et la vérité sera substituée à une foule de sottises avec lesquelles la cupidité sacerdotale où le despotisme des souverains amusaient sa faiblesse et sa crédulité. »

Cependant l'Assemblée ajourna ces deux articles, en les ren voyant au comité chargé de réformer la jurisprudence criminelle. (Nous reviendrons sur la proposition principale de M. Guillotin lorsqu'elle sera l'objet d'une délibération.)

Le décret ci-dessus rapporté était rendu depuis trois jours, et déjà ses dispositions bienfaisantes consolaient une nombreuse famille. Les frères Agasse avaient tout récemment été condamnés à mort par sentence du Châtelet : le 24 janvier

une députation du district Saint-Honoré se rendit chez les parens des condamnés pour leur porter, au nom de leurs concitoyens, les assurances les plus touchantes d'intérêt, d'union, de secours, enfin de tous les sentimens que mérite la vertu outragée par les préventions. Le 25 la même députation rendit compte à l'Assemblée de cette honorable démarche, et M. Target, président, lui fit la réponse suivante :

«

que

Messieurs, il n'appartient qu'à des actions aussi nobles la vôtre d'ajouter au zèle dont l'Assemblée nationale est animée pour les progrès de la vertu, du véritable honneur et des mœurs patriotiques. J'oserai dire en son nom que vous avez déployé plus de puissance qu'elle-même : elle a fait la loi; l'instant d'après vous donnez l'exemple, et tout le monde sait combien, dans les matières qui tiennent à l'opinion, les exemples sont au-dessus des lois. >>

ORGANISATION DU POUVOIR JUDICIAIRE.

Discours de M. Thouret en ouvrant la discussion sur la nouvelle organisation du pouvoir judiciaire. (24 Mars 1790.)

Le 17 août 1789 le comité de constitution, par l'organe de M. Bergasse, avait soumis à l'Assemblée un premier projet d'organisation du pouvoir judiciaire; le 22 décembre suivant M. Thouret, au nom du même comité, proposa un second projet; l'Assemblée nationale, par son décret du 3 novembre 1789, avait en outre ordonné que les parlemens resteraient en vacances jusqu'à l'époque où elle s'occuperait de la nouvelle organisation judiciaire. (Voyez notre premier volume, pages 369 et suivantes.) Cette grande et importante discussion, qui dès le premier jour décida de tous les tribunaux alors existans en France, s'ouvrit le 24 mars 1790, par le discours ci-après de M. Thouret :

<< Messieurs, la matière dont vous venez d'ouvrir la discussion offre un grand intérêt à vos délibérations: le pouvoir judiciaire est celui des pouvoirs publics dont l'exercice habituel aura le plus d'influence sur le bonheur des particuliers, sur le progrès de l'esprit public, sur le maintien de l'ordre

politique et sur la stabilité de la constitution. Après ce que vous avez fait votre devoir est devenu plus impérieux sur ce qui vous reste à faire: c'est lorsqu'on est parvenu au milieu d'une longue et difficile carrière que le courage et la vigilance doivent se ranimer pour atteindre le but.

» Le vœu de la France s'est fait entendre: la réforme de la justice et des tribunaux est un de ses premiers besoins, et la confiance publique dans le succès de la régénération va s'accroître ou s'affaiblir, selon que le pouvoir judiciaire sera bien ou mal organisé.

» Cette matière, qui au premier coup d'œil présente un champ si vaste, se réduit cependant par l'analise à quelques points principaux dont la décision abrégerait beaucoup le travail.

» Le comité vous a proposé, par le premier titre de son projet, de décréter les maximes constitutionnelles par lesquelles le pouvoir judiciaire doit être défini, organisé et exercé le motif qui l'y a porté est le même qui vous a déterminés à placer à la tête de la constitution le titre DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN. L'exercice du pouvoir judiciaire a été si étrangement dénaturé en France, qu'il est devenu nécessaire non seulement d'en rechercher les vrais principes, mais de les tenir sans cesse présens à tous les esprits, et de préserver à l'avenir les juges, les administrateurs et la nation elle-même des fausses opinions dont elle a été victime jusqu'ici. En décrétant d'abord les maximes constitutionnelles vous remplirez ce grand objet d'utilité publique, et vous acquerrez pour vous-mêmes un moyen sûr de reconnaître, dans la suite de la discussion, les propositions que vous devez admettre ou que vous pourrez examiner, de celles qui ne mériteraient pas même

Votre examen.

» Le plus bizarre et le plus malfaisant de tous les abus qui ont corrompu l'exercice du pouvoir judiciaire était que des corps et de simples particuliers possédassent patrimonialement, comme on le disait, le droit de faire rendre la justice en leur nom; que d'autres particuliers pussent acquérir à titre d'néRÉDITÉ OU D'ACHAT le droit de juger leurs concitoyens, et que les justiciables fussent obligés de payer les juges pour obtenir

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