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dans la théorie; et nous verrons alors si mon décret ne réalise pas mieux que tout autre cette théorie.

>> On vous a proposé de juger la question par le parallèle de ceux qui soutiennent l'affirmative et la négative: on vous a dit que vous verriez d'un côté des hommes qui espèrent s'avancer dans les armées, ou parvenir à gérer les affaires étrangères; des hommes qui sont liés avec les ministres et leurs agens de l'autre le citoyen paisible, vertueux, ignoré, sans ambition, qui trouve son bonheur et son existence dans l'existence, dans le bonheur commun.

» Je ne suivrai pas cet exemple. Je ne crois pas qu'il soit plus conforme aux convenances de la politique qu'aux principes de la morale d'affiler le poignard dont on ne saurait blesser ses rivaux sans en ressentir bientôt sur son propre sein les atteintes : je ne crois pas que des hommes qui doivent servir la cause publique en véritables frères d'armes aient bonne grâce à se combattre en vils gladiateurs, à lutter d'imputations et d'intrigues, et non de lumières et de talens ; à chercher dans la ruine et la dépression les uns des autres de coupables succès, des trophées d'un jour, nuisibles à tous et même à la gloire. Mais je vous dirai: parmi ceux qui soutiennent ma doctrine vous compterez tous les hommes modérés qui ne croient pas que la sagesse soit dans les extrêmes, ni que le courage de démolir ne doive jamais faire place à celui de reconstruire; vous compterez la plupart de ces énergiques citoyens qui, au commencement des états généraux (c'est ainsi que s'appelait alors cette convention nationale, encore garottée dans les langes de la liberté), foulèrent aux pieds tant de préjugés, bravèrent tant de périls, déjouèrent tant de résistance pour passer au sein des communes, à qui ce dévouement donna les encouragemens et la force qui ont vraiment opéré votre révolution glorieuse; vous y verrez ces tribuns du peuple que la nation comptera longtemps encore, malgré les glapissemens de l'envieuse médiocrité, au nombre des libérateurs de la patrie; vous y verrez des hommes dont le nom désarme la calomnie, et dont les libellistes les plus effrénés n'ont pas essayé de ternir la réputation ni d'hommes privés ni d'hommes publics; des hommes

enfin qui, sans tache, sans intérêt et sans crainte,'s'honoreront jusqu'au tombeau de leurs amis et de leurs ennemis.

» Je conclus à ce qu'on mette en délibération mon projet de décret amendé par M. Chapelier. »

Aussitôt après cette réplique on demande de toute part à aller aux voix : le président consulte l'Assemblée, et prononce que la discussion est fermée. Néanmoins M. Charles de Lameth fait observer que M. de Mirabeau ayant obtenu de répondre à M. Barnave, il est de toute justice que M. Barnave puisse à son tour réfuter M. de Mirabeau ; M. de Noailles fait la même motion; M. de La Fayette l'appuie, en annonçant qu'il prendra la parole après M. Barnave pour combattre son système; enfin M. de Mirabeau lui-même témoigne le désir que M. Barnave soit entendu une seconde fois : mais l'Assemblée, consultée de nouveau, persiste dans sa première décision; la discussion est fermée, et M. Barnave n'est pas entendu.

On fait alors lecture de tous les projets de décret proposés; ils sont au nombre de vingt-deux. M. de Castellane demande la priorité pour le projet de M. de Mirabeau amendé par M. Chapelier; MM. Alexandre et Charles de Lameth la réclament pour celui de M. Barnave. Dans les opinions qui se croisent nous remarquons les deux suivantes :

M. Barnave.

« On a fait la motion d'accorder la priorité au décret de M. de Mirabeau amendé par M. Chapelier, quoique ce projet soit différent de celui qui avait d'abord été proposé, et qui, restant dans les archives de l'histoire, n'a pas besoin qu'on s'occupe à l'analiser. Il ne doit pas l'obtenir s'il n'énonce le vœu réel de la majorité de l'Assemblée. (Murmures.) Je demande si le vœu réel de la majorité de l'Assemblée n'est pas d'accorder l'initiative au roi, et la décision au corps législatif; je demande si l'intention de l'Assemblée n'est pas que, pour constituer la nation en état de guerre, on ait préalablement réuni la volonté du roi, qui proposera, et celle de la législature, qui consentira. Je dis que, si c'est là le but, le projet pro

posé ne le touche pas, même avec l'amendement de M. Chapelier; il est contraire aux principes d'une constitution bien ordonnée. L'initiative, la sanction et le décret ne peuvent jamais être confondus: entre les différens pouvoirs, l'un atoujours primativement l'initiative, l'autre le décret ou la sanction. L'Assemblée nationale a décrété que les lois se feraient toujours sur la notion d'un de ses membres : il n'en peut être de même pour une déclaration de guerre; tout ce qui doit la précéder et y conduire ne peut se préparer dans l'Assemblée. Les motifs qui vous ont engagés à donner le veto au roi sont les mêmes pour l'initiative; ainsi donc il est inutile d'altérer les formes simples de la constitution, et d'introduire une confusion de pouvoirs. Donner au corps législatif non pas le droit de décréter la guerre, mais un droit négatif sur la guerre, donner au pouvoir exécutif le droit de la commencer, c'est prendre une forme moins constitutionnelle, moins convenable à la majesté nationale et à celle du roi. Le décret de M. de Mirabeau ne présente aucune détermination claire, et ne peut avoir la priorité. »

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M. de La Fayette.

c'est

Messieurs, je ne dirai qu'un mot sur la priorité. Je l'ai demandée pour le projet de M. de Mirabeau tel qu'il a été amendé par M. Chapelier, parce que j'ai cru voir dans cette rédaction ce qui convient à la majesté d'un grand peuple, à la morale d'un peuple libre, à l'intérêt d'un peuple nombreux, dont l'industrie, les possessions et les relations étrangères exigent une protection efficace. J'y trouve cette distribution de pouvoirs qui me paraît la plus conforme aux vrais principes constitutionnels de la liberté et de la monarchie, la plus propre à éloigner le fléau de la guerre, la plus avantageuse au peuple; et dans ce moment où l'on semble l'égarer sur cette question métaphysique, où ceux qui, toujours réunis pour la cause populaire, différent aujourd'hui d'opinion en adoptant cependant à peu près les mêmes bases; dans ce moment où l'on tâche de persuader que ceux-là seuls sont ses vrais amis qui adoptent tel décret, j'ai cru qu'il convenait qu'une opinion différente fût nettement prononcée par un homme à qui quel

que expérience et quelques travaux dans la carrière de la liberté ont donné le droit d'avoir un avis.

» J'ai cru ne pouvoir mieux payer la dette immense que j'ai contractée envers le peuple qu'en ne sacrifiant pas à la popularité d'un jour l'avis que je crois lui être le plus utile. >> J'ai voulu que ce peu de mots fût écrit pour ne pas livrer aux insinuations de la calomnie le grand devoir que je remplis envers le peuple, à qui ma vie entière est consacrée. »

De nombreux applaudissemens sont donnés à ce discours, après lequel la priorité, mise aux voix, est accordée au projet de M. de Mirabeau. Ici commence une nouvelle discussion; c'est celle du projet article par article. Le premier est ainsi conçu : « Le droit de faire la paix et la appartient à la nation.. »

guerre

M. Alexandre de Lameth. — « Dans la disposition d'esprit et d'intention où se trouve l'Assemblée je n'oserais demander une longue discussion. Comme je suis persuadé que ce décret, s'il passe tel qu'il est, sans aucun amendement, remettrait de fait le droit de déclarer la guerre entre les mains du roi (murmures), le premier article doit renfermer le principe de telle manière qu'aucun des autres articles ne puisse conserver un sens louche et ambigu. L'époque n'est pas éloignée, messieurs, où nous rentrerons tous dans nos foyers: songez aux reproches que nos concitoyens ne manqueraient pas de nous adresser si l'ennemi attaquait nos frontières, s'il venait non seulement ravager nos provinces, mais détruire la liberté qui nous a coûté tant d'efforts !... (La discussion est fermée.... Ecoutez, écoutez....) C'est bien le moins que la nation ait le droit de faire connaître sa volonté lorsqu'il est question de prodiguer son sang.... Je propose donc de substituer à l'article premier : « La guerre ne » pourra être décidée que par un décret du corps législatif...» (Murmures.) Il est nécessaire que cette délibération n'ait pas l'air d'avoir été concertée hors de cette salle. Ce premier article serait donc ainsi conçu : « La guerre ne pourra être » déclarée que par un décret du corps législatif, rendu sur » la proposition formelle du roi. » (Applaudissemens.)

M. Blin. — « Je demande que le premier article soit conservé, afin de bien avertir que ce n'est ni au corps législatif exclusivement, ni au pouvoir exécutif exclusivement, mais à la nation, mais aux deux pouvoirs réunis qui constituent le pouvoir législatif, qu'appartient le droit de la paix et de la guerre. L'article de M. de Lameth n'annonce pas que pour déclarer la guerre il faudra le concours des deux volontés. Si les deux délégués ne sont pas d'accord, c'est à la volonté directe de la nation à se faire connaître. >>

M. Fréteau. << Il paraît convenu qu'il faut le consentement formel de la nation et la proposition formelle du roi. Je propose de conserver l'article premier en y joignant l'amendement de M. de Lameth ainsi développé : « Le droit de paix » et de guerre appartient à la nation. La guerre ne pourra » être décidée que par un décret de l'Assemblée nationale, » qui ne pourra lui-même être rendu que sur la proposition » formelle du roi. »

M. de Mirabeau.

Il
«< Ꭹ a

<«< Et qui sera sanctionné par le roi.» M. Fréteau. dans le projet de M. de Mirabeau deux articles qui détournent le sens véritable du décret, l'article 4 et l'article 5. Il est certain que si vous ne déterminiez pas, par un décret constitutionnel, que le ministre ne pourra entamer la guerre par des hostilités commencées par son ordre, la liberté nationale serait gênée, et l'honneur du pavillon français compromis.

M. de Mirabeau. -«M. Fréteau a tiré une mauvaise conséquence de l'article s'il en a conclu qu'il laissait aux ministres le droit de commencer la guerre : cet article prévoit le cas où un ministre ordonnerait une agression ou une hostilité coupable. Il est absolument impossible d'empêcher que cela n'arrive; il est très possible qu'il y ait un ministre assez pervers pour commencer sous main une guerre. Je demande dans quel système cet inconvénient ne se trouve pas. Je ne puis prendre que les précautions que j'indique, en faisant juger si l'agression est coupable. L'article ne dit-il pas cela clairement? Mais pourquoi ne répond-on pas à la question

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