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» J'en viens à la critique de mon projet de décret, et je passerai rapidement en revue les diverses objections :

» Art. 1°. Que le droit de faire la paix et la guerre appartient à la nation.

» M. Barnave soutient que cet article est inutile. Pourquoi donc inutile? Nous n'avons pas délégué la royauté; nous l'avons reconnue en quelque sorte comme préexistante à notre constitution; or, puisqu'on a soutenu dans cette Assemblée que le droit de faire la paix et la guerre est inhérent à la royauté, puisqu'on a prétendu que nous n'avions pas même la faculté de le déléguer, j'ai donc pu, j'ai dû énoncer dans mon décret que le droit de la paix et de la guerre appartient à la nation. Où est le piége?

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» Art. 2. Que l'exercice du droit de la paix et de la doit être délégué concurremment au corps législatif et au pouvoir exécutif de la manière suivante.... Selon M. Barnave cet article est contraire aux principes, et dévoile le piége de mon décret. Quelle est la question, la véritable question qui nous agite? Parlez nettement : les deux délégués de la nation doivent-ils concourir ou non à l'expression de la volonté générale? S'ils doivent y concourir, peut-on donner à l'un d'eux une délégation exclusive dans l'exercice du droit de la paix et de la guerre? Comparez mon article avec le vôtre: vous ne parlez ni d'initiative proprement dite, ni de proposition, ni de sanction de la part du roi si je ne parle pas non plus ni de proposition, ni de sanction, je remplace ce concours par un autre. La ligne qui nous sépare est donc bien connue c'est moi qui suis dans la constitution; c'est vous qui vous en écartez. Il faudra bien que vous y reveniez. De quel côté est le piége?

» Il est, dites-vous, en ce que je n'exprime pas de quelle manière le concours de ces deux délégués doit s'exercer. Quoi, je ne l'exprime pas! Que signifient donc ces mots : de la manière suivante, et quel est l'objet des articles qui suivent? N'ai-je pas dit nettement dans plusieurs de ces articles que la notification est au roi, et la résolution, l'approbation, l'improbation à l'Assemblée nationale? Ne résulte-t-il pas évidemment de chacun de mes articles que le roi ne pourra jamais

entreprendre la guerre ni même la continuer sans la décision du corps législatif? Où est le piége? Je ne connais qu'un seul piége dans cette discussion; c'est d'avoir affecté de ne donner au corps législatif que la décision de la guerre et de la paix, et cependant d'avoir par le fait, au moyen d'une réticence, d'une déception de mots, exclu entièrement le roi de toute participation, de toute influence à l'exercice du droit de la paix et de la guerre.

» Je ne connais qu'un seul piége dans cette affaire; mais ici un peu de maladresse vous a dévoilé; c'est en distinguant la déclaration de la guerre dans l'exercice du droit comme un acte de pure volonté, de l'avoir en conséquence attribué au corps législatif seul, comme si le corps législatif, qui n'est pas le pouvoir législatif, avait l'attribution exclusive de la volonté!

» Art. 3. Nous sommes d'accord.

» Art. 4. Vous avez prétendu que je n'avais exigé la notification que dans le cas d'hostilité; que j'avais supposé que toute hostilité était une guerre, et qu'ainsi je laissais faire la guerre sans le concours du corps législatif. Quelle insigne mauvaise foi! J'ai exigé la notification dans le cas d'hostilités imminentes ou commencées, d'un allié à soutenir, d'un droit à conserver par la force des armes : ai-je ou non compris tous les cas? Où est le piége?

» J'ai dit dans mon discours que souvent des hostilités précéderaient toute délibération; j'ai dit que ces hostilités pourraient être telles que l'état de guerre fût commencé : qu'avez-vous répondu ? Qu'il n'y avait guerre que par la déclaration de guerre. Mais disputons-nous sur les choses ou sur les mots? Vous avez dit sérieusement ce que M. de Bougainville disait au combat de la Grenade dans un moment de gaieté héroïque; les boulets roulaient sur son bord; il cria à ses officiers ce qu'il y a d'aimable, messieurs, c'est que nous ne sommes point en guerre ; et en effet elle n'était pas déclarée.

>> Vous vous êtes étendu sur le cas actuel de l'Espagne. Une hostilité existe; l'assemblée nationale d'Espagne n'aurait-elle pas à délibérer? Oui sans doute, et je l'ai

dit, et mon décret a formellement prévu ce cas; ce sont des hostilités commencées, un droit à conserver, une guerre imminente: donc, avez-vous conclu, l'hostilité ne constitue pas l'état de guerre. Mais si, au lieu de deux navires pris et relâchés dans le Nord-Castle, il y avait eu un combat entre deux vaisseaux de guerre; si, pour les soutenir, deux escadres s'étaient mêlées de la querelle; si un général entreprenant eût poursuivi le vaincu jusque dans ses ports; si une île importante avait été enlevée, n'y aurait-il pas alors état de guerre? Ce sera tout ce que vous voudrez; mais puisque ni votre décret ni le mien ne présentent le moyen de faire devancer de pareilles agressions par la délibération du corps législatif, vous conviendrez que ce n'est pas là la question. Mais où est le piége?

» Art. 5. J'ai voulu parler d'un fait possible, et que vous ne prévoyez pas dans votre décret. Dans le cas d'une hostilité reçue et repoussée il peut exister une agression coupable; la nation doit avoir le droit d'en poursuivre l'auteur et de le punir: il ne suffit pas alors de ne pas faire la guerre; il faut réprimer celui qui, par une démarche imprudente ou perfide, aurait couru le risque ou tenté de nous y engager. J'en indique le moyen; est-ce là un piége? Mais, dites-vous, je suppose donc que le pouvoir exécutif a le droit de commencer les hostilités, de commettre une agression coupable. Non, je ne lui donne pas ce droit; mais je raisonne sur un fait possible, et que ni vous ni moi ne pouvons prévenir. Je ne puis pas faire que le dépositaire suprême de toutes les forces nationales n'ait pas de grands moyens et les occasions d'en abuser; mais cet inconvénient se retrouve dans tous les systèmes. Ce sera, si vous le voulez, le mal de la royauté; mais prétendez-vous que des institutions humaines, qu'un gouvernement fait par des hommes, pour des hommes, soit exempt d'inconvéniens? Prétendez-vous, parce que la royauté a des dangers, nous faire renoncer aux avantages de la royauté? Dites-le nettement; alors ce sera à nous de déterminer si, parce que le feu brûle, nous devons nous priver de la chaleur de la lumière que nous empruntons de lui. Tout peut se soutenir, excepté l'inconséquence dites-nous qu'il ne

faut pas de roi; ne dites pas qu'il ne faut qu'un roi impuissant, inutile.

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» Art. 6, 7 et 8. Vous ne les avez pas attaqués, je crois; ainsi nous sommes d'accord. Mais convenez que celui qui impose au pouvoir exécutif des limitations qu'aucun autre décret n'a présentées, n'a pas doté d'usurpation la puissance royale, comme on n'a pas rougi de le dire, et qu'il sait aussi munir de précautions constitutionnelles les droits de ce peuple qu'aussi bien qu'un autre peut-être il a défendu.

» Art. 9. Que dans le cas où le roi fera la guerre en personne le corps législatif aura le droit de réunir tel nombre de gardes nationales, et dans tel endroit qu'il le trouvera convenable.... Vous me faites un grand reproche d'avoir proposé celte mesure. Elle a des inconvéniens, sans doute; quelle institution n'en a pas? Si vous l'aviez saisie vous auriez vu que si cette mesure avait été, comme vous l'avez dit, un accessoire nécessaire à mon système, je ne me serais pas borné à l'appliquer au cas, très-rare sans doute, où le roi ferait la guerre en personne, mais que je l'aurais indiquée pour tous les cas de guerre indéfiniment. Si dans tout cela il y a un piége, ce piége est tout entier dans votre argumentation, et non dans le système de celui qui veut écarter le roi du commandement des armées hors des frontières, parce qu'il ne pense pas que le surveillant universel de la société doive être concentré dans des fonctions aussi hasardeuses; il n'est pas dans le système de celui qui met dans votre organisation sociale le seul moyen d'insurrection régulière qui soit dans le principe de votre constitution. Il y évidemment de la mauvaise foi à chercher la faiblesse de mon système, ou quelque intention artificieuse dans la prévoyance d'un inconvénient présenté par tous ceux qui ont parlé avant moi, et qui existe également dans tous les systèmes; car il est évident qu'un roi guerrier peut être égaré par ses passions et servi par ses légions élevées à la victoire, soit que le pouvoir législatif, soit que le pouvoir exécutif ait commencé la guerre. Si dans toutes les hypothèses constitutionnelles ce malheur terrible peut également se prévoir, il n'y a d'autre remède à lui opposer qu'un remède terrible :

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vous et moi nous reconnaissons également le devoir de l'insurrection dans des cas infiniment rares. Est-ce un moyen si coupable que celui qui rend l'insurrection plus méthodique et plus terrible? Est-ce un piége que d'avoir assigné aux gardes nationales leur véritable destination? Et que sont ces troupes, sinon les troupes de la liberté? Pourquoi les avonsnous instituées, si elles ne sont pas éternellement destinées à conserver ce qu'elles ont conquis?.... Au reste, c'est vous qui le premier nous avez exagéré ce danger : il existe ou il n'existe pas; s'il n'existe pas, pourquoi l'avez-vous fait tant valoir? s'il existe, il menace mon système comme le vôtre. Alors acceptez mon moyen, ou donnez-en un autre, ou n'en prenez point du tout, cela m'est égal, à moi qui ne crois pas à ce danger; aussi donné-je mon consentement à l'amendement de M. Chapelier qui retranche cet article.

» Il est plus que temps de terminer ces longs débats. Désormais j'espère que l'on ne dissimulera plus le vrai point de la difficulté. Je veux le concours du pouvoir exécutif à l'expression de la volonté générale en fait de paix et de guerre, comme la constitution le lui a attribué dans toutes les parties déjà fixées de notre système social.... Mes adversaires ne le veulent pas. Je veux que la surveillance de l'un des délégués du peuple ne l'abandonne pas dans les opérations les plus importantes de la politique; et mes adversaires veulent que l'un des délégués possède exclusivement la faculté du droit terrible de la guerre, comme si, lors même que le pouvoir exécutif serait étranger à la confection de la volonté générale, nous avions à délibérer sur le seul fait de la déclaration de la guerre, et que l'exercice de ce droit n'entraînât pas une série d'opérations mixtes où l'action et la volonté se pressent et se confondent!

>>

» Voilà la ligne qui nous sépare. Si je me trompe, encore une fois, que mon adversaire m'arrête, ou plutôt qu'il substitue dans son décret à ces mois : le corps législatif, ceux-ci: le pouvoir législatif, c'est à dire un acte émané des représentans de la nation et sanctionné par le roi, et nous sommes parfaitement d'accord, sinon dans la pratique, du moins

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