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gardes nationales en tel nombre et dans tel lieu qu'il jugera convenable. J'avais cru d'abord que cet article renfermait une grande idée; la discussion m'a montré qu'il a de grands inconvéniens. Je retranche de l'article 4 le mot improbation, et je le remplace ainsi : Si le corps législatif décide que la guerre ne doit pas étre faite .....

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Ce dernier amendement, qui termine l'opinion de M. Chapelier, fut d'abord accueilli par un moment de silence, puis par quelques murmures, et enfin par des applaudissemens presque unanimes.

Cependant Mirabeau paraît à la tribune, et sa seule présence obtient déjà une attention profonde.

Réplique de M. le comte de Mirabeau au discours de M. Barnave.

« C'est quelque chose sans doute, pour rapprocher les oppositions, que d'avouer nettement sur quoi l'on est d'accord et sur quoi l'on diffère. Les discussions amiables valent mieux pour s'entendre que les insinuations calomnieuses, les inculpations forcenées, les haines de la rivalité, les machinations de l'intrigue et de la malveillance. On répand depuis huit jours que la section de l'Assemblée nationale qui veut le concours de la volonté royale dans l'exercice du droit de la paix et de la guerre est, parricide de la liberté publique; on répand les bruits de perfidie, de corruption; on invoque les vengeances populaires pour soutenir la tyrannie des opinions. On dirait qu'on ne peut sans crime avoir deux avis dans une des questions les plus délicates et les plus difficiles de l'organisation sociale. C'est une étrange manie, c'est un déplorable aveuglement que celui qui anime ainsi les uns contre les autres des hommes qu'un même but, sentiment indestructible devraient, au milieu des débats les plus acharnés, toujours rapprocher, toujours réunir; des hommes qui substituent ainsi l'irrascibilité de l'amour-propre au culte de la patrie, et se livrent les uns les autres aux préventions populaires! Et moi aussi on voulait il y a pon de jours me porter en triomphe, et maintenant on crie

un

dans les rues la grande trahison du comte de Mirabeau !..... » Je n'avais pas besoin de cette leçon pour savoir qu'il est peu de distance du Capitole à la roche Tarpéienne; mais l'homme qui combat pour la raison, pour la patrie, ne se tient pas si aisément pour vaincu. Celui qui a la conscience d'avoir bien mérité de son pays, et surtout de lui être encore utile; celui que ne rassasie pas une vaine célébrité, et qui dédaigne les succès d'un jour pour la véritable gloire; celui qui veut dire la vérité, qui veut faire le bien public, indépendamment des mobiles mouvemens de l'opinion populaire; cet homme porte avec lui la récompense de ses services, le charme de ses peines, et le prix de ses dangers; il ne doit attendre sa moisson, sa destinée, la seule qui l'intéresse, la destinée de son nom, que du temps, ce juge incorruptible qui fait justice à tous. Que ceux qui prophétisaient depuis huit jours mon opinion sans la connaître, qui calomnient en ce moment mon discours sans l'avoir compris, m'accusent d'encenser des idoles impuissantes au moment où elles sont renversées, ou d'être le vil stipendié des hommes que je n'ai cessé de combattre; qu'ils dénoncent comme un ennemi de la révolution celui qui peut-être n'y a pas été inutile, et qui, cette révolution fût-elle étrangère à sa gloire, pourrait là seulement trouver sa sûreté ; qu'ils livrent aux fureurs du peuple trompé celui qui depuis vingt ans combat toutes les oppressions, et qui parlait aux Français de liberté, de constitution, de résistance, lorsque ses vils calomniateurs suçaient le lait des cours, et vivaient de tous les préjugés dominans. Que m'importe! ces coups de bas en haut ne m'arrêteront pas dans ma carrière. Je leur dirai : répondez si vous pouvez; calomniez ensuite tant que vous voudrez.

» Je rentre donc dans la lice armé de mes seuls principes et de la fermeté de ma conscience. Je vais poser à mon tour Je véritable point de la difficulté avec toute la netteté dont je suis capable, et je prie tous ceux de mes adversaires qui ne m'entendront pas de m'arrêter, afin que je m'exprime plus clairement, car je suis décidé à déjouer les reproches tant répétés d'évasion, de subtilité, d'entortillage; et s'il ne tient qu'à moi cette journée dévoilera le secret de nos

loyautés respectives. M. Barnave m'a fait l'honneur de ne répondre qu'à moi; j'aurai pour son talent ie même égard, qu'il mérite à plus juste titre, et je vais à mon tour essayer de le réfuter.

» Vous avez dit : nous avons institué deux pouvoirs distincts; le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif; l'un est chargé d'exprimer la volonté nationale, et l'autre de l'exécuter; ces deux pouvoirs ne doivent jamais se confondre.

>> Vous avez appliqué ces principes à la question sur laquelle nous délibérons, c'est à dire à l'exercice du droit de la paix et de la guerre.

» Vous avez dit : il faut distinguer l'action et la volonté; l'action appartiendra au roi, la volonté au corps législatif. Ainsi, lorsqu'il s'agira de déclarer la guerre, cette déclaration étant un acte de volonté, ce sera au corps législatif à le faire.

» Après avoir exposé ce principe vous l'avez appliqué à chaque article de mon décret. Je suivrai la même marche; je discuterai d'abord le principe général; j'examinerai ensuite l'application que vous en avez faite à l'exercice du droit de la paix et de la guerre; enfin je vous suivrai pas à pas dans la critique de mon décret.

» Vous dites que nous avons établi deux pouvoirs distincts, l'un pour l'action, l'autre pour la volonté; je le nie. » Le pouvoir exécutif, dans tout ce qui tient à l'action, est certainement très-distinct du pouvoir législatif; mais il n'est pas vrai que le corps législatif soit entièrement distinct du pouvoir exécutif, même dans l'expression de la volonté générale.

» En effet, quel est l'organe de cette volonté d'après notre constitution? C'est tout à la fois l'Assemblée des représentans de la nation ou le corps législatif, et le représentant du pouvoir exécutif; ce qui a lieu de cette manière : le corps législatif délibère et déclare la volonté générale, le représentant du pouvoir exécutif a le double droit ou de sanctionner la résolution du corps législatif, et cette sanction consomme la loi; ou d'exercer le veto qui lui est accordé pour un

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» Vous accorderez donc l'initiative au roi.

>> Passons au second cas.

>> Si vous accordez au roi l'initiative, ou vous supposež qu'elle consistera dans une simple notification, ou vous supposez que le roi déclarera le parti qu'il veut prendre.

» Si l'initiative du roi doit se borner à une simple noti fication, le roi, par le fait, n'aura aucun concours à une déclaration de guerre.

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» Si l'initiative du roi consiste au contraire dans la déclaration du parti qu'il croit devoir être pris, voici la double hypothèse sur laquelle je vous prie de raisonner avec moi. Entendez-vous que, le roi se décidant pour la guerre, le corps législatif puisse délibérer la paix? Je ne trouve à cela aucun inconvénient. Entendez-vous au contraire que, le roi voulant la paix, le corps législatif puisse ordonner la guerre et la lui faire soutenir malgré lui? Je ne puis adopter votre système, parce qu'ici naissent des inconvéniens auxquels il est impossible de remédier.

» De cette guerre, délibérée malgré le roi, résulterait bientôt une guerre d'opinion contre le monarque, contre tous ses agens. La surveillance la plus inquiète présiderait à cette guerre; le désir de la seconder, la défiance contre les ministres, porteraient le corps législatif à sortir de ses propres limites. On proposerait des comités d'exécution militaire, comme on vous a proposé naguère des comités d'exécution politique; le roi ne serait plus que l'agent de ces comités; nous aurions deux pouvoirs exécutifs, ou plutôt le corps législatif régnerait.

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» Ainsi, par la tendance d'un pouvoir sur l'autre, notre propre constitution se dénaturerait entièrement; de monarchique qu'elle est, elle deviendrait purement aristocratique. Vous n'avez pas répondu à cette objection, et vous n'y répondrez jamais. Vous ne parlez que de réprimer les abus ministériels, et moi je vous parle des moyens de réprimer les abus d'une Assemblée représentative; je vous parle d'arrêter la pente insensible de tout gouvernement vers la forme dominante qu'on lui imprime.

» Si au contraire, le roi voulant la guerre, vous bornez

les délibérations du corps législatif à consentir la guerre ou à décider qu'elle ne doit pas être faite, et à forcer le roi de négocier la paix, vous évitez tous les inconvéniens ; et remarquez bien, car c'est ici que se distingue éminemment mon système, que vous restez parfaitement dans les principes de la constitution.

» Le veto du roi se trouve, par la nature des choses, presque entièrement émoussé en fait d'exécution; il peut rarement avoir lieu en matière de guerre. Vous parez à cet inconvénient; vous rétablissez la surveillance, le contrôle respectif qu'a voulu la constitution, en imposant aux deux délégués de la nation, à ses représentans amovibles et à son représentant inamovible, le devoir mutuel d'être d'accord lorsqu'il s'agit de guerre : vous attribuez ainsi au corps législatif la seule faculté qui puisse le faire concourir sans inconvénient à l'exercice de ce terrible droit : vous remplissez en même temps l'intérêt national autant qu'il est en vous, puisque vous n'aurez besoin, pour arrêter le pouvoir exécutif, que d'exiger qu'il mette le corps législatif continuellement à portée de délibérer sur tous les cas qui peuvent se pré

senter..

» Il me semble, messieurs, que le point de la difficulté est enfin complétement connu, et que M. Barnave n'a point du tout abordé la question. Ce serait un triomphe trop facile maintenant que de le poursuivre dans les détails, où, s'il a fait voir du talent, il n'a jamais montré la moindre connaissance d'homme d'état ni des affaires humaines. Il a déclamé contre les maux que peuvent faire et qu'ont fait les rois; et il s'est bien gardé de remarquer que dans notre constitution le monarque ne peut plus désormais être despote, ni rien faire arbitrairement et il s'est bien gardé surtout de parler des mouvemens populaires... Il a cité Périclès faisant la guerre pour ne pas rendre ses comptes; ne semblerait-il pas à l'entendre que Périclès ait été un roi ou un ministre despotique? Périclès était un homme qui, sachant flatter les passions popu laires et se faire applaudir à propos en sortant de la tribune, par ses largesses ou celles de ses amis, a entraîné à la guerre du Péloponèse... qui? l'Assemblée nationale d'Athènes.

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