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confiance ou de méfiance, d'ennui ou d'intérêt, l'Assemblée aura fermé la discussion. ( Murmures.) Mon principal argument en ce moment est la chaleur même que vous montrez contre ma demande. »

Cependant l'Assemblée décréta que la discussion continuerait le lendemain, mais que sans désemparer la question serait décidée.

Une affluence extraordinaire se porta à la séance du 22 : Mirabeau, qui par son discours du 20 avait compromis son immense popularité, venait de promettre une réplique au discours de M, Barnave; l'impatienpe était extrême. La discussion fut donc reprise le lendemain ; avant Mirabeau plusieurs orateurs occupèrent la tribune; mais l'opinion qu'il est indispensable de rapporter ici est celle de M. Chapelier, puisqu'elle eut une part au décret qui fut rendu,

M. Chapelier. (Séance du 22.) « Cette question, depuis longtemps débattue, commence enfin à s'éclaircir. Quoiqu'elle ne soit pas précisément posée , il est facile d'apercevoir maintenant la difficulté. L'Assemblée est divisée en deux opinions contradictoires : le roi aura-t-il le droit de paix et de guerre ? le corps législatif aura-t-il ce droit? Je ne m'arrèterai pas à la première; personne ici ne veut laisser aux ministres le droit de ruiner l'Etat, de répandre à leur gré le sang des Français; tout le monde reconnaît l'insuffisance de la responsabilité, et l'insuffisance et le danger du refus des subsides : il est donc nécessaire de chercher un autre moyen; il faut donc que le corps législatif délibère la guerre, la paix et les traités de commerce. C'est ici

que la question se divise. Il y a dans cette question politique divers droits , divers devoirs , diverses circonstances à distinguer : la guerre a deux époques; les hostilités imprévues et la guerre déclarée : les attaques et les hostilités ne dépendent pas de nous ; elles sont hors de nous; nous ne pouvons pas empêcher qu'elles existent: la déclaration appartient tout entière au corps législatif. Il faut décréter qu'il ne peut y avoir de guerre sans un décret du corps législatif; que, si la nécessité de

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repousser des hostilités la commencée, les représentans de la nation peuvent permettre ou défendre de la continuer: avoir la puissance de permettre et de défendre la guerre, c'est avoir le droit de la guerre; mais déclarer la guerre sans la proposition du roi, voilà ce que disent beaucoup de décrets , voilà ce qui consacrerait beaucoup d'inconvéniens. D'abord ce serait donner au gouvernement une forme purement républicaine; ce serait aller contre les principes de votre constitution : si le corps législatif pouvait ordonner la guerre sur la motion d'un de ses membres, le monarque serait à côté de la constitution. Il n'aurait plus que les fonctions d'un général d'armée ; la dignité et l'influence du chef de la nation, et de la nation même près des cours étrangères, serait diminuée; enfin vous détruiriez un des fondemens de cette constitution

que

la sagesse a diciée. En donnant au roi la sanction vous avez exigé le concours du roi pour les lois; comment lui refuseriez-vous ce concours pour la guerre ? S'il n'est pas possible que le roi ait un veto suspensif, il faut du moins que le corps législatif ne puisse déclarer la guerre sans lui. Voyons maintenant s'il est de l'intérêt du peuple que le corps législatif seul fasse la paix ou la guerre. L'intérêt du peuple est d'avoir le moins de guerres possible; je remets au corps législatif le moyen d'empêcher la guerre et de dire : la guerre ne sera pas faite. On veut lui douner le droit de la déclarer ; c'est un moyen de plus d'attirer la guerre : toutes les du gouvernement sont rompues; il n'y a plus

gouvernement monarchique. Ne voyez-vous pas que

si la guerre était malheureuse on attribuerait le revers au corps législatif, qui seul l'aurait décidée ? Ne voyez-vous pas qu'il perdrait tout son crédit sur un peuple courageux et jaloux de la gloire des armes ? Ne voyez-vous pas que la nation humiliée se tournerait du côté du roi, et que le corps législatif aurait perdu son ressort sur le pouvoir exécutif? Si l'on objecte que le pouvoir de permettre ou de défendre la guerre est illusoire, parce que le ministère saura corrompre la législature de manière à s'assurer la majorité, parce qu'il ne notifiera les hostilités qu'au moment où il sera impossible de ne pas suivre la guerre, je demande à ceux qui ont proposé des

mesures

plus de

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projets de décret s'ils offrent quelque moyen de parer à ces dangers. Je donne comme eux au corps législatif le droit d'empêcher la guerre ; j'exige comme eux que la notification des hostilités et des préparatiss soit faite au corps législatif ; j'exige comme eux que le corps législatif soit assemblé si les représentans de la nation n'étaient pas réunis : je veux seulement l'empêcher de décider que la guerre sera faite quand le roi ne l'aura pas proposé; je veux ainsi diminuer les chances de la guerre. Je présente celle proposition réduite à ses moindres termes : le corps législatif aura le pouvoir d'empêcher la guerre; le roi aura le pouvoir d'empêcher la guerre; ni l'un ni l'autre n'aura le pouvoir de faire la guerre sans le consentement de l'un ou de l'autre.

» Je demande maintenant quels sont les motifs d'opposition à ce système. Veut-on la limitation des pouvoirs ? Ils sont ici sagement limités. Réclame-t-on pour l'intérêt du peuple ? Il est là, et nulle part ailleurs. Il faut être insensé ou prévaricateur pour donner au roi un pouvoir inutile ;

; il faut être insensé ou prévaricateur pour lui refuser les pouvoirs que lui donnent les principes de la constitution. Décrétons donc constitutionnellement que le corps législatif aura le pouvoir d'empêcher la guerre, que le roi aura l'initiative de la délibération du corps législatif ; ainsi les deux pouvoirs concourront ensemble. Si l'on donnait au corps législatif le droit de déclarer seul la guerre la monarchie serait détruite , la constitution sappée dans ses fondemens, et l'intérêt du peuple sans cesse compromis. Quant à la paix et aux traités, le roi proposera , le corps législatif ratifiera : nous sommes tous d'accord sur cet objet. Tous les décrets proposés donnent exclusivement le droit de faire la guerre au roi ou au corps législatif seul, à l'exception de celui de M. de Mirabeau, qui renferme toutes les idées et tous les principes que je viens de développer. Cette rédaction, qu'on a dit obscure , remplit clairement mes intentions. J'ai cependant quelques amendemens à proposer. J'extrais du premier article le mot concurreniment. J'efface aussi de l'article 7 ces mots : et dans le cas le roi fera la guerre en personne le corps législatif aura le droit de réunir les

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gardes nationales en tel nombre et dans tel lieu qu'il ju gera convenable. J'avais cru d'abord que cet article renfermait une grande idée; la discussion m'a montré qu'il a de grands inconvéniens. Je retranche de l'article 4 le mot improbation, et je le remplace ainsi : Si le corps législatif décide que la guerre ne doit pas étre faite..... »

Ce dernier amendement, qui termine l'opinion de M. Chapelier, fut d'abord accueilli par un moment de silence, puis par quelques murmures, et enfin par des applaudissemens presque unanimes.

Cependant Mirabeau paraît à la tribune, et sa seule présence obtient déjà une attention profonde.

· Réplique de M. le comte de Mirabeau au discours de M. Barnave.

« C'est quelque chose sans doute, pour rapprocher les oppositions, que d'avouer nettement sur quoi l'on est d'accord et sur quoi l'on diffère. Les discussions amiables valent mieux pour s'entendre que les insinuations calomnieuses, les inculpations forcenées, les haines de la rivalité, les machinations de l'intrigue et de la malveillance. On répand depuis huit jours que la section de l'Assemblée nationale qui veut le concours de la volonté royale dans l'exercice du droit de la paix et de la guerre est parricide de la liberté publique; on répand les bruits de perfidie, de corruption; on invoque les vengeances populaires pour soutenir la tyrannie des opinions, On dirait qu'on ne peut sans crime avoir deux avis dans une des questions les plus délicates et les plus difficiles de l'organisation sociale. C'est une étrange manie, c'est un déplorable aveuglement que celui qui anime ainsi les uns contre les autres des hommes qu'un même but, un sentiment indestructible devraient, au milieu des débats les plus acharnés, toujours rapprocher, toujours réunir; des hommes qui substituent ainsi l'irrascibilité de l'amour-propre au culte de la patrie, et se livrent les uns les autres aux préventions populaires ! Et moi aussi on voulait il y a pon de jours me porter en triomphe, et maintenant on cric

dans les rues la grande trahison du comte de Mirabeau !.....

» Je n'avais pas besoin de cette leçon pour savoir qu'il est peu de distance du Capitole à la roche Tarpéienne; mais l'homme qui combat pour la raison, pour la patrie, ne se tient pas si aisément pour vaincu. Celui qui a la conscience d'avoir bien mérité de son pays, et surtout de lui être encore utile; celui que ne rassasie pas une vaine célébrité, et qui dédaigne les succès d'un jour pour la véritable gloire; celui qui veut dire la vérité, qui veut faire le bien public, indépendamment des mobiles mouvemens de l'opinion populaire; cet homme porte avec lui la récompense de ses services, le charme de ses peines, et le prix de ses dangers; il ne doit attendre sa moisson, sa destinée, la seule qui l'intéresse, la destinée de son nom, que du temps, ce juge incorruptible qui fait justice à tous. Que ceux qui prophétisaient depuis huit jours mon opinion sans la connaître, qui calomnient en ce moment mon discours sans l'avoir compris, m'accusent d'encenser des idoles impuissantes au moment où elles sont renversées, ou d'être le vil stipendié des hommes 'que je n'ai cessé de combattre; qu'ils dénoncent comme un ennemi de la révolution celui qui peut-être n'y a pas été inutile, et qui, cette révolution fût-elle étrangère à sa gloire, pourrait là seulement trouver sa sûreté; qu'ils livrent aux fureurs du peuple trompé celui qui depuis vingt ans combat toutes les oppressions, et qui parlait aux Français de liberté, de constitution, de résistance, lorsque ses vils calomniateurs suçaient le lait des cours, et vivaient de tous les préjugés dominans. Que m'importe! ces coups de bas en haut ne m'arrêteront pas dans ma carrière. Je leur dirai : répondez si vous pouvez; calomniez ensuite tant que vous voudrez.

» Je rentre donc dans la lice armé de mes seuls principes et de la fermeté de ma conscience. Je vais poser mon tour Je véritable point de la difficulté avec toute la netteté dont je suis capable, et je prie tous ceux de mes adversaires qui ne m'entendront pas de m'arrêter, afin que je m'exprime plus clairement, car je suis décidé à déjouer les reproches tant répétés d'évasion, de subtilité, d'entortillage; et s'il ne tient qu'à moi cette journée dévoilera le secret de nos

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