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T'exemple des républiques anciennes on n'a pas cessé de comparer notre constitution avec la démocratie de la place publique d'Athènes, avec le sénat aristocratique de Rome, qui tâchait de distraire le peuple de la liberté par sa gloire; on l'a confondue avec celle de Suède, où il existe quatre ordres différens, divisés en quatre chambres, le roi et le sénat, où les pouvoirs publics sont dispersés entre six pouvoirs différens, qui sans cesse se combattent, et qui, après avoir combattu la délibération, combattent encore l'exécution, ainsi que vous l'avez vu dans la dernière révolution; on l'a comparée avec celle de la Hollande; on n'a pas craint même de l'assimiler à celle de la Pologne, où des aristocrates rassemblés, exerçant personnellement un veto personnel, sont obligés de prendre à l'unanimité leurs délibérations, où les guerres extérieures doivent toujours être malheureuses, puisque la guerre intestine est presque constitutionnelle dans ce pays.

» Il est donc impossible de tirer aucune conséquence de ces constitutions pour les appliquer à la France, où les intérêts sont discutés par une Assemblée unique, composée d'hommes qui n'existent pas par leurs droits, mais élus par le peuple, renouvelée tous les deux ans, suffisamment nombreuse pour parvenir à un résultat mûr. Cherchons maintenant dans la nature même des choses.

>> Il est vrai qu'accorder aux législatures le droit de faire la guerre ce serait enlever la promptitude et le secret qu'on regarde comme absolument nécessaires. Quant à la promptitude, il me semble qu'en confiant au roi le droit de faire tous les préparatifs qu'exigent pour le moment la sûreté de l'Etat et les mesures nécessaires pour l'avenir, on a levé tous les inconvéniens; il fait mouvoir toutes les troupes à son gré quand il juge que le mouvement d'un empire exige qu'on s'oppose avec célérité à ses dispositions nuisibles, s'il pouvait en avoir. Le corps législatif s'assemble tous les ans pendant quatre mois; s'il est séparé, il sera aisé de le convoquer; ce rassemblement se fera pendant les préparatifs qui précédent toujours une action : le roi et ses agens auront tous les moyens de repousser une attaque subite, et de prendre. les mesures pour le danger à venir: ainsi la promptitude

sera la même, et vous aurez pourvu à votre indépendance et à votre liberté. Quant au secret, je demanderai d'abord si ce secret existe : on a prouvé avant moi qu'il n'existe pas réellement; mais s'il pouvait exister serait-il utile? Je pourrais pour répondre m'appuyer de l'autorité bien imposante de M. l'abbé de Mably; il a constamment pensé que la politique de la nation française devait exister non dans le secret, mais dans la justice. Ce n'était pas, comme on l'a dit, un simple théoricien; il a écrit plusieurs volumes sur la politique moderne; il a fait le meilleur traité sur le droit politique de l'Europe: s'il n'a pas négocié lui-même, c'est uniquement à cause de ses vertus; c'est qu'il a échappé aux sollicitations du gouvernement.

que,

» M. de Mably pensait que pour la puissance dominante de l'Europe il n'y avait pas d'autre politique que la loyauté et une fidélité constante; il de même que démontré a dans les finances la confiance double le crédit, de même il existe un crédit politique qui place en vous la confiance des nations, et qui double voire influence. Mais dans quel cas le secret serait-il nécessaire? C'est lorsqu'il s'agit des mesures provisoires, des négociations, des opérations d'une nation avec une autre : tout cela doit être attribué au pouvoir exécutif; il aura donc encore le moyen de s'appuyer du secret. Les seules choses que vous ferez sont inutiles à cacher l'acceptation définitive des articles d'un traité de paix, la résolution de faire la guerre, rien de tout cela ne peut être dissimulé. Tout ce que vous vous réservez ne peut et ne doit donc être fait qu'au grand jour. Dans toute constution où le peuple a une influence quelconque la faculté de délibérer oblige à la même publicité : lorsque l'Angleterre délibère sur l'octroi des subsides, n'est-elle pas obligée de discuter en même temps si la guerre qui les rend nécessaires est juste et légitime?

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Après avoir écarté les principaux motifs par lesquels on a cherché à prouver que le droit de la guerre ne pouvait être attribué au corps législatif, il reste à examiner les inconvéniens qui résulteraient de confier ce droit au pouvoir exécutif. On a dit qu'en le confiant aux législatures elles se

laisseraient entraîner par l'enthousiasme des passions, et même par la corruption. Est-il un seul de ces dangers qui ne soit plus grand dans la personne des ministres que dans l'Assemblée nationale? Contestera-t-on qu'il ne soit plus facile de corrompre le conseil du roi que sept cent vingt personnes élues par le peuple? Je pourrais continuer cette comparaison entre les législatures et le ministre unique qui guide les délibérations du conseil, soit dans le danger des passions, des ressentimens, soit par des motifs d'intérêt personnel.

Il arrivera peut-être que la législature pourra s'égarer; mais elle reviendra, parce que son opinion sera celle de la nation, au lieu que le ministre s'égarera presque toujours, parce que ses intérêts ne sont pas les mêmes que ceux de la nation. Le gouvernement dont il est agent est pour la guerre, et par conséquent opposé aux intérêts de la nation: il est de l'intérêt d'un ministre qu'on déclare la guerre, parce qu'alors on est forcé de lui attribuer le maniement des subsides immenses dont on a besoin, parce qu'alors son autorité est augmentée sans mesure, parce qu'il crée des commissions et nomme à une multitude d'emplois ; il conduit la nation à préférer la gloire des conquêtes à la liberté; il change le caractère des peuples et les dispose à l'esclavage; c'est par la guerre surtout qu'il change le caractère et les principes des soldats: les braves militaires qui disputent aujourd'hui de patriotisme avec les citoyens rapporteraient un esprit bien différent s'ils avaient suivi un roi conquérant, un de ces héros de l'histoire, qui sont presque toujours des fléaux pour les nations!

>> Enfin tout sollicite le corps législatif de conserver la paix, tandis que les intérêts les plus puissans des ministres les éngagent à entreprendre la guerre. Vainement on oppose la responsabilité et le refus des impôts; et dans le cas où le roi lui-même irait à la tête de ses troupes, on propose d'autoriser le corps législatif à rassembler les milices nationales : la rešponsabilité ne s'applique qu'à des crimes; la responsabilité est absolument impossible autant que dure la guerre, au succès de laquelle est nécessairement lié le ministre qui l'a commencée. Ce n'est pas alors qu'on cherche à exercer contre lui la responsabilité est-elle nécessaire quand la guerre est

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terminée, lorsque la fortune publique est diminuée? Lorsque vos concitoyens et vos frères auront péri, à quoi servira la mort d'un ministre? Sans doute elle présentera aux nations un grand exemple de justice; mais vous rendra-t-elle ce que vous aurez perdu? Non seulement la responsabilité est impossible en cas de guerre, mais chacun sait qu'une entreprise de guerre est un moyen banal pour échapper à une responsabilité déjà encourue lorsqu'un déficit est encore ignoré. Le ministre déclare la guerre pour couvrir, par des dépenses simulées, le fruit de ses déprédations. L'expérience du peuple a prouvé que le meilleur moyen que puisse prendre un ministre habile pour ensevelir ses crimes est de les faire pardonner par des triomphes on n'en trouverait que trop d'exemples ailleurs que chez nous : il n'y avait point de responsabilité quand nous étions esclaves : j'en cite un seul; je le prends chez le peuple le plus libre qui ait existé.

» Périclès entreprit la guerre du Péloponèse quand il se vit dans l'impossibilité de rendre ses comptes; voilà la responsabilité. Le moyen du refus des subsides est tellement jugé et décrié dans cette Assemblée, que je crois inutile de m'en occuper; je dirai seulement que l'expérience l'a démontré inutile en Angleterre : mais il n'y a pas de comparaison à cet égard entre l'Angleterre et nous; l'indépendance nationale y est mise à couvert, et protégée par la nature; il ne faut en Angleterre qu'une flotte. Vous avez des voisins puissans; il vous faut une armée : refuser les subsides ce ne serait pas cesser la guerre; ce serait cesser de se défendre, ce serait mettre les frontières à la merci de l'ennemi.

» Il ne me reste à examiner que le dernier moyen offert par M. de Mirabeau. Dans le cas où le roi ferait la guerre en personne le corps législatif aurait le droit de réunir des gardes nationales en tel lieu et en tel nombre qu'il jugerait convenable, pour les opposer à l'abus de la force publique, à l'usurpation d'un roi général d'armée : il me semble que ce moyen n'est autre chose que de proposer la guerre civile pour s'opposer à la guerre. Un des avantages dominans du gouvernement monarchique, un des plus grands motifs d'attachement à la monarchie, pour ceux qui cherchent la liberté, c'est que le monarque fait le

désespoir de tous les usurpateurs: or, avec le moyen proposé, je demande s'il ne se trouvera jamais un législateur ambitieux qui veuille devenir usurpateur; un homme qui par ses talens et son éloquence aura assez de crédit sur la législature pour l'égarer, sur le peuple pour l'entraîner? Si le roi est éloigné ne pourra-t-il pas lui reprocher ses succès et ses triomphes? Ne peut-il pas lui venir dans la tête d'empêcher le monarque des Français de rentrer dans la France? Il y a plus; la législature ne commanderait pas elle-même; il lui faudrait un chef, et l'on sait qu'avec des vertus, des talens et des grâces on se fait aisément aimer de la troupe qu'on commande. Je demande quel serait le vrai roi, et si vous n'auriez pas alors un changement de race ou une guerre civile. Je ne m'attacherai pas plus longtemps à réfuter ce moyen; mais j'en tire une conséquence très-naturelle.

· » Il faut que M. de Mirabeau ait aperçu de très-grands inconvéniens dans le plan qu'il a présenté, puisqu'il a cru nécessaire d'employer un remède si terrible. On m'objectera qu'une partie des maux que je redoute se trouvera dans la faculté de déclarer la guerre accordée au pouvoir législatif. Le corps législatif se décidera difficilement à faire la guerre; chacun de nous a des propriétés, des amis, une famille, des enfans, une foule d'intérêts personnels que la guerre pourrait compromettre le corps législatif déclarera donc la guerre plus rarement que le ministre; il ne la déclarera que quand notre commerce sera insulté, persécuté, les intérêts les plus chers de la nation attaqués. Les guerres seront presque toujours heureuses; l'histoire de tous les siècles prouve qu'elles le sont quand la nation les entreprend; elle s'y porte avec enthousiasme; elle y prodigue ses ressources et ses trésors. C'est alors qu'on fait rarement la guerre, et qu'on la fait toujours glorieusement : les guerres entreprises par les ministres sont souvent injustes, souvent malheureuses, parce que la nation les réprouve, parce que le corps législatif fournit avec parcimonie les moyens de les soutenir. Si les ministres font seuls la guerre ne pensez pas à être consultés. Les ministres calculent froidement dans leur cabinet; c'est l'effusion du sang de vos frères, de vos enfans qu'ils ordonnent. Ils ne voient que

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