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guerre dépend de nous, ou du hasard, ou de l'ennemi? Je demande si souvent plusieurs combats n'auront pas été donnés avant que le roi en soit instruit, avant que la notification puisse en être faite à la nation?

» Mais ne pourrait-on pas faire concourir le corps législatif à tous les préparatifs de guerre pour en diminuer le danger? Ne pourrait-on pas les faire surveiller par un comité pris dans l'Assemblée nationale? Prenez garde; par cela seul nous confondrions tous les pouvoirs en confondant l'action avec la volonté, la direction avec la loi; bientôt le pouvoir exécutif ne serait que l'agent d'un comité; nous ne ferions pas seulement les lois, nous gouvernerions : car quelles seront les bornes de ce concours, de cette surveillance? c'est en vain que vous voudrez en assigner; malgré votre prévoyance, elles seront toutes violées.

>> Prenez garde encore; ne craignez-vous pas de paralyser le pouvoir exécutif par ce concours de moyens? Lorsqu'il s'agit de l'exécution ce qui doit être fait par plusieurs personnes n'est jamais bien fait par aucune : où serait d'ailleurs dans un tel ordre de choses cette responsabilité qui doit être l'égide de notre nouvelle constitution?

» Enfin, dit-on encore, n'a-t-on rien à craindre d'un roi qui, couvrant les complots du despotisme sous l'apparence d'une guerre nécessaire, rentrerait dans le royaume avec une armée victorieuse, non pour reprendre son poste de roi citoyen, mais pour reconquérir celui des tyrans?

» Hé bien, qu'arrivera-t-il? Je suppose qu'un roi conquérant et guerrier, réunissant aux talens militaires les vices qui corrompent les hommes et les qualités aimables qui les captivent, ne soit pas un prodige, et qu'il faille faire des lois pour des prodiges.

» Je suppose qu'aucun corps d'une armée nationale n'eût assez de patriotisme et de vertu pour résister à un tyran, et qu'un tel roi conduisît des Français contre des Français aussi facilement que César, qui n'était pas né sur le trône, fit passer le Rubicon à des Gaulois.

» Mais je vous demande si cette objection n'est pas commune à tous les systèmes, si nous n'aurons jamais à armer

une grande force publique parce que ce sera au corps législatif à exercer le droit de faire la guerre?

» Je vous demande si, par une telle objection, vous ne transportez pas précisément aux monarchies l'inconvénient des républiques; car c'est surtout dans les Etats populaires que de tels succès sont à craindre; c'est parmi les nations qui n'avaient point de rois que ces succès ont fait des rois. C'est pour Carthage, c'est pour Rome que des citoyens tels qu'Annibal et César étaient dangereux. Tarissez l'ambition; faites qu'un roi n'ait à regretter que ce que la loi ne peut accorder; faites de la magistrature du monarque ce qu'elle doit être, et ne craignez plus qu'un roi rebelle, abdiquant lui-même sa couronne, s'expose à courir de la victoire à l'échafaud...

(Ici M. Duval d'Espréménil interrompt l'orateur : — - Je demande, dit-il, que M. de Mirabeau soit rappelé à l'ordre; il oublie que la personne des rois a été déclarée inviolable. - Une partie de l'Assemblée applaudit, l'autre murmure. Mirabeau :)

» Je me garderai bien de répondre à l'inculpation de mauvaise foi qui m'est faite; vous avez tous entendu ma supposition d'un roi despote et révolté, qui vient avec une armée de Français conquérir la place des tyrans : or un roi, dans ce cas, n'est plus un roi.... (Applaudissemens unanimes.)

» Il serait difficile et inutile de continuer une discussion déjà bien longue au milieu d'applaudissemens et d'improbations également exagérés, également injustes. J'ai parlé parce que j'ai cru le devoir dans une occasion aussi importante: je ne dois à cette Assemblée que ce que je crois la vérité, et je l'ai dite. Je l'ai dite assez fortement peut-être quand je parlais contre les puissans : je serais indigne des fonctions qui me sont imposées; je serais indigne d'être compté parmi les amis de la liberté si je dissimulais ma pensée quand je penche pour un parti mitoyen entre l'opinion de ceux que j'aime et que j'honore, et l'avis des hommes qui ont montré le plus de dissentiment avec moi depuis le commencement de cette Assemblée.

» Vous avez saisi mon système ; il consiste à attribuer con

eurremment le droit de faire la paix et la guerre aux deux pouvoirs que la constitution a consacrés, c'est à dire au droit mixte qui tient tout à la fois de l'action et de la volonté. Je crois avoir combattu avec avantage les argumens qu'on alléguera sur cette question en faveur de tous les systèmes exclusifs. Il est une seule objection insoluble qui se retrouve dans tous comme dans le mien, et qui embarrassera toujours les diverses questions qui avoisineront la confusion des pouvoirs; c'est de déterminer les moyens d'obvier au dernier degré de l'abus. Je n'en connais qu'un; on n'en trouvera qu'un, et je l'indiquerai par cette locution triviale et peutêtre de mauvais goût que je me suis déjà permise dans cette tribune, mais qui peint nettement ma pensée; c'est le tocsin de la nécessité, qui seul peut donner le signal quand le moment est venu de remplir l'imprescriptible devoir de la résistance, devoir toujours impérieux lorsque la constitution est violée, toujours triomphant lorsque la résistance est juste et vraiment nationale.

» Je vais vous lire mon projet de décret : il n'est pas bon; un décret sur le droit de la paix et de la guerre ne sera jamais complet, ne sera jamais véritablement le code moral du droit des gens, qu'alors que vous aurez constitutionnellement organisé l'armée, la flotte, les finances, vos gardes nationales et vos colonies. Il est donc bien médiocre mon projet de décret ; je désire vivement qu'on le perfectionne; je désire que l'on en propose un meilleur. Je ne chercherai pas à dissimuler le sentiment de défiance avec lequel je vous l'apporte ; je ne cacherai pas même mon profond regret que l'homme qui a posé les bases de la constitution et qui a le plus contribué à votre grand ouvrage, que l'homme qui a révélé au monde les véritables principes du gouvernement représentatif, se condamnant lui-même à un silence que je déplore, que je trouve coupable, à quelque point que ses immenses services aient été méconnus, que l'abbé Sieyes... je lui demande pardon, je le nomme... ne vienne pas poser lui-même dans sa constitution un des plus grands ressorts de l'ordre social. J'en ai d'autant plus de douleur, qu'écrasé d'un travail trop audessus de mes forces intellectuelles, sans cesse ravi au recueil

lement et à la méditation, qui sont les premières puissances de l'homme, je n'avais pas porté mon esprit sur cette question, accoutumé que j'étais à me reposer sur ce grand penseur de l'achèvement de son ouvrage. Je l'ai pressé, conjuré, supplié au nom de l'amitié dont il m'honore, au nom de l'amour de la patrie, ce sentiment bien autrement énergique et sacré de nous doter de ses idées, de ne pas laisser cette lacune dans la constitution: il m'a refusé; je vous le dénonce. Je vous conjure à mon tour d'obtenir son avis, qui ne doit pas être un secret; d'arracher enfin au découragement un homme dont je regarde le silence et l'inaction comme une calamité publique. Après ces aveux, de la candcur desquels vous me saurez gré du moins, voulez-vous me dispenser de lire mon projet de décret? J'en serai reconnaissant. (On dit de toute part: lisez, lisez.) Vous voulez que je le lise souvenez-vous que je n'ai fait que vous obéir, et que j'ai eu le courage de vous déplaire pour vous servir.

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» Je propose de décréter comme articles constitutionnels.... » (Voyez ci-après le décret.)

M. Barnave. (Séance du 21.)

« Messieurs, jamais objet plus important n'a fixé les regards de cette Assemblée; la question qui s'agite aujourd'hui intéresse essentiellement votre constitution; c'est de là que dépend sa conservation. Il ne vous reste plus à constituer que la force publique; il faut le faire de manière qu'elle s'emploie avec succès pour repousser les étrangers et arrêter les invasions, mais qu'elle ne puisse jamais retomber sur nous. Au point où nous en sommes il ne s'agit plus de discuter sur les principes et sur les faits historiques, ou sur toute autre considération; il faut réduire la question à ses termes les plus simples, en chercher les difficultés, et tâcher de les résoudre. Excepté ceux qui, depuis le commencement de nos travaux, ont contesté tous les principes, personne ici n'a nié les principes théoriques qui doivent déterminer votre décision. Je ne parlerai point de la souveraineté du peuple; elle a été consacrée dans la déclaration des droits; quand vous avez commencé la constitution, vous avez commencé à appliquer ce

grand principe; il est donc inutile de le rappeler; il s'agit seulement de savoir à qui doit être délégué le droit de déclarer la guerre ou la paix, de chercher à qui l'utilité publique invite à le déléguer. On a universellement reconnu le principe de la division des pouvoirs; on a reconnu que l'expression de la volonté générale ne pouvait être donnée que dans les assemblées élues par le peuple, renouvelées sans cesse, et par là même propres à en imprimer l'opinion, parce que sans cesse on en reconnaît l'impression. Vous avez senti que l'exécution de cette volonté exigeait promptitude et ensemble, et que pour combiner cet ensemble il fallait absolument la confier à un seul homme. De là vous avez conclu que l'Assemblée nationale aurait le droit de faire la loi, et le roi celui de la faire exécuter de là il résulte que la détermination de faire la guerre, qui n'est autre chose que l'acte de la volonté générale, doit être dévolue aux représentans du peuple.

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>> On ne peut contester que l'acte qui nécessite après lui l'augmentation des impositions, la disposition des propriétés; que l'acte qui peut anéantir la liberté publique, dissoudre la machine politique, doit être confié à ceux qui doivent exprimer la volonté générale. Les fonctions du monarque ne sont pas moins évidentes : il a l'inspection des résolutions nationales; il peut prendre les précautions nécessaires pour la sûreté de l'empire. Non seulement il doit diriger la guerre, avoir en sa disposition les forces destinées au secours de l'Etat, nommer des négociateurs, mais encore il est chargé de pourvoir de son propre mouvement à la sûreté de ses frontières; ; il a le droit de faire les préparatifs de guerre ; il a encore un plus grand caractère, celui de représenter le peuple français auprès des autres peuples. Les actes dévolus au corps législatif sont indispensables pour la liberté; tout ce qui porte un caractère de majesté nous l'avons mis sur la tête du roj: pourvoir à la sûreté de cet empire, veiller à ce qu'il ne soit porté aucune atteinte à sa dignité, tel est le caractère du chef de la nation.

» Voilà, d'après les différentes discussions, quel m'a paru être le but de tous ceux qui avaient des principes conformes à notre constitution. Je laisse de côté tous les projets de décret qui attribuent au roi le droit de faire la guerre; ils sont incom

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