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narchie dont le chef est réduit à une vaine représentation, qu'on me cite un seul peuple qui ait exclusivement attribué l'exercice de la guerre et de la paix à un sénat. On prouvera très-bien dans la théorie que le pouvoir exécutif conservera toute sa force si tous les préparatifs, toute la direction, toute l'action appartiennent au roi, et si le corps législatif se borne à dire je veux la guerre ou la paix; mais montrez-moi comment le corps représentatif, tenant de si près à l'action du pouvoir exécutif, ne franchira pas les limites presque insensibles qui les sépareront. Je le sais ; la séparation existe encore; l'action n'est pas la volonté; mais cette ligne de démarcation est bien plus facile à démontrer qu'à conserver; et n'est-ce pas s'exposer à confondre les pouvoirs, ou plutôt n'est-ce pas déjà les confondre en véritable pratique sociale, que de les rapprocher de si près ?

» Si j'examine les inconvéniens de l'attribution exclusive au corps législatif, par rapport à nous-mêmes, c'est à dire par rapport aux obstacles que les ennemis du bien public n'ont cessé de vous opposer dans votre carrière, que de nouveaux contradicteurs n'allez-vous pas exciter parmi ces citoyens qui ont espéré de pouvoir concilier toute l'énergie de la liberté avec la prérogative royale? Je ne parle que de ceux-là, non des flatteurs, non des courtisans, de ces hommes avilis qui préfèrent le despotisme à la liberté; non de ceux qui ont osé soutenir dans cette tribune que nous n'avions pas eu le droit de changer la constitution de l'Etat, ou que l'exercice du droit de la paix et de la guerre est indivisible de la royauté, ou que le conseil si souvent corrompu dont s'entourent les rois est un plus fidèle organe de l'intérêt public que les représentans choisis par le peuple : ce n'est point de ces blasphémateurs, ni de leurs impiétés, ni de leurs impuissans efforts que je veux parler, mais de ces hommes qui, faits pour être libres, redoutent cependant les commotions du gouvernement populaire, de ces hommes qui, après avoir regardé la permanence d'une assemblée nationale comme la seule barrière du despotisme, regardent aussi la royauté comme une utile barrière contre l'aristocratie.

» Enfin, par rapport au roi, par rapport à ses successeurs,

quel sera l'effet inévitable d'une loi qui concentrerait dans le corps législatif le droit de faire la paix ou la guerre ? Pour les rois faibles la privation de l'autorité ne sera qu'une cause de découragement et d'inertie; mais la dignité royale n'est-elle donc plus au nombre des propriétés nationales? Un roi environné de perfides conseils, ne se voyant plus l'égal des autres rois, se croira détrôné: il n'aura rien perdu, car le droit de faire les préparatifs de la guerre est le véritable exercice du droit de la guerre; mais on lui persuadera le contraire; et les choses n'ont de prix, et jusqu'à un certain point de réalité, que dans l'opinion. Un roi juste croira du moins que le trône est environné d'écueils, et tous les ressorts de la force publique se relâcheront. Un roi ambitieux, mécontent du lot que la constitution lui aura donné, sera l'ennemi de cette constitution dont il doit être le garant et le gardien.

» Faut-il donc pour cela redevenir esclaves? Faut-il, pour diminuer le nombre des mécontens, souiller notre immortelle constitution par de fausses mesures, par de faux principes? Ce n'est pas ce que je propose, puisqu'il s'agit au contraire de savoir si le double concours que j'accorde au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif, dans l'exercice du droit de la guerre et de la paix, ne serait pas plus favorable à la liberté nationale.

» Ne croyez pas que j'aie été séduit par l'exemple de l'Angleterre, qui laisse au roi l'entier exercice du droit de la paix et de la guerre : je le condamne moi-même cet exemple.

» Là le roi ne se borne pas à repousser les hostilités; il les commence, il les ordonne et je vous propose au contraire de poursuivre comme coupables les ministres ou leurs agens qui auront fait une guerre offensive.

» Là le roi ne se borne pas à faire la guerre; il la déclare par une simple proclamation en son nom : et une telle proclamation étant un acte véritablement national, je suis bien éloigné de croire qu'elle doive être faite au nom du roi chez une nation libre.

» Là le roi n'est pas forcé de convoquer le parlement lorsqu'il commence la guerre, et souvent, durant un long

intervalle, le corps législatif non rassemblé est privé de tout moyen d'influence, pendant que le monarque, déployant toutes les forces de l'empire, entraîne la nation dans des mesures qu'elle ne pourra prévenir lorsqu'elle sera consultée: je vous propose au contraire de forcer le roi à notifier sur le champ les hostilités ou imminentes ou commencées, et de décréter que le corps législatif sera tenu de se rassembler à l'instant.

» Là le chef de l'Etat peut suivre la guerre pour s'agrandir, pour conquérir, c'est à dire pour s'exercer au métier de la tyrannie je vous propose au contraire de déclarer à toute l'Europe que vous n'emploierez jamais la force publique contre la liberté d'aucun peuple.

» Là le roi n'éprouve d'autre obstacle que le refus des fonds publics; et l'énorme dette nationale prouve assez que cette barrière est insuffisante, et que l'art d'apauvrir les nations est un moyen de despotisme non moins redoutable que tout autre: je vous propose au contraire d'attribuer au corps législatif le droit d'improuver la guerre et de requérir le roi de négocier la paix.

» Là le roi n'est pas obligé de faire connaître au parlement les pactes secrets des traités d'alliance, et la nation anglaise se trouve ainsi engagée dans des guerres, dans des livraisons d'hommes, d'argent, de vaisseaux, sans qu'elle y ait consenti et je vous propose au contraire d'abolir tous les pactes secrets des rois, parce que les rois ne peuvent avoir de secret pour les peuples.

» Enfin les milices de l'Angleterre ne sont pas organisées de manière à servir de contre-poids à la force publique, qui est tout entière dans les mains du roi : et je propose au contraire d'attribuer au corps législatif, si le roi fait la guerre en personne, le droit de réunir telle portion de la garde nationale du royaume en tél lieu qu'il jugera convenable; et sans doute vous organiserez cette force intérieure de madière à faire une armée pour la liberté publique, comme vous en avez une pour garantir vos frontières.

»Voyons maintenant s'il reste encore des objections que je n'aie pas détruites dans le système que je combats.

» Le roi, dit-on, pourra donc faire des guerres injustes, des guerres anti-nationales; et comment le pourrait-il, je vous le demande à vous-mêmes? Est-ce de bonne foi qu'on dissimule l'influence d'un corps législatif toujours présent, toujours surveillant, qui pourra non seulement refuser des fonds, mais improuver la guerre, mais requérir la négociation de la paix? Ne rien l'influence comptez-vous encore pour d'une nation organisée dans toutes ses parties, qui exercera constamment le droit de pétition dans des formes légales? Un roi despote serait arrêté dans ses projets; un roi citoyen, un roi placé au milieu d'un peuple armé ne le sera-t-il pas? >> On demande qui veillera pour le royaume lorsque le pouvoir exécutif déploiera toutes ses forces? Je réponds : la loi, la constitution, l'équilibre toujours maintenu de la force intérieure avec la force extérieure.

>> On dit que nous ne sommes pas encadrés pour la liberté, comme l'Angleterre; mais aussi nous avons de plus grands moyens de conserver la liberté, et je propose de plus grandes précautions.

>> Notre constitution n'est point encore affermie; on peut nous susciter une guerre pour avoir le prétexte de déployer une grande force, et de la tourner bientôt contre nous.... Hé bien, ne négligeons pas ces craintes; mais distinguons le moment présent des effets durables d'une constitution, et ne rendez pas éternelles les dispositions provisoires que la circonstance extraordinaire d'une grande convention nationale pourra vous suggérer. Mais si vous portez les défiances du moment dans l'avenir, prenez garde qu'à force d'exagérer les craintes nous ne rendions les préservatifs pires que les maux, et qu'au lieu d'unir les citoyens par la liberté nous ne les divisions en deux partis toujours prêts à conspirer l'un contre l'autre. Si à chaque pas on nous menace de la résurrection du despotisme écrasé, si l'on nous oppose sans cesse les dangers d'une très-petite partie de la force publique, malgré plusieurs millions d'hommes armés pour la constitution, quel autre moyen nous reste-t-il? Périssons dans ce moment! qu'on ébranle les voûtes de ce temple! et mourons aujourd'hui libres, si nous devons être esclaves demain.

» Il faut, continue-t-on, restreindre l'usage de la force publique dans les mains du roi; je le pense comme vous, et nous ne différons que dans les moyens : mais prenez garde encore qu'en voulant la restreindre vous ne l'empêchiez d'agir, et qu'elle ne devienne nulle dans ses mains.

» Mais, dans la rigueur des principes, la guerre peut-elle jamais commencer sans que la nation ait décidé si la guerre doit être faite?

» Je réponds: l'intérêt de la nation est que toute hostilité soit repoussée par celui qui a la direction de la force publique; voilà la guerre commencée. L'intérêt de la nation est que les préparatifs de guerre des nations voisines soient balancés par les nôtres; voilà la guerre. Nulle délibération ne peut précéder ces événemens, ces préparatifs : c'est lorsque l'hostilité, ou la nécessité de la défense, de la voie des armes, ce qui comprend tous les cas, sera notifiée au corps législatif qu'il prendra les mesures que j'indique; il improuvera; il requerra de négocier la paix; il accordera ou refusera les fonds de la guerre; il poursuivra les ministres; il disposera de la force intérieure; il confirmera la paix, ou refusera de la sanctionner.

» Je ne connais que ce moyen de faire concourir utilement le corps législatif à l'exercice du droit de paix et de guerre, c'est à dire à un pouvoir mixte, qui tient tout à la fois de l'action et de la volonté.

» Les préparatifs mêmes, dites-vous encore, qui serant laissés dans la main du roi, ne seront-ils pas dangereux? Sans doute ils le seront; mais ce danger est inévitable dans tous les systèmes. 11 est bien évident que pour concentrer utilement dans le corps législatif l'exercice du droit de la guerre, il faudrait lui laisser aussi le soin d'en ordonner les préparatifs; mais le pouvez-vous sans changer la forme du gouvernement? Et si le roi doit être chargé des préparatifs, s'il est forcé par la nature, par l'étendue de nos possessions, de les disposer à une grande distance, ne faut-il pas lui laisser aussi la plus grande latitude dans les moyens? Borner les préparatifs ne serait-ce pas les détruire? Or je demande si, lorsque les préparatifs existent, le commencement de la

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