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soit relative à l'étendue de vos côtes, à l'importance de votre commerce, à la distance de vos possessions lointaines, à la force de vos ennemis?

>>

Cependant, messieurs, je le sens aussi vivement que tout autre, ne laissons pas surprendre notre vigilance par ces difficultés; car il faut bien qu'il existe un moyen d'empêcher que le pouvoir exécutif n'abuse même du droit de veiller à la défense de l'Etat ; qu'il ne consume en armemens inutiles des sommes immenses; qu'il ne prépare des forces pour luimême, en feignant de les destiner contre un ennemi; qu'il n'excite, par un trop grand appareil de défense, la jalousie ou la crainte de nos voisins: sans doute, il le faut. Mais la marche naturelle des événemens nous indique comment le corps législatif réprimera de tels abus; car, d'un côté, s'il faut des armemens plus considérables que ne le comporte l'extraordinaire des guerres, le pouvoir exécutif sera obligé de les demander, et vous aurez le droit d'improuver les préparatifs, de forcer à la négociation de la paix, de refuser les fonds demandés. D'un autre côté la prompte notification que le pouvoir exécutif sera tenu de faire de l'état de la guerre, soit imminente, soit commencée, ne vous laissera-t-elle pas les moyens de veiller à la liberté publique ?

» Ici je comprends, messieurs, le troisième cas dont j'ai parlé, celui d'une guerre à entreprendre pour recouvrer ou conserver une possession ou un droit, ce qui rentre dans la guerre défensive. Il semble d'abord que, dans une telle hypothèse, le corps législatif aurait à délibérer même sur les préparatifs; mais tâchez d'appliquer, mais réalisez ce cas bypothétique. Un droit est-il usurpé ou contesté, le pouvoir exécutif chargé des relations extérieures tente d'abord de le recouvrer par la négociation. Si ce premier moyen est sans succès, et que le droit soit important, laissez encore au pouvoir exécutif le droit des préparatifs de défense; mais forcez-le à notifier aux représentans de la nation l'usurpation dont il se plaint, le droit qu'il réclame, tout comme il sera forcé de notifier une guerre imminente ou commencée. Vous établirez par ce moyen une marche uniforme dans tous les cas, et je vais démontrer qu'il suffit que le concours du pou

voir législatif commence à l'époque de la notification dont je viens de parler pour concilier parfaitement l'intérêt national avec le maintien de la force publique.

» Les hostilités sont donc ou commencées ou imminentes. Quels sont alors les devoirs du pouvoir exécutif? Quels sont les droits du pouvoir législatif?

» Je viens de l'annoncer; le pouvoir exécutif doit notifier sans aucun délai l'état de guerre ou existant ou prochain; en faire connaître les causes, demander les fonds nécessaires; requérir la réunion du corps législatif, s'il n'est point assemblé.

» Le corps législatif, à son tour, a quatre sortes de mesures à prendre. La première est d'examiner si les hostilités étant commencées, l'agression coupable n'est pas venue de nos ministres ou de quelque agent du pouvoir exécutif : dans un tel cas l'auteur de l'agression doit être poursuivi comme criminel de lèse-nation. Faites une telle loi, et par cela seul vous bornerez vos guerres au seul exercice du droit d'une juste défense; et vous aurez plus fait pour la liberté publique que si, pour attribuer exclusivement le droit de la guerre au corps représentatif, vous perdiez les avantages que l'on peut tirer de la royauté.

» La seconde mesure est d'improuver la guerre si elle est nutile ou injuste; de requérir le roi de négocier la paix, et de l'y forcer en refusant les fonds. Voilà, messieurs, le véritable droit du corps législatif. Les pouvoirs alors ne sont pas confondus; les formes des divers gouvernemens ne sont pas violées, et, sans tomber dans l'inconvénient de faire délibérer sept cents personnes sur la paix ou sur la guerre, ce qui certainement n'est pas sans de grands dangers, ainsi que je le démontrerai bientôt, l'intérêt national est également conservé.

» Au reste, messieurs, lorsque je propose de faire improuver la guerre par le corps législatif, tandis que je lui refuse le droit exclusif de faire la paix ou la guerre, ne croyez pas que j'élude en cela la question, ni que je propose la même délibération sous une forme différente. Il est une nuance très-sensible entre improuver la guerre et délibérer

la guerre vous allez l'apercevoir. L'exercice du droit de faire la paix et la guerre n'est pas simplement une action ni un acte de pure volonté ; il tient au contraire à ces deux principes; il exige le concours des deux pouvoirs; et toute la théorie de cette question ne consiste qu'à assigner, soit au pouvoir législatif, soit au pouvoir exécutif, le genre de concours qui par sa nature lui est plus propre qu'aucun autre. Faire délibérer directement le corps législatif sur la paix ct sur la guerre, comme autrefois en délibérait le sénat de Rome, comme en délibèrent les états de Suède, la diète de Pologne, la confédération de Hollande, ce serait faire d'un roi de France un stadhouder ou un consul; ce serait choisir, entre les deux délégués de la nation, celui qui, quoique épuré sans cesse par le choix du peuple, par le renouvellement continuel des élections, est cependant le moins propre, sur une telle matière, à prendre des délibérations utiles. Donner au contraire au pouvoir législatif le droit d'examen, d'improbation, de réquisition de la paix, de poursuite contre un ministre coupable, de refuser des fonds, c'est le faire coucourir à l'exercice d'un droit national par les moyens qui sont propres à la nature d'un tel corps, c'est à dire par le poids de son influence, par ses soins, par sa surveillance, par son droit exclusif de disposer des forces et des revenus de l'Etat.

>> Cette différence est donc très-marquée, et conduit au but en conservant les deux pouvoirs dans toute leur intégrité, tandis qu'autrement vous vous trouverez forcés de faire un choix exclusif entre les deux pouvoirs qui doivent marcher ensemble.

» La troisième mesure du corps législatif consiste dans une suite de moyens que j'indique pour prévenir les dangers de la guerre en la surveillant, et je lui en attribue le droit.

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Le premier de ces moyens est de ne point prendre de va cances tant que dure la guerre.

» Le second de prolonger sa cession dans le cas d'une guerre imminente.

» Le troisième de réunir en telle quantité qu'il le trouvera nécessaire la garde nationale du royaume, dans le cas où le roi ferait la guerre en personne.

>> Le quatrième de requérir, toutes les fois qu'il le jugera convenable, le pouvoir exécutif de négocier la paix.

» Je m'arrête un instant sur ces deux derniers moyens parce qu'ils font connaître parfaitement le système que je propose.

» De ce qu'il peut y avoir des dangers à faire délibérer la guerre par le corps législatif, quelques personnes soutiennent que le droit de la guerre et de la paix n'appartient qu'au monarque; elles affectent même le doute que la nation puisse légitimement disposer de ce droit, tandis qu'elle a pu déléguer la royauté. Eh! qu'importe en effet à ces hommes de placer à côté de notre constitution une autorité sans bornes, toujours capable de la renverser ! La chérissent-ils cette constitution? Est-elle leur ouvrage comme le nôtre ? Veulent-ils la rendre immortelle comme la justice et la raison ?

» D'un autre côté, de ce que le concours du monarque dans l'exercice du droit de faire la paix ou la guerre peut présenter des dangers, et il en présente en effet, d'autres concluent qu'il faut le priver du droit d'y concourir. Or en cela ne veulent-ils pas une chose impossible, à moins d'ôter au roi les préparatifs de la paix et de la guerre ? Pour moi j'établis le contre-poids des dangers qui peuvent naître du pouvoir royal dans la constitution même, dans le balancement des pouvoirs, dans les forces intérieures que vous donnera cette garde nationale, seul équilibre propre au gouvernement représentatif, contre une armée placée aux frontières; et félicitez-vous, messieurs, de cette découverte ; si votre constitution est immuable, c'est de là que naîtra sa stabilité.

» D'un autre côté, si j'attribue au corps législatif le droit de requérir le pouvoir exécutif de négocier la paix, remarquez que par cela je n'entends pas donner au corps législatif l'exercice du droit exclusif de faire la paix ; ce serait retomber dans tous les inconvéniens dont j'ai déjà parlé. Qui connaîtra le moment de faire la paix; si ce n'est celui qui tient le fil de toutes les relations politiques? Déciderez-vous aussi que les agens employés pour cela ne correspondront qu'avec vous? leur donnerez-vous des instructions? répondrez-vous à leurs dépêches? les remplacerez-vous s'ils ne remplissent pas toute

votre attente? découvrirez-vous par des discussions solennelles, les motifs secrets qui vous porteront à faire la paix? donnerez-vous ainsi la mesure de votre force ou de votre faiblesse? et votre loyauté vous fît-elle une loi de ne rien dissimuler, forcerez-vous aussi les envoyés des puissances ennemies à l'éclat d'une discussion?

» Je distingue donc le droit de requérir le pouvoir exécutif de faire la paix d'un ordre donné pour la conclure, et de l'exercice même du droit de faire la paix; car est-il une autre manière de remplir l'intérêt national que celle que je propose? Lorsque la guerre est commencée il n'est plus an pouvoir d'une nation de faire la paix; l'ordre même de faire retirer les troupes arrêtera-t-il l'ennemi? Fût-on disposé à des sacrifices, sait-on si des conditions altérées ou exagérées par notre propre ministère ne seront pas tellement onéreuses que l'honneur ne permette pas de les accepter? La paix même étant entamée, la guerre cesse-t-elle pour cela? C'est donc au pouvoir exécutif à choisir le moment convenable pour une négociation, à la préparer en silence, à la conduire avec habileté : c'est au pouvoir législatif à le requérir de s'occuper sans relâche de cet objet important; c'est à lui à faire punir le ministre ou l'agent coupable qui, dans une telle fonction, ne remplirait pas ses devoirs. Voilà les limites invincibles que l'intérêt public ne permet pas d'outrepasser, et que la nature même des choses a posées.

» Enfin la quatrième mesure du corps législatif est de redoubler d'attention pour remettre sur le champ la force publique dans son état permanent lorsque la guerre vient à cesser. Ordonnez alors de congédier sur le champ les troupes extraordinaires, fixez un court délai pour leur séparation, bornez la continuation de leur solde jusqu'à cette époque, et rendez le ministre responsable, poursuivez-le comme coupable, si des ordres aussi importans ne sont pas exécutés : voilà ce que prescrit encore l'intérêt public.

» J'ai suivi, messieurs, le même ordre de questions pour savoir à qui doit appartenir le droit de faire des traités de paix, d'alliance, de commerce, et toutes les autres conventions qui peuvent être nécessaires au bien de l'État. Je me

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