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parlé de la honte des journées de Courtray, de Crécy, de Poitiers? Vous a-t-on parlé des perfidies de Philippe-le-Bel, de Philippe de Valois, du roi Jean? La nation voulait reprendre le droit d'inspecter les ministres, et de sortir de l'humiliation où elle était tombée. On ne vous a pas dit qu'en 1527 la nation a cassé le traité de Madrid et annullé les aliénations qui avaient été faites sans son consentement. Oter au roi le droit d'aliéner les provinces, c'est nécessairement lui refuser celui de faire la guerre; car les suites de la guerre entraînent souvent l'aliénation d'une partie du territoire national.

>> La guerre de la ligue n'a-t-elle pas été voulue par la nation? En 1576 les états de Blois l'ordonnèrent. Depuis cette époque jusqu'en 1630 les rois, dans tous leurs manifestes, se sont appuyés de la délibération de ces états. Ainsi, j'avais raison de dire que c'était seulement depuis cent soixante ans que la nation avait cessé d'user du droit de déclarer ou de consentir la guerre ; ainsi jusqu'à cette époque, de siècle en siècle, la nation a usé de ce droit.

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» Je passe à l'établissement des principes. Vous avez voulu que la nation soit libre, et je prétends qu'elle ne sera pas libre si vous décidez qu'elle sera à la merci des ministres et des jeux des puissances étrangères. Toute guerre tend à la division du corps monarchique vous avez déclaré qu'aucune propriété nationale ne pouvait être aliénée; il en résulte évidemment que si les ministres pouvaient faire la guerre, ils pourraient mettre des impôts; ils pourraient disposer des propriétés nationales. Vous êtes menacés, dit-on, d'une guerre maritime on vous demande des secours extraordinaires pour mettre huit vaisseaux de ligne en mouvement dans l'Océan et six dans la Méditerranée, et pour préparer les mesures tendant à augmenter cet armement, si cela est nécessaire; c'est à dire que les quarante-deux millions que le comité de marine doit vous demander pour cet armement, et les cinquante-deux millions que d'autres membres croient indispensables, ne serviront qu'à avoir dans les ports une flotte dégréée. Le 10 juillet 1690 vous aviez dans la Manche, en ligne de bataille, quatre-vingts bâtimens de haut-bord : savez-vous ce que coûtait cette force maritime? dix-sept

millions je parle d'après les originaux signés de la main de Louis XIV. En supputant la valeur du marc d'argent, cette somme équivaut à quarante-deux millions de notre monnaie, et aujourd'hui il nous faut une somme plus considérable pour tenir tous nos vaisseaux dégréés et tous nos matelots tranquilles. Il en fut à peu près de même l'année suivante, jusqu'à la guerre de la succession.

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>> J'ai voulu connaitre jusqu'où montait les forces de la marine depuis l'année 1777 jusqu'en 1782; cela m'a été impossible. J'ai trouvé la même impossibilité pour les comptes des campagnes de 174, de 1756, et de la guerre de la succession. Ainsi, quand on vous propose de délibérer sur les armemens vous n'avez aucune base. Je crois juste et utile de donner au corps législatif le droit d'ouvrir la guerre, et de le charger de déterminer la mesure des forces.... Je propose de décréter que la nation, ayant essentiellement le droit de décider, déclarer et faire la guerre, le délégue à ses représentans, pour en user avec les mesures qui seront arrêtées. » Discours de M. le comte de Mirabeau, tel qu'il le prononça à la tribune dans la séance du 20 mai 1790 (1).

« Si je prends la parole sur une matière soumise depuis cinq jours à de longs débats, c'est seulement pour établir l'état de la question, laquelle, à mon avis, n'a pas été posée ainsi qu'elle devait l'être. Un pressant péril dans le moment actuel, de grands dangers dans l'avenir, ont dû exciter toute l'attention du patriotisme; mais l'importance de la question a aussi son propre danger. Ces mots de guerre et de paix sonnent fortement à l'oreille, réveillent et trompent l'imagination, excitent les passions les plus impérienses, la fierté, le courage, se lient aux plus grands objets, aux victoires, aux conquêtes, aux sort des empires, surtout à la liberté, surtout à la durée de cette constitution naissante que tous les Français ont juré de maintenir; et lorsqu'une question de droit public se présente dans un si imposant appareil, quelle attention ne faut-il pas avoir sur soi-même

(1) On verra plus loin le motif de cette remarque.

pour concilier, dans une discussion aussi grave, la raison froide, la profonde méditation de l'homme d'état avec l'émotion bien excusable que doivent inspirer les craintes qui nous environnent!

» Faut-il déléguer au roi l'exercice du droit de faire la paix et la guerre, ou doit-on l'attribuer au corps législatif? C'est ainsi, messieurs, c'est avec cette alternative qu'on a jusqu'à présent énoncé la question, et j'avoue que cette - manière de la poser la rendrait insoluble pour moi-même. Je ne crois pas qu'on puisse, sans anéantir la constitution, déléguer au roi l'exercice du droit de faire la paix ou la guerre; je ne crois pas non plus qu'on puisse attribuer exclusivement ce droit au corps législatif sans nous préparer des dangers d'une autre nature, et non moins redoutables. Mais sommes-nous forcés de faire un choix exclusif? Ne peut-on pas, pour une des fonctions du gouvernement qui tient tout à la fois de l'action et de la volonté, de l'exécution et de la délibération, faire concourir au même but, sans les exclure l'un par l'autre, les deux pouvoirs qui constituent la force de la nation et qui représentent sa sagesse ? Ne peut-on pas restreindre les droits, ou plutôt les abus de l'ancienne royauté, sans paralyser la force publique? Ne peut-on pas, d'un autre côté, connaître le vœu national sur la guerre et sur la paix par l'organe suprême d'une assemblée représentative, sans transporter parmi nous les inconvéniens que nous découvrons dans cette partie du droit public des républiques anciennes et de quelques états de l'Europe? En un mot, car c'est ainsi que je me suis proposé à moi-même la question générale que j'avais à résoudre, ne faut-il pas altribuer concurremment le droit de faire la paix et la guerre aux deux pouvoirs que notre constitution a con

sacrés ?

» Avant de nous décider sur ce nouveau point de vue, je vais d'abord examiner avec vous si, dans la pratique de la guerre et de la paix, la nature des choses, leur marche invincible ne nous indiquent pas les époques où chacun des deux pouvoirs peut agir séparément, les points où leur concours se rencontre, les fonctions qui leur sont communcs

et celles qui leur sont propres, le moment où il faut délibérer et celui où il faut agir. Croyez, messieurs, qu'un tel examen nous conduira bien plus facilement à la vérité que si nous nous bornions à une simple théorie.

» Et d'abord est-ce au roi ou au corps législatif à entretenir des relations extérieures, à veiller à la sûreté de l'empire, à faire, à ordonner les préparatifs nécessaires pour le défendre?

» Si vous décidez cette première question en faveur du roi, et je ne sais comment vous pourriez la décider autrement sans créer dans le même royaume deux pouvoirs exécutifs, vous êtes contraints de reconnaître, par cela seul, que la force publique peut être dans le cas de repousser une première hostilité avant que le corps législatif ait eu le temps de manifester aucun vou, ni d'approbation, ni d'improbation qu'est-ce que repousser une première hostilité si ce n'est commencer la guerre?

» Je m'arrête à cette première hypothèse pour vous en faire sentir la vérité et les conséquences. Des vaisseaux sont envoyés pour garantir nos colonies; des soldats sont placés sur nos frontières : vous convenez que ces préparatifs, que ces moyens de défense appartiennent au roi; or si ces vaisseaux sont attaqués, si ces soldats sont menacés, attendrontils pour se défendre que le corps législatif ait approuvé ou improuvé la guerre? Non, sans doute : hé bien, par cela seul, la guerre existe, et la nécessité en a donné le signal. De là je conclus que, presque dans tous les cas, il ne peut y avoir de délibération à prendre que pour savoir si la guerre doit être continuée. Je dis presque dans tous les cas; en effet, messieurs, il ne sera jamais question, pour des Français dont la constitution vient d'épurer les idées de jastice, de faire ou de concerter une guerre offensive, c'est à dire d'attaquer les peuples voisins lorsqu'ils ne nous attaquent point dans ce cas sans doute une délibération serait nécessaire; mais une telle guerre doit être regardée comme un crime, et j'en ferai l'objet d'un article de décret.

»Ne s'agit-il donc que d'une guerre défensive, où l'ennemi a commis des hostilités? voilà la guerre où, sans

qu'il y ait encore des hostilités, les préparatifs de l'ennemi en annoncent le dessein? déjà, par cela seul, la paix n'existe plus; la guerre est commencée.

>> Il est un troisième cas; c'est lorsqu'il faut décider si un droit contesté ou usurpé sera repris ou maintenu par la force des armes, et je n'oublierai pas d'en parler; mais jusque-là je ne vois pas qu'il puisse être question, pour le corps législatif, de délibérer. Le moment viendra où les préparatifs de défense, excédant les fonds ordinaires, lui seront dénoncés, et je ferai connaître quels sont alors ses droits.

» Mais quoi, direz-vous, le corps législatif n'aura-t-il pas toujours le pouvoir d'empêcher le commencement de la guerre? Non, car c'est comme si vous demandiez s'il est un moyen d'empêcher qu'une nation voisine ne nous attaque, et quel moyen prendriez-vous ?

»Ne ferez-vous aucuns préparatifs? Vous ne repousserez point les hostilités, mais vous les souffrirez. L'état de guerre sera le même.

>>

Chargerez-vous le corps législatif des préparatifs de défense? Vous n'empêcherez pas pour cela l'agression; et comment concilierez-vous cette action du pouvoir législatif avec celle du pouvoir exécutif?

» Forcerez-vous le pouvoir exécutif de vous notifier ses moindres préparatifs, ses moindres démarches? Vous violerez par cela seul toutes les règles de la prudence; l'ennemi, connaissant toutes vos précautions, toutes vos mesures, les déjouera; vous rendrez les préparatifs inutiles: autant vaudrait-il n'en point ordonner.

» Bornerez-vous l'étendue des préparatifs? Mais le pouvez-vous avec tous les points de contact qui vous lient à l'Europe, à l'Inde, à l'Amérique, à tout le globe? Mais ne faut-il pas que vos préparatifs soient dans la proportion de ceux des états voisins? Mais les hostilités commencent-elles moins entre deux vaisseaux qu'entre deux escadres? L'état permanent de la marine et de l'armée ne suffirait-il pas au besoin pour commencer la guerre? Mais ne serez-vous pas forcés d'accorder chaque année une certaine somme pour des armemens imprévus? Ne faut-il pas que cette somme

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