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déclarons hautement, en accordant au corps législatif tout ce qu'il peut raisonnablement demander, que, s'il soumet ces contrats nationaux à sa ratification spéciale, il ne peut du moins se la réserver que dans le cas où il faudrait aliéner une portion du territoire de la France.

» Nous disons que ce serait le plus grand des malheurs pour les Français que de regarder leur roi comme leur ennemi; que la France doit tous ses établissemens et toute sa gloire à ses monarques; qu'ils n'ont jamais séparé leurs intérêts de la grandeur de la nation; qu'après avoir reconquis par la voie des armes la plupart des anciennes provinces démembrées de la monarchie, ils ont réuni au royaume la Bretagne par un mariage, la Bourgogne par un droit de mouvance, le Dauphiné par un testament, le comté de Toulouse par une transaction, la Provence par droit d'héritage et par des sacrifices pécuniaires, l'Alsace et la Lorraine par des traités, et que les mauvais citoyens sont ces mêmes démagogues dont toute la popularité consiste à diviser le monarque et le peuple, et à semer la discorde entre le père de la patrie et ses enfans. (Murmures.)

(1) » Nous disons enfin que l'impétuosité trop naturelle à la nation ne pourrait amener que des calamités, si, dans ce moment d'effervescence qui agite l'empire français, nous affaiblissions encore par nos décrets, dans l'opinion publique, le ressort du pouvoir exécutif, sans lequel nous ne verrons jamais renaître l'ordre et la tranquillité dont nous jouissions avant l'aurore si orageuse de notre liberté.

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Qu'était en effet la France, messieurs, avant la convocation des Etats généraux? Hélas! vous vous en souvenez encore. Notre patrie était alors l'Etat le mieux policé et le plus tranquille de l'Europe; les étrangers y étaient sans cesse attirés par la douceur de nos mœurs autant que par la beauté de notre climat; l'agriculture, le commerce, les arts y fleu-. rissaient à l'ombre du trône ; tous les ordres de l'Etat vivaient en paix ; nous ne pouvions plus nous former aucune idée de

(1) Toute la fin de ce discours se perdit au bruit des murmures d'une grande majorité de l'Assemblée.

ces anciennes discordes civiles, que la France avait oubliées depuis deux siècles; le trésor public était obéré, mais les Français étaient riches; les économies, la réforme des abus, et surtout les vertus de notre roi, nous offraient des ressources immenses pour acquitter la dette de l'Etat ; tous les genres de bien étaient, je ne dis pas possibles, mais faciles ; et les représentans de la nation, armés d'une toute-puissance d'opinion à laquelle rien ne résistait, s'avançaient au milieu des bénédictions universelles pour régénérer ce beau royaume, dont l'Europe entière semblait devoir envier bientôt la prospérité!...

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Qu'est aujourd'hui la France? Un triste objet de pitié pour toutes les nations. Le palais solitaire de nos rois !...... Le peuple le plus doux de l'univers !... Je m'arrête. Je vois de loin le génie de la France, déchirant de nos annales ces pages ensanglantées qu'il faudrait dérober à nos descendans. Toutes les propriétés sont aujourd'hui menacées ou méconnues; le brigandage est universel et impuni; une émigration générale a dispersé nos concitoyens et nos trésors; des signaux alarmans de détresse s'élèvent à la fois de toutes nos provinces; les peuples ne veulent obéir qu'aux décrets qui flattent leurs passions.... Que dis-je? On ose fabriquer au loin des décrets pour commander des crimes au nom des représentans de la France!... Un peuple qui veut être libre oublie qu'il n'y aura jamais de liberté sans la soumission aux lois. Plus de subordination, plus de tribunaux, plus d'armée..... Je me trompe; douze cent mille hommes ont les armes à la main, sans connaître, sans avoir un seul ennemi : tous ceux qui doivent payer l'impôt sont armés, tous ceux qui doivent le faire payer sont désarmés. Les insurrections ont tari la source des tributs; la fortune publique est en danger; toutes les classes des citoyens s'observent avec inquiétude et jalousie; les classes inférieures de la société ne veulent plus admettre à l'égalité, dans les assemblées primaires, les citoyens dont la prééminence n'avait jamais été contestée. La religion, qui pouvait seule ramener les hommes à cette unité de principes et d'intérêts sans laquelle il ne peut exister aucun esprit public, voit tous ses ressorts brisés ou détendus. Tous

les anciens rapports qui liaient le puissant au faible, le riche au pauvre, sont anéantis. Nous ne connaissons plus dans notre nouvelle législation l'image de cette institution à laquelle nos publicistes rapportent l'origine de nos fiels : je veux parler ici de cette belle clientèle des Romains, qui étendait la correspondance des patrons avec les cliens, des familles aux cités et des villes aux provinces, et qui, par un échange continuel de protection et de services, sauvait les grands de l'envie et les indigens du mépris.

» Enfin que deviendra la France ainsi divisée, ainsi couverte de ruines et de débris? C'est la grande et triste question que s'adressent mutuellement tous les citoyens dès que leurs pensées peuvent s'épancher en liberté dans les inquiètes prévoyances des entretiens les plus intimes. Consternés du présent, épouvantés de l'avenir, ils cherchent avec effroi une issue à tant de calamités, et ils n'en découvrent aucune; ils ne connaissent plus d'état solide, plus de fortune assurée, plus d'asile inviolable; et quand ils lèvent les yeux vers le trône, du milieu de cette révolution qui n'a fait encore que des victimes, ils se voient placés entre trois nouveaux désastres dont la France est aujourd'hui menacée; je veux dire entre le desptisme du gouvernement, l'invasion des étrangers et le démembrement des provinces du royaume.

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D'après ces considérations, je conclus en proposant à l'Assemblée nationale le décret suivant :

» L'Assemblée nationale a décrété et décrète que le droit de déclarer la guerre et de conclure tous les traités avec les puissances étrangères sera exclusivement exercé par le roi; mais les traités de paix devront être ratifiés par le corps législatif s'ils stipulent l'aliénation de quelques parties du territoire de la France : de même que les traités d'alliance, s'ils portent un engagement de payer des subsides: ainsi que les traités de commerce, s'ils règlent une nouvelle diminution ou augmentation des droits de douane pour l'entrée ou la sortie de certaines marchandises aux frontières du royaume. »>

M. Fréteau. (Séance du 20.)

«Des politiques très-profonds ayant traité la question, il peut paraître extraordinaire qu'un homme livré depuis vingtcinq ans à des fonctions paisibles, à l'exercice de la justice', se permette une opinion sur cette matière; mais ces vingtcinq années ont été traversées par une retraite entière et absolue de cinq années : c'est là qu'il a été de mon devoir d'étudier les anciennes lois, les faits de l'histoire, et de nourrir dans mon cœur l'amour de la liberté et de l'humanité; il doit m'être permis, comme il l'a été à des ecclésiastiques, de réclamer pour la liberté, pour les anciennes lois que vous avez ressuscitées, et pour l'intérêt même du monarque. Mais avant tout il faut établir que le droit de faire la guerre a toujours appartenu à la nation; vous ne pouvez, sans enfreindre tous les principes, sans compromettre les intérêts de la patrie, le déléguer à d'autres qu'au corps législatif. Il doit m'être permis d'attaquer le préjugé qu'on a élevé contre ce droit vraiment national, et de prouver que pendant toute la monarchie, excepté les cent soixante dernières années, jamais la nation n'a cessé d'exercer ce droit. Je soutiens, contre ceux qui voulaient prouver le contraire, qu'ils n'ont pu le faire sans altérer l'histoire, sans anéantir les monumens les plus respectables. Voici les faits. On vous a cité comme base principale et sacrée du droit de nos rois le traité d'Andelot, les usages, de Charlemagne, les tristes événemens du roi Jean, ceux du siècle actuel, en 1741, 1756, 1777: hé bien, tout ce qu'on vous a allégué est absolument contraire au texte que je vais vous citer. Tout le monde sait que le traité d'Andelot fut fait entre trois individus, Gontran, un roi de France, et la reine Brunehaut, il est relatif à l'exécution des traités qui terminent la guerre, et il porte ces mots : Fait par l'entremise des barons, des évêques et de tout ce qu'il y avait de grand dans l'Etat. (Mediantibus proceribus, episcopis et aliis magnatibus.)

» On vous a dit que c'était avec douze conseillers que Charlemagne décidait la guerre.... Mézerai, dans le premier volume de l'édition in-folio de 1683, dit : « Je trouve trois sortes de grandes assemblées sous les règnes des Carlovingiens,

savoir les plaids généraux, où l'on vidait les grandes causes; les champs de mai, où venaient les vieillards, les hommes consommés du peuple français, seniores et majores; on y délibérait des principales affaires de la guerre; enfin, conventus colloquia. Ces parlemens ou états étaient composés des barons, des abbés, des comtes et des autres grands de l'empire; on y délibérait des affaires de la police et de l'une et de l'autre milice. Ces deux dernières sortes d'assemblées se réunirent en une seule. >> - On vous dit qu'une nation qui fait la guerre ne peut pas avoir d'alliés... Tout le volume, et surtout les détails de 777, prouvent le contraire. Voyez l'assemblée générale du royaume qui se tint à Paderborn: Charlemagne avait fait plusieurs expéditions sur les Saxons; ils étaient soumis; on les admit aux assemblées en grand nombre; une nation étrangère, les chefs de la nation sarrazine vinrent demander des secours à la nation française contre les lieutenans de Gallicie et d'Espagne. Ainsi sous Charlemagne la nation faisait les traités.

>>

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Après quinze ans de guerre Charlemagne, qui croyait avoir fondé la prospérité de l'empire sur la justice, vit l'effet de ses soins prêt à être détruit par l'invasion des hommes du Nord. Il fit une nouvelle assemblée de tous les membres du corps politique. Il représenta qu'une nouvelle guerre était nécessaire il fut autorisé à avoir des vaisseaux dans tous ports, c'est à dire depuis les bouches du Tibre jusqu'aux Pyrénées, depuis Bayonne jusqu'aux bouches de l'Ebre, et à publier le landvert, afin que tous les comtes montassent sur les vaisseaux. Ainsi les grands officiers eux-mêmes étaient obligés de se soumettre à la loi nationale. On passe sur le champ à l'époque de 1356; mais on trouverait dans les temps intermédiaires les guerres des croisades, décidées dans des conventus colloquia, où non seulement il fut arrêté de déclarer la guerre, mais où l'on règla encore avec quels moyens elle serait faite. On n'aurait pas dû oublier les délibérations nationales en vertu desquelles on fit la guerre aux Albigeois.

>> En parlant des états de 1356 on s'est permis des rapprochemens aussi sinistres que déplacés. Mais vous a-t-on dit ce qui avait amené la nation à s'assembler? Vous a-t-on

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