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» Pensez-vous, messieurs, servir utilement la nation française en faisant dépendre une déclaration de guerre de l'opinion publique? L'opinion publique n'est pas moins immorale qu'insensée lorsque son trône est établi dans une capitale immense où d'innombrables intérêts personnels sont toujours en activité pour la séduire. Représentez-vous le cardinal de Fleury à la fin de sa carrière : ce ministre vertueux, qui préféra toujours la considération à la gloire; qui par son désintéressement se préserva de tous les travers de l'opulence; qui répara par la sagesse de son administration, sans secousses et sans injustices, les malheurs glorieux de Louis XIV et les folles prodigalités de la régence; ce ministre que l'Europe entière révérait comme le père commun de tous les rois, satisfait d'avoir donné la Lorraine à la France, refusait d'entreprendre à l'âge de quatre-vingt-dix ans, la guerre de 1741, qui répugnait autant à son caractère qu'à ses principes : l'ambitieux maréchal de Belle-Isle travailla l'opinion de Paris: des clameurs universelles s'élevèrent bientôt contre ce vieillard vénérable, qui se montrait plus sage que toute la nation; on l'accusait de toute part d'une politique bornée, qui tendait à rétablir sous un autre nom cette même maison d'Autriche dont le cardinal de Richelieu avait conjuré l'abaissement comme la base la plus solide de la grandeur de la France. Fleury résista longtemps au vœu et aux injustices de ses concitoyens; mais enfin, fatigué des persécutions de la capitale, qui n'était dans son délire que l'organe d'un courtisan, il se vit forcé, sur les bords de la tombe, dans tous ses projets, et emporté au-delà de toutes ses mesures; et il entreprit malgré lui cette guerre dont Louis XV signa pour ainsi dire la déclaration au milieu des acclamations insensées de toute la France. Cette guerre de sept années, après nous avoir coûté un million de combattans et plus de six cent millions de livres, fut terminée à Aix-la-Chapelle par un traité de paix qui renvoya les vainqueurs et les vaincus dans leurs anciennes limites, ou plutôt sur leurs communs débris, pour y pleurer leurs désastres et payer leurs dettes. Ajoutons, messieurs, à cette grande leçon que le cardinal de Fleury donne à la France du fond de son tombeau, l'exemple encore plus

récent de la dernière guerre; de cette guerre qui, en engloutissant tous nos trésors, a causé tous nos malheurs; de cette guerre qui avait pour but politique d'affaiblir la puissance relative de l'Angleterre par le démembrement de l'Amérique, et qui ne l'a pourtant affaiblie ni dans ses flottes ni dans son commerce. Le vœu public de toute la France avait demandé cette guerre, que je m'abstiens de caractériser. On croyait à Paris qu'il suffirait à nos légions et à nos escadres de se présenter sur tout le globe devant les possessions anglaises pour s'en emparer : les événemens ont démenti l'opinion publique ; et si nous savons prendre conseil du passé pour apprécier l'avenir, ils doivent nous avoir appris que souvent les nations n'entendent pas mieux leurs intérêts que les rois.

>> Pour accuser les rois et les rendre odieux dans cette discussion, nos adversaires n'ont pas oublié d'outrager indécemment la mémoire de Louis XIV, dont les guerres ont ajouté six provinces à son royaume, et nous ont assuré les plus utiles et les plus solides alliances en apportant avec l'héritage de Charles-Quint tant de couronnes dans sa maison. Je n'excuse point sans doute l'ambition de ce grand roi, qui au lit de la mort demanda lui-même pardon à ses sujets de soixante ans de gloire; mais je dis que ses détracteurs sont coupables s'ils prétendent qu'il n'a jamais pris les armes sans commettre une injustice.

» M. Charles de Lameth s'est montré bien plus hardi encore, et Henri IV lui-même, le seul roi dont le peuple conserve et bénisse la mémoire, n'a pu trouver grâce devant lui. Henri IV, nous a-t-il dit, allait au moment de sa mort allumer la guerre dans toute l'Europe, uniquement déterminé par son amour pour Charlotte de Montmorenci, princesse de Condé, que son mari venait de lui ravir en la conduisant à Bruxelles. Permettez-moi, messieurs, permettez à un représentant de la nation de réclamer dans ce sanctuaire une grande pensée pour la gloire de Henri. Ombre auguste! ombre chérie! sors du tombeau, viens demander justice à ta nation assemblée le plus beau de tes projets est méconnu. Viens éprouver dans ce moment ce que peut encore sur des Français le souvenir d'un grand roi! Viens, montre-nous ce sein encore

percé du fer dont la calomnie arma les mains impies du fanatisme! Viens, l'admiration et les larmes de tes enfaus vont venger ta mémoire! M. de Lameth n'est ici que l'écho des anti-royalistes les plus forcenés du dernier siècle. Vittorio Siry, l'éternel détracteur de Sully et de Henri IV, est le premier auteur de cette calomnie, qu'aucun écrivain estimable n'accrédita jamais. Sully, dont il a osé citer le témoi– gnage contre son bon maître, a consacré le trentième livre entier de ses mémoires à le justifier de cette absurde accusation. Non, messieurs, Henri IV n'allait point mettre l'Europe en feu pour satisfaire une passion insensée; il allait exécuter un projet médité depuis vingt-un ans, un projet qu'il avait concerté avec la reine Elisabeth par une correspondance suivie et par une ambassade particulière. Ce roi, général et soldat, qui savait calculer les obstacles parce qu'il était accoutumé à les vaincre, voulait entreprendre une guerre de trois ans pour former de l'Europe une vaste confédération, et pour léguer au genre humain le superbe bienfait d'une paix perpétuelle. Tous les fonds de cette entreprise étaient prêts, tous les événemens étaient prévus. Pendant quinze ans il n'avait pu persuader son ami Sully, dont le caractère sage et précautionné ne pouvait se livrer à aucune illusion, et encore moins aux illusions de la gloire; mais Sully, convaincu enfin par Henri IV, reconnut que le plan de son héros était juste, facile et glorieux. C'est cette sublime conception du génie d'Henri IV; c'est cette guerre politique et vraiment populaire, dont le succès devait faire de notre Henri le plus grand homme de l'histoire moderne, disons mieux, le plus grand homme qui eût jamais paru dans le monde ; c'est ce magnifique résultat de vingt-une années de réflexions qu'on ne rougit pas de nous présenter ici comme le monument de la plus honteuse faiblesse! Au milieu des préparatifs de son départ pour l'Allemagne le bon Henri, le vainqueur de la ligue, de l'Espagne, de Mayenne; le héros d'Ivry, d'Arques, de Fontaine - Française, le seul conquérant légitime, le meilleur de tous les grands hommes, avait une si haute idée de son projet, qu'il ne comptait plus pour rien toute sa gloire passée, et qu'il ne fondait plus sa renommée que sur le succès

de cette conquête immortelle de la paix. Quatre jours avant sa mort il écrivait à Sully Si je vis encore lundi, ma gloire commencera lundi. O ingratitude d'une aveugle postérité! ô incertitude des jugemens humains! Si je vis encore lundi, ma gloire commencera lundi. Hélas! il ne vécut pas jusqu'au lundi; et ce fut le vendredi que le plus exécrable des parricides rendit nos pères orphelins, et fit verser à toute la France des larmes qu'une révolution de près de deux siècles n'a pas encore pu tarir. (Applaudissemens unanimes.)

» Je croyais, messieurs, devoir une réparation publique à la mémoire de Henri IV. (Murmures); mais c'est vous qui venez de la faire d'une manière bien plus digne de lui. Henri IV est vengé!

» A Dieu ne plaise qu'en justifiant ainsi nos monarques, et qu'en réclamant pour eux le droit de la guerre, je cherche à faciliter en quelque sorte un si horrible fléau! Je n'ignore pas que, dans ces grandes questions où l'on balance les prérogatives du trône avec les intérêts des peuples, on ne peut se déclarer en faveur de l'autorité royale sans être aussitôt dénoncé comme le partisan de l'ancien despotisme ministériel. Je sais qu'à force de nous prémunir contre les agens du monarque nous anéantissons graduellement toute son autorité, et que notre liberté conquérante, envahissant ainsi tous les pouvoirs, usurpe encore parmi nous le nom et la gloire du patriotisme. Non, messieurs, il n'est aucun Français qui regrette l'ancien pouvoir ministériel; mais il n'est aucun citoyen qui ne sente le besoin d'un roi, et qui ne nous redemande cette autorité tutélaire pour le protéger contre le despotisme de la force armée, contre le despotisme populaire, contre le despotisme municipal, enfin contre le despotisme de la licence et de l'anarchie.

>> Nous disons donc que le corps législatif ne doit pas se réserver le droit de décider de la guerre, parce qu'il est trop facile de corrompre une partie d'une assemblée pour dominer l'autre; parce qu'un corps qui ne répond de rien, et qui ne rougit de rien, ne saurait garantir la sûreté et la dignité de la nation avec autant de prévoyance qu'un roi,

qui connaît les rapports, dêmèle les vues et apprécie les moyens des autres états; parce qu'une assemblée, plus facile à surprendre et à tromper, ne peut pas au moment d'une explosion imprévue faire sortir, comme autrefois Cadmus, des hommes tout armés du sein de la terre.

» Nous disons que les traités d'alliance doivent être ratifiés par le corps législatif lorsqu'ils portent un engagement de subsides (1), de même que les traités de commerce, quand ils stipulent des diminutions ou des augmentations sur les droits de douane qui appartiennent à son ressort, comme tous les autres impôts; mais nous pensons que le pouvoir exécutif ne pourrait plus profiter des avantages que lui offriraient les circonstances ou les négociations s'il était réduit à ne conclure que des traités de paix conditionnels. Nous

(1) « L'intervention du parlement d'Angleterre est nécessaire dans les traités d'alliance quand le roi stipule des subsides à payer. Depuis que les Anglais ont adopté le système moderne des appropriations le roi de la Grande-Bretagne n'a plus entre ses mains la libre disposition des fonds publics. Lorsque le parlement passe des actes en conformité des subsides promis à une autre puissance il n'entretient aucune relation directe avec les princes étrangers, et il se borne à voter les subventions convenues. Le roi Jacques II prétendait que le droit sur le tonnage et le pondage était perpétuel, et qu'il pouvait le percevoir sans en avoir obtenu la prorogation. La question fut jugée contre lui, et il est maintenant de principe en Angleterre que le roi n'a pas plus le droit d'abolir un impôt que de l'établir. Les Américains ont soutenu au parlement,avant leur scission, que le roi pouvait permettre ou défendre l'entrée de certaines marchandises dans les ports de la Grande-Bretagne. Cette doctrine était admise sans aucune difficulté lorsque la chambre étoilée subsistait, parce qu'elle condamnait à des peines sévères les infracteurs des proclamations royales, lors même qu'elles n'étaient fondées sur aucune loi. Mais quoique le parlement n'ait pas abrogé formellement cette prérogative, le roi ne peut plus en jouir depuis la suppression de la chambre étoilée, et surtout depuis que la chambre haute reçoit les appels des cours d'amirauté. Le parlement prononce ainsi en dernier ressort, et ces sortes de procès n'étant plus portés au conseil privé, aucun tribunal n'ose punir les violations des simples proclamations du roi sur les prohibitions relatives au commerce, parce qu'un tel jugement serait promptement infirmé par la chambre des pairs. »

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(Note de l'orateur.)

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