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France que les représentans de la nation revendiquent et exercent le droit de la guerre et de la paix. Cette question peut être réduite à des termes fort simples. Serait-il avantageux pour la France d'être une démocratie? Une pareille forme de gouvernement ne saurait être admissible, ne saurait surtout être durable dans un état de vingt-sept mille lieues quarrées. On sait que le cardinal Mazarin fit les plus grands efforts, après la mort tragique de Charles 1°r, pour engager les Anglais à introduire dans leur ile un gouvernement purement républicain. Mazarin, le plus habile ministre des affaires étrangères qui soit jamais entré dans le conseil de nos rois, avait compris combien cette forme de gouvernement, adoptée en Angleterre, affaiblirait, par ses lenteurs et par ses divisions intestines, la puissance politique de cette nation; mais les Anglais, après avoir essayé pendant quatre-vingts ans de se passer d'un roi, selon l'expression de M. Hume sentirent que leur parlement avait besoin du contre-poids de l'autorité royale ; ils relevèrent le trône de leurs mains patriotiques, et depuis un siècle ils n'ont plus tenté d'ébranler ce fondement sacré de leur constitution. Serait-il possible, messieurs, d'oublier dans cette Assemblée cette grande leçon que l'Angleterre a donnée à l'Europe! Serait-il sage de vouloir introduire parmi nous un gouvernement républicain que n'a pu se donner un état qui s'élève à peine au tiers de la population et de l'étendue du royaume! Serait-il enfin patriotique d'exécuter en France, dans l'espoir de la rendre plus florissante, le complot le plus sinistre que le génie du cardinal Mazarin ait jamais tramé contre la prospérité de l'Angleterre !

» Dans un temps, messieurs, où notre constitution n'était pas écrite comme celle des Anglais, il fallait assurer, par toutes les précautions possibles, les droits de la nation; à présent ces précautions ne sont plus nécessaires, et elles pourraient devenir funestes si elles entretenaient le peuple dans un état habituel de guerre avec le gouvernement. Vous avez une Assemblée nationale permanente par cette seule permanence vous vous êtes prémunis pour toujours contre le despotisme ministériel. Il est certain, messieurs, que ce mot de despotisme ministériel, si souvent répété dans cette tribune,

disparaîtra bientôt de la langue française. Non, ne craignez plus des ministres despotes; vous aurez des ministres timides, des ministres lâches, qui n'oseront pas lutter contre votre puissance, et vous les verrez ramper humblement devant vous, de peur que vous ne vous éleviez contre eux. Jamais aucun ministre ne sera assez hardi pour faire déclarer une guerre

présence de l'Assemblée nationale, sans être bien assuré de votre aveu. D'ailleurs peut-on faire la guerre sans impôts, et pourra-t-on désormais établir des impôts sans votre consentement? Qu'importe le droit que vous déléguez, lorsque vous vous réservez tous les moyens sans lesquels il est impossible d'en abuser et même de l'exercer? Quel est donc cet étrange patriotisme qui veut dégrader le trône sans aucune utilité réelle pour la nation? Quand nous disons que le refus de l'impôt doit vous rassurer contre l'abus du pouvoir, on nous répond que ce refus serait une véritable insurrection, et qu'un peuple ne doit jamais recourir à un remède si violent. Oui, sans doute, quand l'impôt est établi, le refus de le payer est un véritable acte de rébellion; mais quand l'impôt n'existe pas encore le refus de le voter n'est point une insurrection; c'est le plus sûr bouclier de la liberté publique.

» Comment pourriez-vous, messieurs, répondre de la sûreté de la nation si, après avoir ainsi réservé au corps législatif le consentement de l'impôt, sans lequel toute hostilité devient impossible, vous lui déléguiez encore le droit de la guerre et de la paix? Qu'on trompe un peuple généreux avec la plus savante perfidie; qu'on cherche à l'épouvanter par les suggestions les plus criminelles, comme si le droit qu'aurait le roi de déclarer la guerre aux ennemis de la France était le droit de faire la guerre à ses propres sujets et à notre constitution.... Je conçois aisément ces honteux artifices d'un démagogue, que son hypocrisie rend persuasif auprès d'un peuple que sa bonté elle-même rend crédule; mais ce ne sera pas sans doute dans cette Assemblé que le fanatisme de la popularité trouvera des dupes ou des complices. Je dis donc nettement que le corps législatif, affranchi de toute responsabilité, livré à l'ascendant de l'éloquence, aux séductions de l'or, aux menaces. d'un peuple égaré, et surtout aux premiers mouvemens d'un

patriotisme irréfléchi, ne saurait inspirer à la nation autant de confiance qu'un roi citoyen, un roi qui tient dans sa main le fil de toutes les relations politiques de l'Etat, un roi qui embrasse d'un coup d'œil l'ensemble des dispositions, des projets, des moyens de toutes les cours, un roi enfin dont les intérêts seront toujours inséparables de la prospérité publique.

» Allons plus loin. Vous avez décrété des assemblées permanentes, qui seront désormais réunies pendant quatre mois pour exercer leurs fonctions. Or je demande s'il peut y avoir un seul jour de l'année où la première sentinelle de l'Etat n'ait pas les yeux ouverts sur tous les mouvemens de l'Europe? Avez-vous oublié que six semaines ont suffi pour former la ligue d'Ausbourg, et qu'il ne fallut que trois semaines pour cimenter la ligue de Cambrai, destinée à engloutir la république de Venise? Vous ne pouvez donc pas vous dissimuler que l'éloignement et la lenteur inévitable de vos délibérations vous feront perdre cette promptitude de résolution sans laquelle le premier des avantages politiques, l'art de profiter du moment, ne saurait exister. Vous avez encore un autre danger à redouter : vous êtes entourés de nations dont les cabinets vous déguiseront tous leurs desseins, et connaitront avec certitude tous les vôtres; de sorte que (pour me servir ici d'une image familière) vous jouerez pour ainsi dire à jeu découvert avec un adversaire qui cachera soigneusement le sien. Vous vous préparerez à la guerre avec l'intention de l'éviter, et vous ne l'éviterez point par vos préparatifs, parce que tous vos projets seront divulgués; vous n'aurez point de secret, et tout sera secret autour de vous; les décisions les plus mystérieuses du gouvernement deviendront des décrets que la plus prompte publicité répandra dans toute l'Europe, et vous appellerez ainsi tous vos ennemis à votre couseil national.

» Voilà, messieurs, le résultat de vos relations politiques pour déclarer la guerre ou pour l'éviter. Que pourrez-vous espérer de cet ordre de choses pour conclure des traités d'alliance ou de paix? Quand même vous voudriez divulguer vos secrets, auriez-vous le droit de publier également le secret des autres puissances? Levez les yeux dans ce moment, etvoyez

au milieu de cette enceinte un ministre anglais qui va négocier en Espagne les intérêts de sa nation. Plus ses talens et ses qualités morales méritent d'estime, plus son caractère public doit inspirer de défiance. C'est en présence d'un tel témoin que nous discutons dans cet instant les droits du trône ! Ce sera bientôt devant les émissaires de toute l'Europe que les Français délibéreront dans cette Assemblée, pour leur apprendre qui ils ont à craindre, ou qui ils doivent corrompre. Quel peuple voudra être votre allié, et exposer ainsi ses secrets les plus importans à la publicité inséparable de nos délibérations? Quelle que soit votre puissance, vous ne pouvez pas exister seuls dans le système politique de l'Europe, et vous seriez bientôt envahis par vos voisins si vous osiez vous isoler au milieu d'une confédération générale. Depuis les grandes bases posées par le cardinal de Richelieu toute l'Europe est en équilibre. Ce ministre immortel, qui parmi nous sut rétablir le calme en dirigeant les orages, révéla aux Français les quatre intérêts dominans de leur politique extérieure, le maintien de la constitution germanique, l'équilibre du Nord, la neutralité de l'Italie et l'alliance du Turc: or nous avons besoin d'une vigilance, et pour ainsi dire d'une action continue de notre roi, pour recueillir cette belle succession que le génie de Richelieu a léguée à la France monarchie, et dont la France république serait déshéritée pour toujours.

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› Cependant on a prétendu, messieurs, qu'il suffirait d'établir un comité politique pour remplacer dans cette Assemblée le conseil du roi; on vous a dit qu'autrefois les finances étaient enveloppées d'un mystère impénétrable; qu'on appelait alors cette science ténébreuse le secret de l'Etat; que le crédit public s'était rétabli dès que cet ancien voile avait été déchiré, et que la révélation de notre politique ne serait pas moins utile au royaume que la manifestation de nos finances. Mais quelle différence entre l'administration du trésor public et nos relations extérieures! Malheureusement pour la nation, la prospérité de ses finances consiste aujourd'hui dans le crédit, qui est devenu pour nous un mal nécessaire; et l'on sait bien que le crédit, toujours fondé

sur une confiance éclairée, exige la publicité de notre situation pécuniaire. Mais les opérations politiques ne sont pas de la même nature: ici vient s'exercer la véritable puissance de l'opinion; ici l'empire de l'imagination commence ; ici les personnes ont plus de poids que les choses; ici il faut de longues combinaisons, des détours multipliés, la patience des affaires et la prévoyance des événemens; ici il faut prendre en considération, outre la force naturelle des Etats, le caractère moral des rois, leurs talens, leurs vertus, leurs vices, ceux de leurs ministres, ceux de leurs généraux, ceux des alliés et des ennemis de l'État. Faudra-t-il transformer cette tribune nationale en un tribunal journalier de médisance et de calomnie? Faudra-t-il y citer tous les hommes publics de l'Europe, et les y diffamer sans pudeur? Auriez-vous osé lire dans une assemblée publique les dépêches de Jeanin, de d'Ossat, de tous nos ambassadeurs enfin, dont les correspondances, si elles eussent été publiques, auraient allumé plus de guerres que leurs négociations n'ont pu jamais en étouffer? Ah! si votre corps diplomatique était destiné à vous fournir de pareils matériaux de satires et de détractions, je vous inviterais à le supprimer dès ce moment, parce que vos ministres diffamateurs ne seraient plus reçus dans aucune cour de l'Europe..

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Mais, dit-on, les rois abuseront de ce terrible droit de la guerre, s'il leur est délégué par la nation. Les rois en abuseront; je le crains, sans doute, puisqu'ils en ont abusé. Mais quelle république, quel sénat n'en abusa dans tous les temps? Voyez s'il suffit de jouir de la liberté pour respecter la liberté des peuples voisins; voyez si les Etats les plus libres n'ont pas été les plus ambitieux et les plus guerriers; voyez si les Romains ne furent pas les plus injustes, les plus opiniâtres et les plus atroces de tous les conquérans; voyez si les emportemens populaires n'ont pas entraîné les guerres les plus absurdes et les plus odieuses; et hâtez-vous de changer par l'autorité de vos décrets la nature humaine, si vous voulez prévenir tous les abus et atteindre à la perfection idéale d'un gouvernement dont l'histoire du monde ne nous fournit encore aucun modèle.

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