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bailliages? Avons-nous enfin de pleins pouvoirs pour changer la forme du gouvernement français? Je demande aux personnes à qui ce raisonnement paraît barbare, aux personnes qui pensent que c'est parler le langage d'un esclave que de réclamer les intentions précises et les mandats les plus formels de cette même nation qui est derrière nous, et qui nous jugera, je leur demande quel a été l'objet de notre mission. Ne nous laissons pas aveugler par des prétentions contraires aux véritables principes; ayons le noble courage d'être les esclaves de nos sermens. La nation nous a chargés de faire reconnaître les anciens droits constitutionnels du peuple français mais elle ne nous a point autorisés à bouleverser à notre gré son gouvernement, et à lui rédiger une constitution absolument nouvelle, et par conséquent arbitraire. ( Murmures.) Elle a confié à notre patriotisme le soin de réformer, de concert avec notre excellent roi, les abus du gouvernement, mais non pas de créer un gouvernement qui n'ait aucune analogie avec l'ancien. J'oserai le dire avec la certitude d'être improuvé, mais sans aucune crainte d'être démenti; nul de nous, messieurs, n'eût été honoré de la confiance de la nation si nous eussions professé dans nos bailliages les étranges principes qu'on nous étale ici tous les jours, et nous n'aurions jamais obtenu ses pouvoirs si elle eût pu deviner de si coupables intentions. » Ajoutons maintenant à l'autorité de nos mandats l'autorité de nos propres décrets. Vous avez reconnu que la France est une monarchie, et que la plénitude du pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans les mains du roi : consacrez donc aujourd'hui les conséquences de ce principe. Où serait cette suprématie du pouvoir exécutif si le roi n'avait pas le droit de protéger, de défendre son peuple, et d'attaquer tous ceux qui veulent porter atteinte aux propriétés de ses sujets? Non, le pouvoir exécutif ne serait pas conservé si le roi n'avait plus cette puissance du glaive, cette unité de résolution qui forme le caractère essentiel de la monarchie. Que l'on nous cite dans l'histoire du monde un seul état vraiment monarchique, où le monarque n'exerce pas sans contradiction et sans partage le droit de la guerre et de la paix. Nous défions hautement nos adversaires de nous en indiquer

un seul exemple. La France ne serait donc plus une monarchie; nous en ferions un gouvernement monstrueux qui n'aurait plus de nom, si nous osions dépouiller le roi d'un droit inhérent à sa couronne depuis quatorze siècles, d'un droit qu'il ne sauroit perdre sans voir aussitôt évanouir dans ses mains la prérogative la plus essentielle du pouvoir exécutif. L'histoire de toutes les monarchies de l'univers est trop évidemment favorable à la cause que je défends. Interrogez donc, messieurs, les annales de ce peuple-roi, qui, placé entre le despotisme de ses monarques, et le despotisme de ses empereurs, apprit au genre humain pendant huit siècles à s'élever noblement à la liberté. Le peuple romain, durant les beaux jours de la république, le peuple romain, jaloux jusqu'au fanatisme du pouvoir législatif, auquel il ne renonça jamais, confia sans réserve le pouvoir exécutif au sénat; et le sénat de Rome, dépositaire de cette grande autorité, décida seul, et sans jamais consulter le peuple, pendant huit cents ans, du droit de la guerre et de la paix. Or, messieurs, nous connaissons-nous mieux en liberté que les Romains? Refuseronsnous à un monarque un pouvoir dont les plus fiers républicains ont investi leur sénat? Serons-nous plus économes que les Romains du pouvoir exécutif? Espérons-nous d'adopter, dans la distribution des pouvoirs politiques, des maximes de gouvernement qui élèvent la France à un plus haut degré de prospérité et de gloire que cette reine des cités appelée éloquemment par Montesquieu la tête d'un corps formé par tous les peuples du monde (1)?

» 11 est donc de l'essence du pouvoir exécutif de décider de la guerre et de la paix; car le pouvoir exécutif s'applique d'abord aux lois pour assurer la tranquillité intérieure, et il doit s'appliquer ensuite aux traités pour protéger nos droits au dehors. Si le roi est l'exécuteur suprême de la loi, ne s'ensuit-il pas qu'il doit disposer de la force publique, pour faire tout ce qui est nécessaire au bonheur de ses peuples? Pourrait-il acquitter cette grande dette du trône si la force armée n'était pas entièrement à ses ordres? La responsabilité

(1) Grandeur des Romains, chapitre 6.

de ses agens, et la disposition des fonds que le corps législatif se réserve toujours le droit d'accorder ou de refuser, garantissent assez la nation contre l'abus de ce pouvoir qu'elle a délégué au monarque. D'ailleurs les nombreuses armées que les états de l'Europe entretiennent pendant la paix sont évidemment un fléau pour l'Europe; mais elles sont du moins utiles au genre humain en abrégeant la durée des guerres. Aucun état ne peut faire la guerre aujourd'hui avec ses revenus ordinaires; il faut, pour la commencer, recourir aux ressources les plus onéreuses; et cet art meurtrier est devenu trop dispendieux pour qu'un peuple qui s'est réservé le consentement libre de l'impôt doive craindre l'abus d'un droit dont il est impossible d'user malgré lui.

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Mais, nous dit-on, ce droit de voter la guerre n'est pas un acte exécutif; c'est un acte de la volonté nationale, et il est par conséquent du ressort de la puissance législative, qui doit seule déclarer la volonté nationale. Je pourrais répondre que vous avez associé, au moins pendant un temps marqué, le vœu du représentant héréditaire de la nation au vœu de ses représentans passagers pour caractériser la volonté générale; je pourrais dire que si le consentement libre du roi doit nécessairement sanctionner vos décrets pour les élever au rang des lois lorsqu'ils sont prononcés, il serait inconséquent et absurde de prétendre que le corps législatif n'a plus besoin de la participation du monarque lorsqu'il exprime le vœu de la nation pour déclarer la guerre ; mais je vais répondre d'une manière plus directe à cette subtilité. Le pouvoir exécutif n'agit jamais qu'au nom de la nation, et s'il n'a pas le droit de déclarer la volonté générale, il n'a plus le droit de commander. Une déclaration de guerre n'est, dans un sens, qu'un acte exécutif. Le défenseur né du royaume ne fait qu'exécuter la volonté générale quand il emploie la force publique, dont il est dépositaire, à défendre les intérêts de son peuple. La nation veut être protégée : voilà sa volonté, qui n'a pas même besoin d'être prononcée pour être incontestable. Le chef suprême de la nation juge de la manière dont il convient de la protéger, et la confiance universelle lui attribue cette décision suprême, qui n'est la conser→

que

vation des droits ou l'exécution des traités dont il est le gardien. Le droit de déclarer la guerre ne doit pas être séparé du droit qui appartient incontestablement au roi de la diriger, en nommant les généraux, en disposant de l'armée; et il est de l'intérêt du peuple que le monarque puisse veiller à sa sûreté par ces précautions promptes et imposantes qui préviennent si souvent les agressions.

» Et qu'on ne dise pas que cette réponse autorise le roi aux guerres défensives, mais qu'il est impossible d'en induire le droit d'une guerre offensive. Qui ne sait combien cette distinction est illusoire dans l'histoire des nations? On ne peut oublier les incertitudes qui ont toujours partagé l'Europe quand il a fallu décider entre deux peuples ennemis quel était le véritable agresseur. Le premier infracteur des traités, qui transgresse une volonté manifeste d'une nation voisine, n'a pas besoin de prendre les armes pour être coupable de l'agression; on est agresseur quand on forme des partis, quand on entre dans une ligue, quand on nuit au commerce, quand on refuse d'exécuter un traité, enfin quand on attaque directement ou indirectement l'intérêt de ses voisins. Au milieu de tant de moyens de se nuire et de cacher ses attaques, qui pourra se flatter de trouver la vérité dans un manifeste? Le demandeur ou le défendeur peuvent également avoir tort; et la seule question qui doive être examinée consiste à savoir si les droits du peuple sont violés. La distinction qu'on nous propose ne saurait donc être adoptée. Si vous donniez au roi le droit de faire la guerre défensive, toutes les guerres s'appelleraient bientôt des guerres défensives, et dans le cabinét d'un ministre l'art le plus commun suffirait pour les colorer de ce prétexte insidieux. Nous devons donc conclure, de cette distinction même, que c'est précisément parce que vous ne pouvez pas ôter au roi le droit de faire une guerre défensive que la nation doit lui déléguer le droit indéfini de faire la guerre, puisque la guerre la plus offensive serait toujours présentée à l'Europe comme une guerre défensive, et que les artifices ordinaires des manifestes répandraient de tels nuages sur ces grands procès des nations qu'il ne serait plus possible de connaître avec certitude le véritable agresseur.

» Ce furent sans doute ces sages considérations qui déterminèrent nos pères à ne jamais contester au chef suprême de la nation le droit absolu de la guerre et de la paix. Je demande en effet, messieurs, quel a été sous ce rapport le droit public du royaume. Je le demande, parce qu'on a voulu, par des citations inexactes ou incomplètes, vous persuader que les anciennes maximes du gouvernement français étaient contraires à l'opinion que je défends. Ne nous flattons pas aujourd'hui d'être plus jaloux des prérogatives nationales que ne l'étaient nos ancêtres dès l'origine de la monarchie. Ces Gaulois, le seul peuple de l'Occident qui ait perdu son nom pour adopter celui de ses conquérans; ces Gaulois, qu'on appelle ici des barbares, prirent noblement à l'époque de la conquête le nom de Francs, pour mieux montrer leur amour pour la liberté. Nous voyons dès la première race que le roi seul avait le droit de faire crier en France le lentvert, c'est à dire la proclamation militaire par laquelle il avertissait la nation qu'il venait de déclarer la guerre. Aussitôt ses légats, les ducs et les comtes, publiaient le lent-vert; ils envoyaient le message de la marche à tous ceux qui, devant l'ost aux troupes, étaient obligés de venir se ranger sous les bannières royales, déployées aux portes des églises par les ordres des comtes. Depuis le traité d'Andlau, traité célèbre et cher à jamais à la France, puisqu'il fut le premier traité national, le premier où furent consignés les droits du peuple français; depuis le traité d'Andlau jusqu'aux Carlovingiens nous ne trouvons pas que la nation ait délibéré une seule fois sur le droit de la guerre et de la paix ; nous voyons au contraire nos rois en décider seuls, et traiter seuls avec les princes ennemis de la France. Les monumens de Charlemagne nous présentent les points de certitude les plus frappans sur cet article constitutionnel. Tout le monde sait que les enfans de Charlemagne étant tombés dans l'abjection, et la nation française avec eux dans un abîme de malheurs, parce que les lois anciennes avaient été méprisées, et que les droits de lanation et du roi étaient entièrement méconnus (1),

(1) Anseg., lib. 4, t. I.

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