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vait pas ouvrir parmi nous une discussion sérieuse. La France ne saurait abandonner sa plus fidèle et sa plus solide alliée, l'Espagne, qui depuis vingt ans a deux fois déclaré la guerre aux Anglais pour défendre notre cause; l'Espagne, dont les forces navales combinées avec les nôtres forment à peine un contre-poids suffisant pour entretenir l'équilibre avec la marine anglaise; l'Espagne, dont l'union avec la France intéresse essentiellement le salut de toute l'Europe. Notre loyauté nous oblige, autant que notre intérêt, de ne point nous séparer de cette puissance, qui serait évidemment compromise si elle était isolée, et dont la ruine rendrait l'Angleterre naîtresse de toutes les mers. (1) Nous n'avons donc, messieurs, que de justes remerciemens à voter au roi pour les sages précautions qu'il a prises, en faisant armer une escadre. Outre les considérations d'alliance qui prescrivaient ce premier développement de nos forces navales, les seules relations de voisinage auraient suffi pour nous én imposer la loi. Il est de principe en effet, dans notre politique moderne, que 'toutes les fois qu'un état, et surtout que plusieurs états limitrophes font des préparatifs de guerre, la prudence exige d'assurer aussitôt sa propre défense. Dès que nos voisins ordonnent des armemens maritimes, nous devons donc tourner nos regards vers nos ports, et mettre nos arsenaux en activité. C'est par ces dépenses de précaution qu'on évite souvent la guerre, que l'on fait respecter les négociations de la paix; et si, en 1787, nous avions appuyé nos ambassa

(1) « L'Espagne peut mettre à la mer soixante vaisseaux de ligne; nous en avons le même nombre dans nos ports : l'Angleterre peut armer cent vingt vaisseaux de ligne : de sorte que la France et l'Espagne ont besoin d'être réunies pour faire face aux escadres anglaises. Aucune autre puissance en Europe ne saurait nous dédommager de cette alliance, qui nous est d'autant plus nécessaire que notre réunion momentanée avec la Hollande n'existe plus. Renoncer au pacte de famille, qui est un véritable pacte national, ce serait donc sacrifier notre marine, et par conséquent notre commerce et nos colonies. Il n'est pas nécessaire de réfuter les systèmes, ou plutôt les rêves de nos écoliers politiques; il suffit de les dénoncer à la raison et au patriotisme des bons citoyens. »

(Note de l'orateur.)

deurs à la Haye en rassemblant un camp sur la frontière de la Flandre, nous n'aurions peut-être pas perdu cette belle alliance avec la Hollande, qui nous fut enlevée par les armemens de Porstmouth et par l'approche d'une armée prussienne. Cet exemple du danger de l'inaction au milieu des puissances armées est trop récent et trop déplorable pour que les représentans de la nation française aient pu sitôt l'oublier. » La juste approbation que vous avez donnée, messieurs, aux sages mesures de sa majesté, a amené la question aussi importante qu'imprévue du droit de la guerre et de la paix, des traités d'alliance et de. commerce. Vous avez décrété que, dans un intervalle de vingt-quatre heures, vous ouvririez une discussion si majeure et si difficile : devions-nous nous attendre à entrer si inopinément et à nous voir pour ainsi dire précipités sans examen dans une délibération qui renferme un grand nombre de questions accessoires, et dont la solution méritait d'être préparée par les méditations les plus approfondies? Nous ne sommes ni commandés ni même pressés par les circonstances; et cependant il faut que chacun de nous défende ici brusquement son opinion, sans pouvoir faire hommage à l'Assemblée des moyens et des motifs que nous aurions pu recueillir dans nos études! On croirait, à l'empressement que vous avez montré, que de la promptitude de votre détermination dépend le salut de l'empire. Il ne s'agit pourtant pas ici, messieurs, d'une résolution relative à la paix ou à la guerre : le décret que vous rendrez sera purement constitutionnel, et n'aura que des rapports éloignés avec les différens cabinets de l'Europe : vous avez un comité de constitution, auquel vous déférez préalablement toutes les grandes questions de cette nature; il ne s'en présenta jamais de plus compliquée, et vous n'avez pas même daigné le consulter. Vous n'avez entendu aucun rapport; on ne vous a offert aucun résultat, et vous ouvrez la lice devant vos orateurs sans avoir mesuré l'espace que vous les forcez de parcourir. Au défaut des lumières que vous deviez attendre de votre comité, nous pouvions espérer qu'on particulariserait les articles du décret, et qu'on en rendrait la discussion plus facile en les ramenant à cette simplicité, à cette unité de décision qui concentrent toutes

les idées dans un seul objet; mais on entasse difficultés sur difficultés. On nous demande si c'est au roi ou au corps législatif que la nation doit déléguer le droit de faire la guerre, de conclure les traités d'alliance, de commerce et de paix. Chacun de ces points de droit public doit être soumis à des principes différens; de sorte que la motion qui nous est présentée renferme évidemment quatre décisions étrangères les unes aux autres, et réunit ainsi quatre questions diverses dans une seule délibération. Je doute que vous regardiez comme une marche conforme aux règles d'unc saine logique cette multiplicité de discussions épisodiques et simultanées, et qu'une dissertation si vague puisse promettre à nos esprits toutes les lumières dont nous avons besoin.

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» Le seul droit de la guerre mériterait, ce me semble, la délibération la plus solennelle. Cette matière n'a encore été traitée chez aucun peuple libre. Deux écrivains politiques du dernier siècle, Grotius, dans son Traité de la guerre et de la paix, et Puffendorf, dans son Traité du droit de la nature et des gens, ont voulu aborder cette grande question. J'ai lu ces ouvrages avec toute l'attention que sollicitaient l'importance du sujet et la réputation de leurs auteurs. Il m'a paru que ces deux savans compilateurs avaient écrit en jurisconsultes, plutôt qu'en publicistes, et que le progrès des lumières en Europe laissait leurs travaux à une trop grande distance de notre siècle pour que nous devions y chercher cette supériorité de raison au niveau de laquelle se sont élevés tous les bons esprits. Ils n'ont soupçonné ni les droits du genre humain, ni les droits non moins sacrés de chaque peuple, et quand ils parlent des souverains ils supposent toujours leurs prérogatives, et ne les établissent jamais. De nos jours deux autres écrivains estimables, Mably et Guibert, ont traité le même sujet; mais, amoureux des maximes républicaines, l'un par caractère, l'autre par les circonstances qui ont empoisonné la fin de sa vie, ils se sont déclarés contre l'autorité royale avec une partialité qui décrédite leur opinion. Quand ils interrogent l'histoire ils oublient les nombreux exemples qui accusent les républiques, et lorsqu'ils se prévalent des principes de la raison ou de l'intérêt public, ils se dissimulent à

eux-mêmes et à leurs lecteurs qu'une assemblée de représentans du peuple n'est pas moins exposée aux erreurs et aux orages des passions que le conseil d'un roi.

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» La question qui nous occupe dans ce moment est donc encore toute neuve dans l'étude de notre droit public. Je ne me dissimule point la difficulté et le danger de me mesurer pour ainsi dire sans préparation, avec un pareil sujet. Je sais que, dans une Assemblée où l'on discute publiquement les intérêts du peuple, je pourrai paraître défendre le despotisme en plaidant la cause des rois; mais la crainte de la calomnie et de ses suites n'énervera. jamais dans mon âme le courage de la vérité. Les mêmes hommes que nous avons vus ramper lâchement aux pieds de tous les dépositaires de l'autorité absolue flattent aujourd'hui l'orgueil populaire, parce qu'ils encensent le pouvoir partout où ils le trouvent. Tous ces vils adulateurs de la multitude ne sont que des courtisans qui ont changé d'idole, et qui ne méritent pas d'être entendus dans le temple de la liberté et de la vérité. C'est donc pour l'intérêt du peuple lui-même que je viens défendre les droits du trône; et voici quelle sera la marche de mes idées. J'examinerai d'abord si l'Assemblée nationale a le droit de contester à la couronne la prérogative de déclarer la guerre et de conclure des traités, prérogative aussi ancienne que la monarchie; je discuterai ensuite les véritables intérêts de la nation, et je prouverai qu'il serait dangereux pour elle d'investir de ce droit le corps législatif; en suivant la route que l'ordre du raisonnement tracera devant moi, je résoudrai ainsi successivement les objections qui ont été proposées contre le sentiment que je vais adopter dans cette importante délibération.

» D'abord, messieurs, avons-nous le droit de contester à la couronne l'antique prérogative de faire la guerre et la paix? Que sommes-nous? le corps des représentans de la nation française, dans une Assemblée librement convoquée par le roi, et non pas dans une convention nationale que le peuple aurait décrétée sans consulter la volonté du monarque : voilà le principe que je ne cesserai jamais de réclamer. Je sais bien que plusieurs de nos orateurs cherchent à nous familiariser avec leurs paradoxes, en continuant d'appeler cette Assem

blée une convention nationale; mais j'attends leurs preuves pour discuter ce titre qu'ils n'ont pas le droit de nous donner. Ce n'est point sur des métaphores que nous pouvons fonder les prérogatives de notre mission; et si l'on veut sérieusement se prévaloir de l'autorité illimitée d'une convention nationale, ou même d'un corps vraiment constituant, ce n'est ni par des suppositions, ni par des déclamations, ni par des injures trop faciles à rendre ou à mépriser, que des délégués et des mandataires doivent établir leurs pouvoirs. Je déclare que je suis prêt à combattre toutes ces prétentions chimériques. Je sommerai celui qui voudra les défendre de nous produire d'abord le titre fondamental de sa députation; et la discussion ne sera ni longue ui sérieuse : je n'aurai à répondre sans doute ni aux combinaisons d'un système philosophique, ni aux conséquences du droit du plus fort, et pourvu que la raison et le droit public du royaume soient ici nos oracles, je n'aurai besoin que des lettres du roi portant convocation des étatsgénéraux, et des mandats de nos commettans en vertu desquels nous siégeons ici, pour démontrer que nous ne formons ni une convention nationale, ni même un corps constituant, et que toutes nos conquêtes d'autorité sont des usurpations que le peuple français n'a jamais autorisées. (Violens murmures.)

» Nous n'avons nulle puissance par nous-mêmes. Nous ne pouvons donc exercer ici que les droits limités dont nos commettans nous ont investis dans une procuration spéciale et précise: c'est de ce pouvoir radical qui vous est confié que je vous prie de vous occuper un moment, puisque tout ce qui l'excède est frappé d'avance de nullité.... De vains murmures que je suis accoutumé à braver, parce qu'ils ne portent aucune lumière dans mon esprit, et surtout parce qu'ils me révèlent des projets factieux qui enflamment mon patriotisme; des murmures qui honorent má fidélité à mon mandat n'étoufferont jamais la vérité dans ma bouche. La nation a-telle jamais mis en question si le roi auroit le droit de déclarer la guerre? La nation, qui a toujours eu, quoi qu'on en dise, une constitution, puisqu'elle a pu avoir de légitimes représentans, a-t-elle jamais douté de cette haute prérogative du trône? Cette discussion a-t-elle jamais été agitée dans nos

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