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ment peut-on se jouer aussi légèrement de la vie et de la fortune des peuples?

» Tant que les alliances ne seront pas générales, que tous les peuples qui se communiquent et ont des relations entre eux ne formeront pas ensemble une confédération pour le bonheur commun, ces alliances partielles n'auront rien de solide; fondées sur la prévoyance de l'avenir, sur des probabilités, elles ne seront jamais qu'un jeu aveugle et trompeur, dont les chances incertaines seront tantôt bonnes, tantôt mauvaises. Le hasard cependant a encore ses combinaisons et ses calculs; et tant que ces engagemens subsisteront, il importe beaucoup que le pouvoir exécutif n'ait pas le droit de risquer ainsi le sort d'un empire par des conventions qui peuvent avoir les plus terribles conséquences.

» Les traités de commerce ont des suites qui ne sont pas moins dignes d'attention. De ces traités dépendent souvent la richesse ou la misère d'un état : le commerce extérieur agit sur le commerce intérieur, et celui-ci réagit à son tour sur celui-là. Une prohibition imprudente dessèche une branche d'industrie qui donnait les plus heureuses espérances, tandis qu'une combinaison sage en développe une autre dont les germes étaient à peine aperçus: un article gêne ou favorise les progrès de l'agriculture, multiplie ou diminue la main-d'œuvre; un article frappe de stérilité tel genre de production; un autre au contraire attire telle ou telle denrée: une disposition qui aggrave ou allège les droits, qui restreint ou étend la liberté, a sur le commerce une influence souvent incalculable.

» Or s'il n'appartient pas au pouvoir exécutif de faire les lois les plus simples, comment pourrait-on lui donner le droit d'en conclure d'aussi importantes?

» Je l'avouerai, j'avais d'abord pensé que le pouvoir exécutif devait être réduit à une exécution purement passive, et je limitais ainsi ses fonctions.

» Le corps législatif, me disais-je, a jugé une guerre indispensable; il rend seul la déclaration, la remet au pouvoir exécutif, et lui dit de déployer la force armée; c'est à ce pouvoir à prendre les mesures que les circonstances exigent,

» Cette faculté accordée au pouvoir exécutif est puisée dans la nature même des choses, et elle ne peut manquer de produire des effets très-salutaires. D'abord le pouvoir exécutif est intéressé à ne faire, que des propositions justes, prudentes et bien mesurées, puisqu'il s'expose à les voir refuser.

»

Ensuite, lorsqu'elles sont acceptées, il est vivement intéressé à les faire valoir. Ainsi, si le pouvoir exécutif a proposé de soutenir une guerre, on peut croire qu'il la suivra avec activité; on peut croire qu'il mettra également tout en œuvre pour le succès d'un traité dont il aura présenté les conditions.

» D'un autre côté, cette faculté n'a rien de dangereux pour la liberté de la nation, puisque le corps législatif est maître absolu d'accueillir ou d'écarter les propositions, et que sa volonté fait la loi.

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Il me semble que dans l'état actuel des choses ce parti est le meilleur et le plus sage. Il n'est pas sans inconvéniens sans doute, mais je n'en connais pas qui en présente moins.

» On pourra alléguer, et on l'a déjà fait, que la célérité des opérations serait toujours un peu retardée par la double action des pouvoirs.

» D'abord il ne faut pas se faire illusion sur cette idée vague et générale; une marche lente et réfléchie est presque toujours la seule convenable; les mesures promptes et brusques sont rarement nécessaires. Est-ce la nation qui déclare la guerre, avant de l'entreprendre elle se plaint, elle demande la réparation des injustices qu'on lui a faites, des torts qu'elle éprouve; on négocie, on fait des propositions respectives; de là des délais inévitables: déclare-t-on la guerre à la nation, elle est prévenue par les mêmes démarches; on engage avec elle les mêmes négociations; de là des retards qui laissent le temps de délibérer et de prendre un parti. Les exceptions à cette marche générale sont peu fréquentes. Il est un caș, c'est celui d'une irruption soudaine et imprévue on peut autoriser alors le pouvoir exécutif, en l'absence du pouvoir législatif, à faire marcher les troupes, à repousser l'attaque,

el à garantir le royaume. Est-il question d'un traité, rien ne demande plus d'examen et de maturité dans les délibérations; la précipitation serait aussi déplacée que dangereuse.

>> En adimettant même la nécessité d'une très-grande célérité dans les opérations, aussitôt que les deux pouvoirs ne se choquent pas, ils ne rallentissent point le mouveinent. Le pouvoir exécutif lui-même ne délibère-t-il pas avant d'agir? ne recourt-il pas à son conseil? et ce conseil examine, discute et décide. Ici c'est le corps législatif qui se charge de ce soin; la double action existe dans l'un comme dans l'autre cas,

» Il me reste à vous parler d'un dernier moyen qui, réuni à ceux que je vous ai déjà indiqués, pourra amener insensiblement la plus heureuse révolution, et la plus consolante pour l'humanité. Vous pouvez, vous devez donner un grand exemple à toutes les nations; un exemple, j'ose le dire, inconnu dans les fastes de l'histoire. Déclaréz d'une manière solennelle que vous entendez bannir désormais de vos négociations cette politique de ruse et de fourberie; que le langage de la loyauté et de la bonne foi est le seul qui vous convienne, le seul dont vous ferez usage; que vous êtes convaincus qu'il n'est pas plus permis aux nations qu'aux particuliers de se surprendre et de se tromper; que depuis trop longtemps les peuples divers sont habitués à ne s'envisager qu'avec défiance, comme des ennemis toujours prêts à s'égorger; qu'il faut enfin qu'ils se regardent comme frères; qu'ils travaillent à se rapprocher, à s'unir pour leur bonheur commun, et à établir entre eux une paix durable! Déclarez que vous renoncez à tous projets ambitieux, à toutes conquêtes; que vous regardez les limites de votre empire comme posées par l'Éternel luimême; que vous ne les franchirez jamais, mais que vous les protégerez contre toutes attaques jusqu'à votre dernier soupir; que vous regardez toute irruption subite et imprévue un territoire étranger et contre ses paisibles habitans comme une lâche et honteuse perfidie, dont vous ne vous souillerez jamais! Conjurez vos voisins d'imiter cet exemple, de prendre les mêmes engagemens que vous! Conjurez-les au nom de leur intérêt, au nom du bien universel, `au nom

sur

de tout ce qu'ils ont de plus cher, de ne plus verser le sang humain dans des guerres perpétuelles et insensées! Déposez dans un manifeste ces principes augustes et sacrés, ces sentimens diciés par l'humanité et la justice, et vous n'aurez rien fait qui mérite autant d'exciter l'étonnement et l'admiration de l'univers et de la postérité!

>>

Quelle impression profonde et salutaire, quels heureux effets ne produirait pas cette noble et généreuse déclaration! Elle deviendrait, je me plais à le croire, le premier signe d'alliance et de concorde entre les nations; elle éteindrait peu à peu le flambeau de la guerre : car enfin, tôt ou tard, les vérités utiles et bienfaisantes doivent régner sur la terre; les préjugés l'ont assez longtemps désolée, et leur règne ne peut pas être éternel; ils doivent céder à la lumière ; telle est la marche naturelle et impérieuse de l'esprit humain et des événemens. Il est impossible que les nations n'ouvrent pas les yeux; qu'elles ne voient pas qu'elles ont toutes perdu à cet état continuel de divisions et de guerre; que les combats ne servent qu'à faire égorger les hommes et à ruiner les empires; que, funestes aux vaincus, ils le sont aussi aux vainqueurs; que dans ce jeu cruel, tour à tour victorieuses et vaincues, elles éprouvent un épuisement commun; que la victoire ne décide du bon droit; que les traités qui la suivent ne sont que des trèves que la partie lésée se propose de rompre à la première occasion; que la force ne peut jamais être un lien durable; qu'elle ne peut jamais établir de rapports solides; qu'elle ne peut jamais servir de base stable à des relations politiques ou commerciales; qu'elle finit nécessairement par soulever les opprimés; que c'est ce système de force, le seul que les nations aient connu jusqu'à ce jour, qui a causé tous leurs malheurs et toutes leurs querelles ; que sans ces principes d'oppression elles jouiraient d'une égale sécurité, quelle que soit l'étendue de leur territoire et de leur puissance; qu'elles perfectionneraient tranquillement leur régime intérieur ; qu'elles profiteraient de tout le bonheur de leur position, des dons de la nature, des bienfaits de la société ; que des liens plus touchans les attacheraient d'une manière plus intime les unes aux autres; qu'elles se rendraient des services

pas

vrais; qu'elles se porteraient des secours nécessaires; qu'elles se communiqueraient leurs jouissances; que leurs échanges seraient réglés par les lois des convenances, bien plus fortes que celles dictées les armes à la main, ou, pour mieux dire, les seules qui soient durables et respectées; et qu'enfin, au sein de la paix, elles s'éleveraient au plus haut degré de prospérité et de bonheur. Il est impossible, dis-je, qu'elles ne soient pas frappées de ces vérités, et qu'elles n'abjurent pas ces antiques erreurs qui ont ensanglanté la terre depuis des siècles, et qui ont enfanté tant et tant de maux! Quand l'humanité ne leur en ferait pas un devoir, la raison et leurs intérêts leur en prescriraient la loi. Un jour viendra peutêtre où le système d'un des plus ardens et des plus vertueux amis de l'humanité, qu'on a souvent appelé le rêve d'un homine de bien, sera le droit public des nations, et vous aurez la gloire d'avoir préparé ce beau jour !

» Je finis, et je propose le décret suivant. (Suivait le projet. )

M. l'abbé Maury. (Séance du 18.)

Messieurs, une lettre ministérielle nous apprend que. l'Angleterre et l'Espagne sont divisés sur la libre navigation dans les mers du Sud; que les Anglais réclament le droit d'envoyer leurs vaisseaux sur les côtes occidentales de l'Amérique, où ils ne possèdent aucun territoire, et où ils ne peuvent faire qu'un commerce de contrebande; et que ces deux puissances se disposent à soutenir par la voie des armes la guerre de cabinet qui est ouverte depuis plusieurs mois. Le roi, instruit de leurs mesures hostiles, vient d'ordonner l'armement de quatorze vaisseaux de ligne dans nos ports de la Méditerranée et de l'Océan. Sa majesté a voulu que l'Assemblée nationale fût informée par ses ordres des dispositions qu'exigent de sa sagesse la défense du royaume, la protection du commerce, notre alliance avec l'Espagne, et surtout les préparatifs militaires de deux grandes nations qui touchent à toutes les possessions de la France dans les quatre parties du monde.

>> Cette communication officielle des ministres du roi ne pou

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