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tous les agens du pouvoir la célérité dans l'exécution paraissait un bienfait d'un si grand prix, qu'il rendait excusables les violations des formes et des règles ordinaires ; les méprises, les injustices, les abus de tous genres étaient des maux pasagers, inséparables des grandes affaires, mais qui se perdaient dans le bien, et étaient plus que compensés.

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Que ne disait-on, que ne faisait-on pas pour épaissir de plus en plus le voile qui convrait une partie importante de l'administratión, les finances! Soulever ce voile était un crime; c'était ouvrir la porte à tous les désordres : mais séduire le peuple par des apparences trompeuses, lui annoncer une situation favorable au moment de la plus grande détressc, un avenir fortuné lorsqu'il n'offrait ni ressources ni espérances, paraissait le système le plus sage, le plus adroit, le seul qui pût, qui dût raisonnablement être suivi. » Hé bien, qui de nous n'est pas maintenant convaincu c'est à cette marche ténébreuse de l'administration, à ces opérations clandestines du ministère, que nous devons attribuer ces déprédations, ces iniquités, et cette foule de maux enfin qui désolent le royaume? Si elles nous ont été si pernicieuses pour notre régime intérieur, pourquoi produiraientelles de plus salutaires effets lorsqu'il s'agit de nos rapports

que

extérieurs?

» Je cherche en vain de quelle utilité est le secret dans les affaires politiques.

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» D'abord lorsque deux ou plusieurs nations traitent ensemble, chacune agissant avec mesure, avec réserve, avec mystère, chacune a l'avantage du secret; cet avantage est égale pour toutes; dès lors il est nul. Je ne prétends pas dire que dans cette guerre de dissimulation et de ruse l'une ne puisse parvenir à donner le change à l'autre, à l'induire en erreur sur ses intentions, sur ses desseins cachés; mais, considérant cet objet sous son point de vue vrai et général, sans application à tel ou tel exemple particulier, je soutiens, et il est évident qu'on ne peut pas appuyer la nécessité du secret sur le bien et l'intérêt d'une nation, puisqu'il n'est pas possible de savoir si ce procédé tournera pour ou contre elle; qu'aujourd'hui il lui sera favorable, et de

main nuisible; qu'il peut servir à tromper comme à être trompé.

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» Cet artifice méprisable est même devenu à peu près sans objet; les détours les plus subtils en ce genre sont usés; les piéges sont à l'instant éventés et découverts. On sait quel intérêt doit naturellement prendre une nation dans une guerre, dans un traité; on connaît ses alliés, les engagemens qu'elle a pris avec eux, et l'on en calcule aisément les suites. Les cours entretiennent réciproquement chez elles des espions titrés, qui les instruisent de tous les mouvemens qui se passent, des préparatifs, des armemens qui se font, soit dans les ports, soit sur terre; on corrompt une maîtresse, un secrétaire, un commis, qui dévoilent les plans. les correspondances, et tout ce qu'on voulait tenir caché.

» Il n'est plus, on peut le dire, de véritable secret entre les puissances. De mille exemples que l'on pourrait citer, ję ne veux que celui de ce roi philosophe, législateur et guerrier l'immortel Frédéric ignorait-il rien de tout ce qui se passait dans les cabinets de l'Europe? et n'a-t-il pas sans cesse déconcerté les projets les plus mystérieux de ses ennemis au moment où ils y pensaient le moins?

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» Enfin je suppose que par des manoeuvres adroites ait su échapper à la clairvoyance de ceux qui avaient intérêt de vous découvrir; c'est le prestige d'un moment, dont les effets sont nécessairement passagers. Quelle petite et vile ressource! Il semble que les ministres ne traitent que pour le temps de leur ministère, ou tout au plus pour le règne de leur maître; comme si les nations ne vivaient qu'un jour, comme si l'on pouvait se réjouir du triomphe de l'infidélité et de la fourberie, comme si ce succès pouvait être durable !... Non, non; c'est inutilement qu'on aura surpris par la ruse, qu'on aura arraché par la force des conditions onéreuses et oppressives à une nation vaincue et humiliée; on n'a fait que jeter des semences de haine et de qui division se développeront avec plus ou moins de rapidité. Il n'y a de traité solide et respectable que celui fondé sur la justice et l'utilité commune. Les nations calculent comme les particuliers entre eux; chacune cherche son intérêt, et ne peut

le trouver que dans l'avantage réciproque et commun. L'intérêt des nations, ainsi que celui des particuliers, est d'être juste: toute convention qui ne porte pas ce caractère auguste est tôt ou tard enfreinte. Telle est la nature impérieuse et irrésistible des choses; tous les efforts de l'esprit humain n'arrêteront jamais ce torrent.

» Que toute la science de ces hommes d'état si célèbre est souvent puérile et vaine! Ils éblouissent leurs contemporains; ils font le malheur de leurs descendans: vainement ils emploient toutes les ressources de leur génie pour établir de prétendues balances politiques, de prétendus contre-poids entre les nations; hélas ! le plus petit événement dérange l'équilibre, et pour le réparer que n'en coûte-t-il de soins, de dépenses, de sang et de malheurs! Toujours il en sera ainsi tant que la justice, tant que les intérêts respectifs ne serviront pas de régulateur.

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pas

Qu'on examine les belles et savantes spéculations politiques qui ont été faites jusqu'à ce jour, et l'on verra qu'elles n'ont contribué en rien à la perfection et surtout au bonheur de l'espèce humaine. Or je soutiens que toute opération sociale qui, en dernière analise, ne conduit pas à ce résultat, le seul désirable, le seul digne de nos recherches, est nécessairement fausse, vicieuse et immorale.

» Oui, le temps viendra, il faut l'espérer, et peut-être n'est-il pas loin, où les nations, éclairées sur leurs droits et sur leurs intérêts, renverseront tout cet échafaudage qui fascine aujourd'hui les yeux du vulgaire ! Qu'il serait étonné s'il voyait à découvert et les petits moyens et les ridicules agens qui font mouvoir les empires!

» Les discussions publiques et nationales, n'en doutons pas, seront très-propres à accélérer cet heureux changement dans la politique; en toutes choses ce sont les discussions qui répandent la lumière et dissipent l'ignorance.

» Qu'on ne croie pas que ces matières ne puissent pas être traitées dans une assemblée un peu nombreuse, ainsi qu'on affecte de te répandre; il n'existe pas sur ce point plus de difficultés que sur une multitude d'objets de législation, d'administration, qui ne sont ni moins délicats, ni moins compli

qués, ni moins étendus dans leurs rapports. La déclaration des droits de l'homme, les principes de la constitution, les finances paraissaient peu susceptibles d'être examinés et discutés par douze cents personnes; cependant ces obstacles ont été surmontés ; et, s'il fallait des exemples puisés dans la chose même, je demanderais comment font les peuples qui déci ́dent dans leurs assemblées du droit de la paix, de la guerre et des conditions des traités.

» Pour peu qu'on y réfléchisse, les prétendus inconvéniens qui se rencontrent à agiter, à régler les affaires politiques dans les assemblées représentatives, non seulement disparaissent, mais cette méthode présente des avantages incalculables.

» Les intérêts d'une nation seraient mieux connus, mieux approfondis, mieux conservés par une assemblée que par un ministre souvent ignorant, mais qui, eût-il des connaissances, ne peut jamais réunir celles d'une assemblée, qui ne peut surtout ni les comparer ni les rectifier par l'épreuve si nécessaire de la discussion.

» Ces intérêts ne seraient pas exposés de même à être compromis; les intrigues, la corruption et tous les vices qui ont tant de prise sur les hommes isolés, qui n'ont pour témoins de leur conduite qu'eux-mêmes, sont sans force contre une assemblée dont les membres exercent une censure active et perpétuelle les uns sur les autres.

» Les guerres seraient moins fréquentes; une assemblée n'est pas susceptible de ces petites passions malfaisantes, de toutes ces faiblesses, de cette délicatesse d'amour-propre qui s'irrite de tout, sources fécondes des querelles qui mettent les armes à la main des peuples; un pas refusé à un ambassadeur, un propos indiscret, l'ambition d'un favori, les intrigues d'une maîtresse, ne lui feraient pas égorger des milliers d'hommes.

» Avant de déclarer la guerre une assemblée frémirait des suites terribles qu'elle entraîne; elle verrait ce fléau détruisant l'agriculture, le commerce, l'industrie, la population, la fortune publique de la nation qui lui a confié ses intérêts; et ce ne serait qu'en tremblant, et forcée par les circonstances les plus impérieuses, qu'elle pourrait s'y résoudré. Les rois, il

faut l'avouer, sont moins tourmentés par ces craintes; ils cèdent plus facilement aux mouvemens personnels de la vengeance et de l'ambition; ils ne calculent pas avec la même sollicitude les sinistres effets d'une guerre qui leur offre des lauriers à cueillir et des ennemis à humilier.

>> Les traités seraient plus justes et plus durables; une assemblée met de la franchise et de la bonne foi dans sa marche ; elle ne connaît point ces ruses, ces perfidies dont se compose la politique ténébreuse des cours; elle n'a pas cette mobilité dans les principes, qui est si ordinaire dans un ministère dont les membres se succèdent sans cesse avec des vues différentes et souvent opposées; elle se fait un point d'honneur surtout d'être fidèle à ses engagemens.

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J'ignore si, d'après ces motifs, d'après ces considérations, il est permis de balancer encore pour savoir entre quelles mains doit reposer le droit de faire la paix, la guerre et les traités.

Mais, dira-t-on, le pouvoir exécutif sera donc étranger à ces grands intérêts; il sera donc nul dans les affaires politiques; la paix, la guerre et les traités se feront done hors sa présence et sans sa participation, et alors vous en faites un ennemi dangereux qui conspirera sans cesse pour sortir de cet état de nullité, et, si on peut le dire, d'abjection, et qui mettra tout en œuvre pour troubler l'harmonie sociale?

» Non, non, le pouvoir exécutif ne doit point être oublié; on doit conserver à ce pouvoir le genre d'activité et d'énergie qui lui convient dans les relations extérieures.

» Ces grands rapports sont réglés par des lois politiques; car enfin les traités, de quelque nature qu'ils soient, d'alliance ou de commerce, ne sont autre chose que des lois de nation à nation.

» Les traités d'alliance sont des actes d'une souveraine injustice lorsqu'ils engagent les nations à se prêter mutuellement une aveugle assistance, à se protéger dans leurs usurpations, dans leurs vues ambitieuses. Comment est-il possible de dire qu'on défendra, une prétention sans examiner si elle est légitime ou coupable? Comment peut-on se rendre ainsi complice des plus criminels attentats? Com

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