narques le droit de faire la paix, la guerre et les traités, qu'il n'en faudrait pas moins examiner si cet abandon est raisonnable, s'il n'est pas sujet aux plus grands abus. » Or cet abandon est insensé, et les suites en sont cruelles. Ouvrez l'histoire, et contemplez tous ces nombreux forfaits politiques, tous ces crimes de lèze-humanité commis par ces maîtres du monde ; vous verrez que chaque page est teinte du sang qu'ils ont versé; vous verrez que la terre a été un théâtre perpétuel de guerres et de carnage; vous verrez que les peuples n'ont pas cessé d'être les vils instrumens et les victimes des passions et de l'ambition de ces farouches despotes! Mille et mille traits, tant anciens que modernes, attestent cette triste vérité, et il suffit de dire qu'il n'est pas un seul peuple sur la terre qui n'ait eu à gémir d'avoir laissé entre les mains de ses chefs le droit de satisfaire à son gré ses penchans pour la guerre. » Qu'on vienne nous dire ensuite que l'intérêt des rois étant le même que celui des peuples qu'ils gouvernent; que, ne pouvant pas en avoir d'autre, ils sont forcés de vouloir le bien, et qu'on ne doit pas craindre dès lors qu'ils abusent d'un droit dont tout les engage à user pour le bonheur commun! » Je sais que les apôtres du despotisme répètent sans cesse ce misérable sophisme; mais pour démontrer combien il est ridicule il ne faut qu'examiner quelle en serait la vraie et nécessaire conséquence : c'est que tous les rois ayant intérêt à être justes, sont justes; c'est qu'ayant intérêt à être vertueux, ils sont vertueux; c'est qu'ayant intérêt à administrer la fortune publique avec une sévère économie, ils sont économes; c'est qu'ayant intérêt à ne pas verser le sang des peuples, ils en sont avares. » Or cette conséquence est démentie par une longue et constante expérience. Les rois sont des hommes : la raison n'est pas toujours leur guide; les passions les égarent; ils échappent difficilement à tous les genres de corruption qui les assiégent sans cesse; l'amour de la domination, ce penchantsi naturel à l'homme, se fortifie chez eux par les vices de leur éducation et par les hommages idolâtres qu'ils reçoivent, les dans tous les momens de leur vie, de ceux qui les environnent. Ils se croient supérieurs aux autres hommes, et pour ainsi dire d'une autre nature; ils se croient nés pour commander, et ils veulent être servilement obéis; et remarquez ici que l'ivresse du pouvoir peut les aveugler d'autant plus aisément sur l'intérêt des peuples, que cet intérêt se présente difficilement à leurs yeux sous ses vrais rapports. >> Peut-on en être surpris lorsque tant de débats s'élèvent parmi les hommes les plus instruits et les plus désintéressés sur la meilleure nature des gouvernemens; lorsque tant d'abus sont tour à tour blâmés et justifiés; lorsqu'on met en problême si on doit instruire le peuple ou le laisser dans l'ignorance; si la liberté ne lui est pas plus nuisible qu'utile; lorsque les plus grandes questions de morale et de politique deviennent un objet de controverse! Comment voulez-vous que les rois, nourris de préjugés dès leur enfance, tranchent ces difficultés, si ce n'est en leur faveur? Comment voulezvous qu'ils ne regardent pas comme légitime et comme nécessaire l'autorité la plus absolue? De sorte que le roi le plus ami du bien peut se croire permis d'employer les mesures les plus despotiques pour conduire le peuple à ce qu'il regarde comme son bonheur. » Jugez de ce que pourra faire un despote emporté par la fougue de ses passions, par un caractère violent et inhumain, qui veut dominer par la terreur, qui ne respire que le carnage : si vous lui laissez le droit de faire la paix et la guerre, de disposer de la force publique à son gré, il entre prendra la guerre sous le plus léger prétexte, ou excitera ses voisins à la lui faire, le tout pour avoir de l'argent; avec l'argent il corrompra les troupes et ceux qui pourraient s'opposer à ses desseins; avec les troupes il opprimera la liberté; il fera tout fléchir sous l'empire de la force qu'il revienne vainqueur; le peuple sera à ses genoux, et bénira ses fers; il protestera bien cependant qu'il n'a en vue que le bonheur de ce peuple séduit, égaré, et qu'il ne cherche que son intérêt. » On m'observera que la nation, se réservant d'accorder ou de refuser l'impôt, sera toujours la maîtresse de s'opposer à une guerre injuste, à des vues ambitieuses. >> Quelle fragile ressource! quel faible frein! Et d'abord comment autoriser un mal pour se réserver la satisfaction d'y appliquer le remède? Ne vaut-il pas mieux prévenir le mal que de s'exposer à le guérir? Comment ensuite mettre la nation en opposition avec son chef, et établir une lutte perpétuelle que la prudence et la tranquillité publique engagent d'éviter? Comment enfin s'aveugler au point de croire qu'il soit aussi facile, aussi praticable d'arrêter à volonté des hostilités commencées? Les premiers coups portés, une nation peut se trouver forcée de continuer la guerre la plus injuste, et pour laquelle elle a le plus de répugnance. L'ennemi irrité T'attaque, la poursuit, fait des descentes dans ses possessions lointaines, s'empare de ses vaisseaux, pénètre dans l'intérieur même du royaume; il faut bien alors qu'elle se défende, qu'elle repousse les attaques, et qu'elle se garantisse des désastres dont elle est menacée. Qu'elle abandonne son chef en le privant de secours devenus indispensables, elle va se trouver en proie aux dangers les plus imminens; l'orage qu'on a conjuré va fondre sur sa tête, et tout ravager. La loi impérieuse de la nécessité la contraint donc à fournir ces subsides. Qu'on vienne dire maintenant qu'avec la liberté de refuser l'impôt une nation tient toujours son chef dans une salutaire dépendance! » Les ministres seront responsables, ajoutera-t-on. Eh! ne nous laissons pas séduire davantage par cette responsa ́bilité. Manque t-on jamais de prétextes et de détours pour Féluder ? Comme il est facile de donner le change lorsque ́des négociations sont secrètes! Comme il est facile de paraître sur la défensive lorsqu'au fond on est l'agresseur! Comme il est facile d'avoir tous les dehors de la raison lorsqu'on a les torts les plus réels! Comment démêler tous les fils, tous les 'ressorts cachés du labyrinthe tortueux de notre politique actuelle ? » De plus, est-ce que la tête d'un homme peut répondre des calamités affreuses de la guerre ? Quand des milliers d'hommes auront été égorgés, quand des villes auront été saccagées, quand des moissons auront été dévastées, est-ce donc une réparation que l'exil ou la mort d'un ministre? Pourquoi, je ne cesserai de le répéter, pourquoi s'exposer à d'aussi grands maux, et ne se réserver que le triste privilége de punir? » Ce que je dis de la guerre, je le dis également des traités quand une fois ils sont conclus, s'ils font le malheur de l'empire, qu'importe la responsabilité des ministres; il faut les exécuter, ou bien il faut en venir aux armes, et parcourir sans cesse cet épouvantable cercle de violations de promesses et d'effusion de sang. >> Voyez l'Angleterre, me dira-t-on; ces fiers insulaires ont cru qu'il suffisait au maintien de leur liberté, dé leur sûreté, de se réserver la faculté de refuser l'impôt, et de rendre les ministres responsables. » Voyez l'Angleterre, leur répondrai-je à mon tour; suivez les événemens qui ont agité cette île célèbre, et vous reconnaîtrez que ces précautions ont toujours été vaines; que les rois et leurs ministres ont entrepris les guerres les plus injustes et les plus inutiles; qu'ils les ont entreprises sans daigner consulter l'opinion publique, quelque'ois même en la bravant, témoin la dernière guerre d'Amérique, contre laquelle on présentait de toutes parts des pétitions; que ces guerres ont porté la dette publique à des sommes effrayantes; que les impôts n'ont point été refusés; que les accusations contre les ministres n'ont rien produit; que la responsabilité a été sans effet; que toujours la cour a eu le secret d'assoupir les réclamations et de corrompre les membres qui lui portaient ombrage; que le parlement n'a conservé qu'un simulacre de pouvoir pour les articles mêmes des traités, qui, d'après les lois de l'Etat, ont besoin de son concours; que la volonté du roi finit sans cesse par être dominante. » Ne serait-ce pas le comble de l'imprudence que de se fier à de semblables mesures, que de prétendre garantir la chose publique des attaques par d'aussi faibles barrières, lorsque la raison et les faits démontrent qu'elles peuvent être si facilement renversées ! » Nous touchons à une grande objection on parle souvent des difficultés sans nombre qu'éprouverait un corps législatif s'il voulait traiter les affaires politiques; on exa gère ces difficultés, on les présente comme insurmontables. >> Je pourrais me contenter de répondre par un seul mot, et il est sans réplique; c'est que les peuples les plus fameux de l'antiquité les agitaient, les discutaient publiquement; que plusieurs nations modernes les agitent et les discutent dans des assemblées publiques. » Mais je ne m'arrête pas là, et je crois utile de détruirė d'anciens préjugés avec lesquels on captive la crédulité et l'on enchaine la raison du peuple. Le secret, dit-on, est l'âme de la politique; la publicité dans les discussions trahirait les mesures les plus prudentes; les nations ennemies en profiteraient pour déconcerter les projets les plus sagement combinés, et faire réussir leurs entreprises. » Et moi je soutiens que ce mystère dont on fait tant de cas, auquel on attache de si précieux avantages, ne sert an fond qu'à cacher les passions, les fautes et les erreurs de ceux qui gouvernent, qu'à maintenir les peuples dans une dépendance servile et dans une soumission aveugle. Toutes les fois qu'on a voulu égarer les hommes on a ainsi éloigné la lumière de leurs yeux, et l'on n'a jamais manqué de prétextes plausibles pour les rendre esclaves de leur ignorance: ç'a toujours été pour leur propre intérêt qu'on leur a interdit de s'instruire, et depuis les opérations les plus mécaniques de l'esprit jusqu'à ses combinaisons les plus sublimes et les plus profondes, il n'est rien sur quoi on n'ait voulu jeter un voile ténébreux. Il serait inutile de rappeler ici toutes les précautions injustes et violentes que dans tous les temps les hommes, ambitieux de dominer leurs semblables, ont prises pour empêcher les connaissances humaines de se faire jour, et pour s'en réserver la possession exclusive. » Il n'y a qu'un instant encore que l'administration dũ royaume était enveloppée d'une obscurité impénétrable; hé bien, que de sophismes n'employait-on pas pour justifier ce régime funeste et oppresseur! A entendre ses partisans, la prudence, la tranquillité et le bonheur des peuples en dépendaient; il était dangereux, il était contraire à son bonheur de lui laisser apercevoir par quels secrets ressorts il était conduit; il fallait lui inspirer une confiance sans bornes dans 3 |