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prince, peuvent seuls remplir ces fonctions, qui sont vérita blement celles du gouvernement.

» Mais comme le monarque ne doit être investi que de la mesure du pouvoir nécessaire pour la sûreté commune, et comme, ainsi que je l'ai déjà dit, aucun droit absolu et illimité ne peut être attribué au prince dans une constitution libre, il me paraît très-raisonnable de déterminer avec précision la manière dont le monarque peut user du droit qui lui sera attribué de faire la guerre et la paix, et je l'exprimerai ainsi :

» Le roi a le droit et le pouvoir d'ordonner toutes les dispositions d'une juste défense, et de déclarer la guerre lorsque les Français ou leurs propriétés auront été attaqués, insultés ou menacés par une puissance étrangère.

» Le roi pourra faire des préparatifs offensifs lorsqu'il le jugera indispensable pour la conservation des possessions nationales; mais, s'il n'y a point agression de la part des puissances étrangères, la guerre ne pourra être déclarée que du consentement du corps législatif.

» C'est au roi qu'il appartient de déterminer le moment et les conditions de la paix; mais s'il est question de céder à l'ennemi une portion du territoire national ou de l'accroître par des conquêtes, le traité ne pourra être définitif et obligatoire que lorsqu'il aura été accepté par le corps législatif.

» Il en sera de même des traités de commerce et de ceux portant stipulation de subsides; tous autres pactes et alliances seront définitivement arrêtés, par les ordres du roi, lorsqu'ils ne contiendront que des engagemens de défense et de secours mutuels entre les parties contractantes. »

M. Pétion. (Séance du 17.)

« Messieurs, je viens soumettre à vos lumières une des plus grandes questions qui puisse jamais être agitée chez aucun peuple; une question à laquelle tient essentiellement votre liberté, celle de vos descendans, le salut de la patrie. Jusqu'ici vous n'avez porté vos regards qu'autour de vous; vous n'avez considéré l'empire que dans ses rapports

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intérieurs; vous avez vu qu'il n'existait ni ensemble ni harmonie dans les parties éparses et divisées de ce grand tout; Vous avez senti la nécessité de refaire à neuf une machine usée par le temps, par la rouille des préjugés, et dont les ressorts, les uns relâchés, les autres brisés, n'avaient plus de jeu; et vous avez puisé dans les principes éternels de la raison et de la justice les élémens simples qui devaient former une nouvelle et meilleure organisation; mais vous n'avez pas encore envisagé les relations de ce corps politique avec les autres corps de la même nature qui l'environnent; vous n'avez pas calculé la force d'action et de réaction que ces corps ont les uns sur les autres.

» Il s'est établi entre toutes les nations du globe des liens de correspondance de toute espèce. Les distances immenses des mers qui les séparent, l'élévation prodigieuse des montagnes, les déserts les plus sauvages, tous les obstacles réunis que la nature semblait avoir mis à dessein, n'ont pu empêcher le génie actif et industrieux de l'homme de faire ces rapprochemens admirables. Les quatre parties du monde ont ensemble les communications les plus promptes et les plus faciles; elles échangent leurs productions diverses; elles se portent mutuellement leurs goûts, leurs mœurs et leurs usages; elles s'engagent par des traités; elles s'unissent d'intérêt : heureuses, mille fois heureuses si elles ne connaissaient entre elles d'autres liens que ceux de la fraternité, d'autres sentimens que ceux de la bienfaisance, d'autres conventions que celles fondées sur la bonne foi, sur les services et sur les secours réciproques! Mais trop souvent aussi des semences de haine et de rivalité les divisent; elles s'associent tantôt pour former des attaques, tantôt pour repousser des entreprises, de sorte le moindre événement qui agite deux peuples dans l'un ou l'autre hémisphère intéresse tous les autres, d'une manière plus ou moins directe, plus ou moins sensible, et une guerre qui s'élève dans les Indes embrase à l'instant l'Europe.

que

» Ces relations politiques ont l'influence la plus active et la plus puissante sur la destinée des empires, sur leur ruine ou leur prospérité, sur le bonheur ou le malheur des peuples : combien n'est-il donc pas important de confier le soin de les

établir, de les diriger, à des mains pures, fidèles, désintéressées, et d'employer des mesures si sages qu'elles écartent invinciblement les abus! J'appelle un instant vos pensées et vos méditations sur ce grand objet.

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Il est inutile, je pense, de m'arrêter ici à prouver que les nations ont le droit de laisser ou de ne pas laisser entre les mains de leurs chefs la puissance formidable de faire à leur gré la paix, la guerre, et de conclure les traités, c'est à dire de disposer des forces publiques, des richesses, de la liberté et de la vie des peuples: personne ne doute aujourd'hui de la souveraineté des nations; personne n'ignore que tous les pouvoirs émanent d'elles; qu'elles seules peuvent les conférer, les étendre, les restreindre suivant qu'elles le jugent convenable; qu'il n'est d'autorité légitime que celles qu'elles ont instituées; que tous les officiers publics sont leurs agens et leurs subordonnés ; que les chefs, pour être les premiers, n'en sont pas moins soumis à cette règle générale et sacrće.

» Ainsi, qu'on ne demande plus désormais si une nation a le droit de faire telle ou telle chose, parce qu'elle a le droit de faire tout ce qu'elle veut, tout ce qu'elle croit utile à son bonheur; mais que l'on considère s'il est de son intérêt, s'il est de sa prudence d'embrasser le parti qui lui est proposé.

» En toutes choses voilà la seule question qui puisse véritablement se présenter lorsqu'il s'agit des droits éternels et imprescriptibles des nations. J'examinerai donc si vous pouvez sans inconvénient et sans danger rendre le pouvoir exécutif maître absolu de faire la paix la guerre et les traités. Avant d'entrer dans cette discussion je ne puis me défendre de jeter un coup d'œil rapide sur les anciens usages, sur les lois primitives et fondamentales du royaume.

» Ce n'est qu'avec un respect religieux et profond qu'il est permis de contempler les assemblées augustes des premiers âges de la monarchie. Nos aïeux, dans leur simplicité guerrière, avaient le sentiment de leurs droits et de leur dignité; le chef de l'empire était à leurs yeux le premier parmi ses égaux; ils ne lui accordaient de prérogatives que celles qui tenaient à son rang sans pouvoir nuire à la chose publique; ils se gardaient bien surtout de lui laisser la puissance de faire,

suivant son caprice, la paix, la guerre et les traités; ils se réservaient ce droit redoutable; ils ne portaient les armes que quand ils l'avaient résolu; ils ne les déposaient qu'après leurs triomphes, et quand ils avaient dicté la loi à leurs ennemis: ils avaient partagé les périls; ils partageaient les dépouilles; c'était en commun qu'ils prescrivaient les conditions de la paix. Les exemples qui attestent ces vérités sont si nombreux et si connus, que je me crois dispensé d'en citer aucun : les capitulaires, ces anciens et précieux monumens de notre droit public, en sont remplis. Plusieurs siècles se sont écoulés avant que nos rois eussent des troupes réglées à leurs ordres; ils ne pouvaient dès lors entreprendre une guerre sans implorer le secours et sans avoir le vœu des hauts barons, des grands propriétaires de fiefs, et de la nation : tout ce qui intéressait le sort de l'Etat, ses relations avec les peuples voisins, se traitait publiquement aux champs de mars et de mai.

» Si nous passons de ces diètes fameuses aux états généraux, nous voyons que sous le roi Jean, le 17 octobre 1356, ces états demandèrent la liberté du roi de Navarre, décidèrent la guerre, accordèrent une aide pour l'entretien de l'armée et la délivrance du roi.

>>

Que sous Charles V, le 9 mai, ils décidèrent la guerre contre les Anglais.

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Que sous Charles VII, en 1441, ils avisèrent de la paix.

Que sous Louis XI, en 1467, ils statuèrent que le duc de Bretagne serait sommé de rendre au roi les villes qu'il détenait par intelligence avec l'Angleterre.

» Que sous Louis XII, en 1506, ils entrèrent dans les détails des inconvéniens du mariage de madame Claude de France avec un prince étranger, à cause du démembrement de tant de beaux états que la princesse porterait en dot à son époux.

»

Que sous François II et Charles IX, en 1560, ils agitèrent les moyens propres à consolider la paix.

>> Que sous Henri III, en 1576 et 1588, ils délibérérent également sur la paix à faire avec le roi de Navarre.

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Que sous Louis XIII enfin, en 1614, ils approuvèrent l'alliance avec l'Espagne par le mariage du roi avec la fille

de Philippe III, et ils proposèrent des traités avec celle puissance et l'Angleterre pour la sûreté des navires français (1).

>> Ici se trouve une lacune considérable dans notre histoire. Depuis longtemps les états portaient ombrage à l'ambition démesurée de nos rois, qui voulaient réunir tous les pouvoirs et en jouir sans partage. Affectant de méconnaître la source d'où ils tiraient leur puissance, ils la faisaient descendre du ciel même, et c'était au nom de l'Éternel qu'ils prétendaient gouverner la nation en maîtres absolus. Les prêtres favorisaient ce despotisme d'autant plus imposant, que son origine était respectable et sacrée. Les états généraux disparurent, et à leur place on substitua un fantôme. de pouvoir; des corps judiciaires choisis par la cour remplacèrent le corps national choisi par le peuple; les magistrats se crurent insensiblement les mandataires et les représentans de la nation; ils agirent et stipulèrent en son nom. Ce fut alors que nos rois ne rencontrèrent plus d'obstacles à leurs volontés; qu'ils franchirent aisément les fragiles barrières qu'on voulut de temps en temps leur opposer; ce fut alors surtout qu'ils se livrèrent sans mesure à leur penchant pour la guerre, qu'ils attaquèrent leurs voisins, qu'ils troublèrent la paix de l'Europe, qu'ils versèrent à flots l'or et le sang de la nation, qu'ils firent des traités sans jamais daigner la consulter.

» Peut-être au reste devez-vous bénir ces coupables excès, puisque c'est au poids insupportable de vos maux que vous devez d'être rétablis aujourd'hui dans vos droits; mais montrez-vous jaloux de les conserver; né soyez pas moins éclairés que vos pères sur vos véritables intérêts.

» Vous n'avez rien fait pour la liberté et le bonheur public si vous laissez entre les mains de vos chefs le terrible pouvoir de faire la paix, la guerre et les traités.

» Réfléchissez un peu sur ce pouvoir, sur ses fatales con

(í) « Ces exemples sont tirés de l'excellent ouvrage de M. Peyssonnel sur la situation politique de la France, et ses rapports actuels avec toutes les puissances de l'Europe. (Note de l'orateur.)

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