Page images
PDF
EPUB

dangers, aux abus qui résultent d'une telle puissance dans un gouvernement absolu.

» Louvois n'eût pas fait la guerre de Hollande, il n'eût pas incendié le Palatinat s'il avait pu être cité à l'Assemblée nationale, à moins qu'il n'y eût remarqué ce germe de passion, ou d'orgueil, ou d'inimitié nationale, qui produisent autant de maux que le ressentiment d'un despote.

Ainsi, messieurs, tout ce qui vous a été présenté comme principe sur la modération et la justice des nations ou des assemblées législatives, comparées à l'injustice des rois dans les guerres et les traités, se trouve démenti par les faits depuis les guerres du peuple romain jusqu'à celle de la Hollande le despotisme et la liberté ont produit les mêmes excès.

:

» Mais des maximes plus pures, une morale plus saine et plus inaltérable semblent devoir déterminer désormais nos décisions.

>> On vous a proposé de faire une déclaration solennelle à toutes les nations de vos principes, de vos projets d'éviter constamment toute agression et toute querelle injuste.

» Messieurs, l'Europe est accoutumée à de semblables déclarations; elles se trouvent dans tous les manifestes, et il n'existe plus de moyen sur la terre de persuader aux hommes qu'ils peuvent se reposer uniquement sur la justice et la bonne foi de leurs voisins.

» J'oserai dire plus, il faut être fort pour être juste avec succès, et toutes les puissances de la terre sont comme les assemblées délibérantes, où ce n'est pas telle maxime, mais la majorité qui fait la loi.

» On a dit : la France est assez puissante, assez forte par elle-même pour n'avoir rien à craindre d'aucune nation tant qu'elle ne voudra qu'être juste ; et, passant de là à des considérations particulières aux circonstances qui nous environnent, on a ajouté qu'elles nous commandaient la plus grande défiance, le plus grand éloignement de toute négociation qui pourrait nous engager directement ou indirectement à la guerre; que l'on ne pouvait donc abandonner au hasard de quelques combinaisons perfides le sort de la constitution.

soit

que

» Je pense en effet, messieurs, qu'une guerre étrangère dans les circonstances où nous sommes serait un grand malheur : l'on considère l'état actuel des finances et de l'armée, soit qu'on s'arrête aux dispositions des esprits, aux alarmes des uns, au mécontentement des autres, à la diminution du travail et de toutes les ressources industrielles, la guerre ne peut qu'ajouter à cette somme d'embarras et de désordres. Mais puisqu'on a soulevé le voile qui pouvait vous cacher un funeste avenir, il faut le déchirer tout à fait, et vous montrer combien d'autres malheurs pourrait produire une funeste imprévoyance; puisqu'on fait dépendre des circonstances momentanées, et de quelques considérations relatives aux personnes, la solution de la grande question qui vous occupe, il est indispensable de fixer un moment votre attention sur la situation politique de l'Europe, et sur l'espèce de liens qui nous y attachent, quoi qu'on en dise, encore pour longtemps.

» Cet équilibre si vanté et si calomnié qui balance par des alliances, et souvent par des intrigues, les forces des différentes puissances, ne mérite ni l'admiration ni le mépris qu'on lui prodigue. L'Europe eût été plus d'une fois bouleversée; on y aurait vu, comme en Asie et en Afrique, des empires détruits, des peuples exterminés, sans la surveil lance réciproque de toutes les cours, sans leurs combinaisons d'attaque et de défense, que la justice ne dirige pas toujours, mais qui maintiennent les parties de ce grand tout dans une sorte d'harmonie.

>> En vain essaierions-nous de nousisoler aujourd'hui de tous ces mouvemens politiques : le commerce a changé la face du globe; les mœurs et les lois, les besoins, les richesses, la liberté, la servitude, la guerre et la paix, tout a subi son influence; et nous ne pourrions nous séparer des autres peuples du continent, sans créer un nouveau système dont les bases reposeraient sur le sable, et nous placeraient sur les bords d'un précipice.

» Si vous n'étiez chargés d'une dette immense, dont la moitié des intérêts se paie aux étrangers; si vous n'aviez en outre à leur compter annuellement cinquante à soixante millions

[ocr errors]

pour la solde des marchandises qu'ils nous fournissent, il serait encore difficile que la France, comme la Chine, pût se suffire à elle-même : mais dans la position où nous sommes relativement à l'impôt, aux finances, à la dette de l'Etat, aux besoins et aux débouchés de nos manufactures, nous ne pouvons nous passer de nos colonies; nous ne pouvons les conserver que par des alliances, et si nous venions à les perdre il serait difficile de calculer les effets désastreux de cette catastrophe.

>> Nous n'avons pas un moindre intérêt à ce que l'Espagne conserve les siennes; car la part qu'elle nous laisse dans leur approvisionnement est un des plus précieux débouchés de nos manufactures de toiles, de soierie et de clinquaillerie.

» Considérez maintenant la situation de l'Angleterre : une dette à peu près égale à la nôtre se trouve balancée par un crédit effectif, par un ordre parfait dans ses finances, par les riches produits d'un commerce immense dans les deux Indes et dans toutes les parties du globe. Mais un grand revers, la perte de ses possessions dans l'Inde, l'affaiblissement même de sa marine, la restauration de notre commerce, la liberté solidement affermie en France, et tous les biens qui en sont la suite, menacent la prospérité de l'Angleterre, qui n'oublie pas d'ailleurs qu'elle nous doit la perte de l'Amérique.

>>

» Que pouvons-nous lui opposer? La moitié de ses forces navales; car l'Angleterre peut armer cent trente vaisseaux de ligne; elle peut disposer de cent mille matelots, en en laissant autant à ses armateurs, et nous n'en avons pas soixante-dix mille en tout nous avons soixante vaisseaux de ligne prêts à armer; l'Espagne autant; ses arsenaux sont bien munis: ainsi notre armée combinée peut faire face à celle de l'Angleterre, et, quelle que soit notre supériorité effective de population et de moyens possibles de richesses et de commerce, il n'est que trop certain que nous avons tout à faire pour les mettre en activité, et pour arriver à un degré de puissance navale qui balance par nos propres efforts celle de l'Angleterre.

» Qu'arriverait-il donc si nous laissions attaquer l'Espagne sans nous mettre en mesure de la secourir? Ses colo

nies envahies et sa marine détruite nous mettraient bientôt nous-mêmes hors d'état de défendre nos possessions.

» N'oublions pas que l'Angleterre considère, avec quelque raison, les îles de France et de Bourbon comme le seul moyen qui lui manque d'assurer à jamais son empire dans l'Inde, et l'ile de Saint-Domingue comme le seul dédommagement désirable de la perte qu'elle a faite dans le continent. de l'Amérique.

>>

Cependant le traité de commerce auquel nous avons accédé a soumis l'industrie nationale à un tribut aussi honteux qu'il nous est préjudiciable, et l'Angleterre se décidera difficilement à nous en affranchir en nous déclarant la guerre.

>> Nous n'ignorous pas que le parlement britannique creit pouvoir en épargner les frais et en obtenir tous les avantages en évitant de nous distraire des troubles intérieurs qui affligent le royaume, et en s'attachant ou à séparer l'Espagne de notre alliance, ou à détruire sa marine, à envahir ses possessions, s'il s'aperçoit que nous ne pouvons pas les défendre.

>> Ces considérations, messieurs, qui ne peuvent échapper à aucun observateur attentif, nous dictent la conduite que nous avons à tenir.

» Mais c'est moins pour la déterminer que je suis entré dans ces détails que pour répondre aux assertions hasardées sur la confiance que nous devons prendre en nos propres forces sur l'inutilité des alliances et le peu d'importance de nos relations' politiques.

[ocr errors]

Quant à ce qu'il pourrait y avoir de suspect, de dangereux pour la liberté dans les négociations que le roi nous a communiquées, il n'y a qu'un seul mot à répondre.

[ocr errors]

Suppose-t-on que l'Angleterre soit aussi dans le secret de ces combinaisons perfides, et qu'elle veuille nous faire la guerre pour opérer une contre-révolution? Alors il n'y a pas de moyen de l'éviter; il faut nous y préparer, et défendre tout à la fois notre liberté et nos possessions. Est-ce au contraire de sa part une spéculation indépendante de notre constitution? Il faut encore nous préparer et attendre. Mais dans

tous les cas la solution de la question qui nous occupe ne peut être déterminée par des soupçons qui se multiplient tous les jours, se reproduisent sous toutes les formes, et ne font qu'éloigner de nos foyers la paix que nous voulons tous conserver au dehors, et dont nous avons grand besoin au dedans.

» Je ne vous ai présenté, messieurs, qu'un seul point des relations politiques de la France, qui se trouve inévitablement intéressée à tous les mouvemens des grandes puissances de l'Europe.

>>

Qui pourrait croire maintenant que des intérêts aussi divers, aussi compliqués, peuvent être traités comme la guerre de Macédoine, sur la place d'Athènes?

» Qu'arriverait-il, messieurs, si les délibérations du corps législatif avaient pour objet l'examen des projets, des affections, de toutes les passions des princes étrangers et de leurs ministres; si de telles correspondances, et les observations, les soupçons, les inquiétudes qui en résultent, étaient livrés, dans une aussi nombreuse assemblée, à la curiosité des spectateurs qui nous entourent, et aux commentaires des journalistes ?

[ocr errors]

Croyez-vous, messieurs, qu'il n'entrerait point dans les calculs d'un prince, pour rechercher ou refuser notre alliance, ce qu'il aurait à craindre d'une communication préalable de ses vues et de ses moyens ?

» Pensez-vous que. la liberté nécessaire de nos avis ne rendrait pas nos discussions dangereuses, en excitant les préventions, les inquiétudes, l'inimitié des princes étrangers, ou en recevant nous-mêmes toutes ces impressions?

» J'abrége, messieurs, toutes les considérations que je pourrais vous présenter, et je ne reviens sur aucune de celles qui vous ont été proposées pour démontrer l'impossibilité d'attribuer au corps législatif l'exercice du droit de guerre et de paix dans toute sa plénitude.

» Il n'est point dans l'autre système d'inconvéniens, de désavantages qui égalent ceux auxquels vous exposeriez par une telle décision les intérêts de la nation.

» Dans une république un sénat, dans une monarchie le

« PreviousContinue »