Page images
PDF
EPUB

On dira qu'il n'y a pas d'inconvénient à accorder l'exercice de ce droit au roi parce que vous pourrez refuser des subsides: mais cette objection est absurde et dérisoire : c'est la ressource d'une insurrection qu'on vous propose; car le peuple est en insurrection quand il refuse les subsides pour l'exercice du pouvoir qu'il a confié. Rappelez-vous, messieurs, les raisons pour lesquelles on a écarté cette question lors de la discussion sur le veto: on vous propose un crime pour un remède à un décret.

:

» Un préopinant a dit qu'il y avait dans une assemblée aussi nombreuse plus de passions que dans un conseil particulier c'est sans doute du conseil des ministres qu'il a voulu parler. Dans une grande assemblée il y a plus de passions pour le bien que de passions perverses ; et si quelques suggestions perfides peuvent s'y introduire, c'est souvent par le silence que des membres séduits ont servi les ministres. On a objecté la lenteur, la publicité des délibérations : cela prouve tout au plus que le droit dont il s'agit est difficile à exercer; mais ce n'est pas une raison pour que la nation doive déléguer un droit que le soin de sa liberté exige qu'elle conserve. Ne pourrait-on pas instituer un comité de guerre? Il aurait sans doute des inconvéniens: bravons ces inconvéniens plutôt que de consacrer le plus dangereux, le plus abominables des principes.

>> Jetez les yeux sur les malheurs que les guerres ont produits. Montesquieu, dont l'âme n'était pas aussi hardie que le génie était profond, n'a pas dit nettement que l'exercice du droit de faire la paix ou la guerre devait appartenir au roi; en déplorant les guerres de Louis XIV il a aussi fait sentir qu'il reconnaissait le danger de ce droit. Il en coûte à des Français de rappeler des faits nuisibles à la gloire de Henri IV; quand la France, par un crime horrible, a perdu le meilleur des rois, ce monarque allait embraser l'Europe pour la possession de la princesse de Condé....

(C'est une calomnie! - s'écrie l'abbé Maury. L'orateur continue :)

» En supposant que ma citation soit inexacte, le préopi

nant, dont ia prodigieuse érudition lui fournit souvent des citations, ne devrait pas m'interrompre; quand il en ferait d'inexactes, même sans le vouloir, je ne l'interromprais pas.

» Il doit en coûter à un Français d'accuser un roi que la France honore de son deuil; mais il n'en est pas moins vrai que le bonheur du peuple est plus sacré que la mémoire des rois, et que ce serait manquer à notre caractère que de dissimuler, sous quel que prétexte que ce soit, des exemples utiles; les circons tances où nous nous trouvons nous font un devoir de dire la vérité tout entière je n'y ai pas encore manqué, et les clameurs ne m'empêcheront pas de le remplir. J'ai avancé que Henri IV, au moment où un crime détestable nous a privés d'un bon roi, allait faire une tache à sa gloire, et sacrifier le bonheur de son peuple à sa passion insensée pour la princesse de Condé...

(Nouvelle interruption de la part de M. l'abbé Maury.)

» Je le prouverai par dix monumens historiques, par les mémoires de son ami Sully: il est impossible qu'ayant toujours aimé la mémoire de Henri IV, il est impossible qu'avec le culte dont je fais profession j'aie inventé ce trait.

» J'ai maintenant à prouver que si des principes de la révolution ne résultait pas le devoir de conserver à la nation le droit de paix et de guerre; que si même il était de principe de le laisser au roi, les circonstances actuelles nous obligeraient à déroger à ce principe. Daignez réfléchir, daignez observer dans quelles circonstances, et de quelle manière a été amené le différend entre l'Espagne et l'Angleterre; c'est un vieux motif de guerre qu'on a réchauffé. Vous avez appris hier des préparatifs qui sont déjà une déclaration de guerre ; vous ne pouvez ignorer les liaisons de l'Espagne : on sait bien que notre constitution épouvante les tyrans on connaît les mesures que l'Espagne a prises pour empêcher que les écrits publiés en France parvinssent dans cet empire : une coalition s'est faite entre une puissance qui craint la révolution pour elle, entre une puissance qui voudrait anéantir notre constitution, et une famille qui peut être mue par des considérations particulières en voilà assez pour vous faire pressentir

les motifs de cette guerre... Si vous déclarez que le roi peut faire la guerre, la constitution sera attaquée, et peut-être détruite; le royaume sèra ensanglanté dans toutes ses parties. Si une armée se rassemble, les mécontens qu'a faits notre justice iront s'y réfugier; les gens riches, car ce sont les riches qui composent le nombre des mécontens; ils s'étaient enrichis des abus, et vous avez tari la source odieuse de leur opulence; les gens riches emploieront tous leurs moyens pour répandre et pour alimenter le troublé et le désordre: mais ils ne seront pas vainqueurs, car, s'ils ont de l'or, nous avons du fer, et nous saurons nous en servir!...

(On applaudit avec transport dans toutes les parties de la salle.)

:

» Le droit de paix et de guerre appartient à la nation; l'exercice de ce droit doit être conservé par elle : ce principe est consacré par les principes mêmes de la constitution, par l'opinion de Montesquieu, et par l'expérience des siècles : il n'y a pas lieu à un seul doute sur la question. Je sais bien qu'on objectera le pacte de famille; mais d'abord la famille d'un roi c'est son peuple mais lorsqu'un intérêt légitime mettra les armes à la main à un cousin de nos rois, il n'est pas un Français qui ne coure à sa défense... On veut que les assignats ne prennent pas faveur, que les biens ecclésiastiques ne se vendent pas; voilà la véritable cause de cette guerre... Eh! certes ceux qui soutiennent en ce moment la prérogative royale ont une bien fausse idée des jouissances des rois! Si nous avions toujours un roi tel que le nôtré, un roi vertueux....... ( Murmures du côté droit.) Oui, je le répète sans craindre d'être désavoué par la majorité de cette Assemblée, par la majorité de la nation, qui est notre juge, si toujours le ciel dans sa faveur donnait à nos rois les vertus de Louis XVI, on pourrait sans danger augmenter sans mesure la prérogative royale. Mais demanderait-il le droit qu'on réclame aujourd'hui pour lui? mais ne serait-il pas affreux pour son cœur paternel ce droit qui consiste à pouvoir envoyer librement des milliers de Français à la mort! ce droit qui ne peut s'exercer sans la

dépopulation d'un empire! A la fin du règne de Louts XIV la France était déserte....

» Je conclus : le pouvoir exécutif ne pouvant qu'exécuter, le pouvoir de déterminer la guerre doit appartenir à la nation, et être exercé par ses représentans. >>

M. Malouet. (Séance du 17.)

« Messieurs, l'avis du préopinant (1), et l'accueil qu'il a reçu, me donnent lieu de remarquer que, toutes les fois qu'une grande question est traitée dans l'Assemblée, on ne manque pas de convenir généralement de son importance et de ses difficultés, ce qui annonce un examen froid et attentif; et cependant, dès le début, il semble qu'il ne puisse y avoir qu'un seul avis sur une grande question, tant il s'élève de défaveur contre celui qui paraît s'éloigner du système dominant; tant il est vrai que les moins apparentes, comme les plus fastueuses dominations, supportent difficilement la contrariété! Pour moi je ne ferai pas cette injure à la liberté et à la raison de douter que chacun de nous n'ait le droit de choisir et de combattre l'affirmative ou la négative de la proposition qui attribuerait au roi le pouvoir de déclarer la guerre et de faire la paix.

» J'ai donc choisi et adopté le parti qui m'a paru le plus sage, le plus convenable à la sûreté, aux intérêts, à la situation politique de cette grande monarchie.

» J'ai aussi examiné si la liberté pourrait être plus facilement compromise par l'influence immédiate d'un ministère responsable sur la guerre et la paix, que par celle d'un corps législatif indépendant de toute autorité; j'ai examiné s'il n'y avait point aussi quelques dangers à redouter des erreurs et des passions d'une grande assemblée; et, en m'appuyant à cet égard des observations de MM. de Séran et de Virieux, je m'attacherai de préférence aux raisons présentées pour retirer des mains du monarque le pouvoir de faire la guerre et la paix.

(1) M. de Sillery, qui avait opiné dans le même sens que M. Charles de Lameth.

» Ces motifs se réduisent à soutenir que la nation ne doit déléguer aucun des pouvoirs qu'elle peut exercer; qu'il serait absurde qu'une nation, qui veut être libre, se laissât engager sans son consentement dans les querelles des rois; qu'en débarrassant la politique de tout ce qu'elle a d'insidieux et d'inutile, en réduisant les intérêts et les relations de la France à ce qui est juste et nécessaire à sa sûreté, il n'est point de traité, point d'alliance et de guerre qui ne puissent être discutés et déterminés par le corps législatif; enfin, on a soutenu que le droit de faire la guerre et la paix était et devait être absolument séparé du pouvoir exécutif.

» Je pense en effet, contre l'avis de quelques publicistes et de plusieurs préopinans, que ces deux pouvoirs sont différens, et que l'un n'est pas essentiellement une attribution de l'autre, comme le pouvoir judiciaire l'était dans mon opinion; car celui-ci ne consiste que dans l'application et l'exécution de la loi, au lieu que le droit de faire la paix et la guerre emporte nécessairement celui de donner des lois aux vaincus, ou la faculté de rendre obligatoires pour la nation les lois du vainqueur.

» Le droit de guerre et de paix se trouve donc intimement lié au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif; à la législation, par l'importance des déterminations qui en constituent l'exercice; au gouvernement, par la disposition et le développement des forces qu'il emploie.

» Si c'était un pouvoir semblable à celui de faire des lois, l'influence du monarque se trouverait déjà déterminée par la constitution; le roi aurait le droit de confirmer et de rendre exécutoires ou de suspendre les résolutions du corps législatif.

>> Si au contraire le droit de guerre et de paix ne consistait que dans l'exécution d'un acte législatif, il n'y aurait pas davantage de question à résoudre; le roi aurait sans difficulté et sans partage la direction et l'emploi des moyens.

» Mais de la double alliance des principes qui se réunissent dans le pouvoir de déclarer la guerre et de faire la paix résulte la nécessité d'un nouveau mode d'influence pour le monarque, qui concilie la liberté constitutionnelle avec l'unité et l'activíté monarchique.

« PreviousContinue »