Page images
PDF
EPUB

pacle avec la révolution; il était juste qu'on lui fit connaître le mouvement national qui cimentait une aussi sublime alliance. A cet effet une députation se rendit le même jour auprès de S. M., à qui le président de l'Assemblée adressa le discours suivant :

« SIRE, nous venons offrir à Votre Majesté les premiers fruits de son patriotisme et de ses vertus.

» L'oubli de toutes les divisions, le concert de toutes les volontés, la réunion de tous les intérêts particuliers dans le seul intérêt public; le serment solennel prononcé par tous les représentans du peuple français d'être fidèles à la nation, à la loi, au roi, à la constitution; les citoyens en foule demandant leur association à ce pacte auguste et saint, tels sont, Sire, les heureux effets de votre présence à l'Assemblée nationale. Pourquoi faut-il que le cœur humain, juste et sensible de Votre Majesté ait été privé de ce spectacle attendrissant! Interprètes des voeux de la nation, nous devons l'être de sa reconnaissance daignez, Sire, en recevoir le tribut avec bonté. L'amour et la confiance des peuples sont les vrais trésors des bons rois jouissez-en, Sire, et que ce juste hommage de vos contemporains vous soit le garant des bénédictions que la postérité réserve à votre mémoire. »

Réponse du roi.

« Le prix que vous attachez aux sentimens que je vous ai témoignés m'est un nouveau garant de la réunion de vos soins pour le bien de la patrie. J'espère que tous les bons citoyens, tous les vrais amis du peuple, se rallieront àutour de moi pour consolider sa liberté et son bonheur : le serment que vous avez prêté après m'avoir entendu m'en donne l'assurance.

» Puisse cette heureuse conformité de nos principes et de nos sentimens assurer la gloire et la félicité de la plus grande et de la meilleure des nations! >>

L'ASSEMBLÉE NATIONALE AUX FRANÇAIS.

Motifs de cette adresse.

Tandis que l'Assemblée, de concert avec le roi, s'occupait sans relâche de régénérer la France; tandis que le plus éclatant, le plus auguste hommage était rendu au nouvel ordre de choses, les ennemis de la constitution portaient le trouble dans les provinces, et cherchaient à faire haïr la liberté en rejetant sur elle leurs propres crimes. L'abolition des abus et des priviléges était toujours la source ou le prétexte de ces désordres. Depuis le décret du 4 août 1789 (1) les seigneurs avaient multiplié les exécutions, les vexations de toute espèce pour se faire payer les rentes arriérées; ils avaient encore exigé, avec plus de rigueur qu'auparavant, les corvées féodales et les assujétissemens les plus avilissans. Dans plusieurs endroits le peuple avait résisté, et des troupes de paysans armés opposaient à la tyrannie l'incendie et le ravage. Dans la séance du 9 février M. l'abbé Grégoire, au nom du comité des Rapports, rendit compte à l'Assemblée de ces douloureux événemens; il en trouvait les causes « 1° dans l'ignorance des paysans, qui par décrets de l'Assemblée nationale entendaient décrets de prise de corps; 2° dans la crainte que les décrets du 4 août ne fussent pas exécutés; 3° dans la fausse interprétation de ces décrets; 4° dans les erreurs où cherchaient à faire tomber les habitans des campagnes ceux qui préfèrent l'esclavage et l'anarchie à l'ordre et à la liberté; 5o enfin dans de faux décrets et de fausses lettres patentes perfidement montrés aux paysans. » La délibération s'ouvrit aussitôt sur les moyens à prendre pour ramener le calme. M. l'abbé Maury, souvent interrompu par des murmures d'improbation, conclut aux mesures les plus rigoureuses. MM. Grégoire et Lanjuinais, parlant toujours le langage de l'humanité, demandèrent avec instance qu'on employât de préférence les voies de conciliation et d'exhortation. Enfin l'Assemblée adopta, sur la proposition de

(1) Voyez tome I, page 69.

<

M. l'abbé Grégoire, un décret par lequel le président fut chargé d'écrire aux municipalités pour témoigner combien l'Assemblée était affectée de ces désordres, dont la continuation nécessiterait le recours à toutes les forces du pouvoir exécutif.

C'est alors que, pour mieux remplir l'intention du décret, M. Lanjuinais proposa de faire une Adresse au peuple français, dans laquelle on l'éclairerait sur ses véritables intérêts, en même temps qu'on l'instruirait de l'union intime du roi avec l'Assemblée. On accueillit cette proposition, et le comité de constitution fut chargé de la rédaction de l'Adresse, qu'il soumit à l'Assemblée dès le lendemain, par l'organe de M. l'évêque d'Autun.

Cette Adresse, modèle de dignité, sage et forte en principes, élégante et riche de style, fut adoptée après deux lectures, et également applaudie de l'Assemblée et de la France:

L'Assemblée nationale aux Français.

11 février 1790.

« L'Assemblée nationale, s'avançant dans la carrière de ses travaux, reçoit de toutes parts les félicitations des provinces, des villes, des communautés, les témoignages de la joie publique, les acclamations de la reconnaissance; mais elle entend aussi les murmures, les clameurs de ceux que blessent ou qu'affligent les coups portés à tant d'abus, à tant d'intérêts, à tant de préjugés. En s'occupant du bonheur de tous, elle s'inquiète des maux particuliers; elle pardonne à la prévention, à l'aigreur, à l'injustice; mais elle regarde comme un de ses devoirs de vous prémunir contre les influences de la calomnie, et de détruire les vaines terreurs dont on chercherait à vous surprendre. Eh! que n'a-t-on pas tenté pour vous égarer, pour ébranler votre confiance! On a feint d'ignorer quel bien avait fait l'Assemblée nationale; nous allons vous le rappeler : on a élevé des difficultés contre ce qu'elle a fait; nous allons y répondre : on a répandu des doutes, on a fait naître des inquiétudes sur ce qu'elle fera; nous allons vous l'apprendre.

>>

Qu'a fait l'Assemblée? Elle a tracé d'une main ferme, au milieu des orages, les principes de la constitution, qui assure à jamais votre liberté.

» Les droits des hommes étaient méconnus, insultés depuis des siècles : ils ont été rétablis pour l'humanité entière, dans cette déclaration qui sera à jamais le cri de ralliement contre les oppresseurs, et la loi des législateurs eux-mêmes.

» La nation avait perdu le droit de décréter et les lois et les impôts ce droit lui a été restitué, et en même temps ont été consacrés les vrais principes de la monarchie, l'inviolabilité du chef auguste de la nation, et l'hérédité du trône dans une famille si chère à tous les Français.

>> Nous n'avions que des Etats généraux: vous avez maintenant une Assemblée nationale, et elle ne peut plus vous être ravie,

» Des ordres, nécessairement divisés, et asservis à d'antiques prétentions, y dictaient les décrets, et pouvaient y arrêter l'essor de la volonté nationale: ces ordres n'existent plus; tout a disparu devant l'honorable qualité de citoyen.

>> Tout étant devenu citoyen, il vous fallait des défenseurs citoyens; et au premier signal on a vu cette garde nationale qui, rassemblée par le patriotisme, commandée par l'honneur, partout maintient ou ramène l'ordre, et veille avec un zèle infatigable à la sûreté de chacun pour l'intérêt de tous.

» Des priviléges sans nombre, ennemis irréconciliables de tout bien, composaient tout notre droit public: ils sont détruits, et à la voix de votre Assemblée les provinces les plus jalouses des leurs ont applaudi à leur chute; elles ont senti qu'elles s'enrichissaient de leur perte.

» Une féodalité vexatoire, si puissante encore dans ses derniers débris, couvrait la France entière: elle a disparu

sans retour.

» Vous étiez soumis dans les provinces au régime d'une administration inquiétante : vous en êtes affranchis.

* Des ordres arbitraires attentaient à la liberté des citoyens : ils sont anéantis.

» Vous vouliez une organisation complète des municipalités elle vient de vous être donnée, et la création de tous

ces corps formés par vos suffrages préscate en ce moment dans toute la France le spectacle le plus imposant.

» En même temps l'Assemblée nationale a consommé l'ouvrage de la nouvelle division du royaume, qui seule pouvait effacer jusqu'aux dernières traces des anciens préjugés, substituer à l'amour-propre de province l'amour véritable de la patrie, asseoir les bases d'une bonne représentation, et fixer à la fois les droits de chaque homme et de chaque canton en raison de leur rapport avec la chose publique; problème difficile dont la solution était restée inconnue jusqu'à nos jours.

» Dès longtemps vous désiriez l'abolition de la vénalité des charges de magistrature: elle a été prononcée.

» Vous éprouviez le besoin d'une réforme, du moins provisoire, des principaux vices du code criminel: elle a été décrétée, en attendant une réforme générale.

» De toutes les parties du royaume nous ont été adressées des plaintes, des demandes, des réclamations: nous y avons satisfait autant qu'il était en notre pouvoir.

» La multitude des engagemens publics effrayait nous avons consacré les principes sur la foi qui leur est due. >> Vous redoutiez le pouvoir des ministres : nous leur avons imposé la loi rassurante de la responsabilité.

>>

L'impôt de la gabelle vous était odieux nous l'avons adouci d'abord, et nous vous en avons promis l'entière destruction; car il ne nous suffit pas que les impôts soient indispensables pour les besoins publics; il faut encore qu'ils soient justifiés par leur égalité, leur sagesse, leur douceur.

» Des pensions immodérées, prodiguées souvent à l'insu de votre roi, vous ravissaient le fruit de vos labeurs : nous avons jeté sur elles un premier regard sévère, et nous allons, les renfermer dans les limites étroites d'une stricte justice.

» Enfin les finances demandaient d'immenses réformes : secondés par le ministre qui a obtenu votre confiance, nous y avons travaillé sans relâche, et bientôt vous allez en jouir. >> Voilà notre ouvrage, Français! ou plutôt voilà le vôtre, car nous ne sommes que vos organes, et c'est vous qui nous avez éclairés, encouragés, soutenus dans nos travaux. Quelle

[ocr errors]
« PreviousContinue »