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Oui, Messieurs, j'ose l'espérer; dans le moment où la plus étonnante et la plus complète des révolutions s'opère en France par la seule force de la vérité et de la raison; lorsque, dans cette grande et périlleuse entreprise, vous n'avez d'autre appui que l'opinion publique, quelle reconnaissance ne devezvous point à celui qui, en éclairant la volonté souveraine de la nation dont vous êtes les organes, vous a mis dans les mains les armes victorieuses avec lesquelles vous avez combattu le despotisme, et assuré pour jamais nos droits et notre liherté! Je demande, messieurs, au nom de l'honneur national, qu'après avoir donné un grand exemple au monde, cette gloire soit encore réservée à la France, d'avoir, dès l'aurore de sa liberté, rendu les justes hommages qui sont dus à la vertu et au génie; d'avoir, à l'exemple des peuples anciens, honoré d'une manière digne d'elle et digne de lui l'homme immortel qui fut son bienfaiteur, ou plutôt celui du genre humain.

» Voici mon projet de décret, amendé sur la motion de M. Barrère, et sur les observations qui m'ont été faites par quelques membres de l'Assemblée :

« L'Assemblée nationale, voulant rendre un hommage solennel à la mémoire de J.-J. Rousseau, et lui donner, dans la personne de sa veuve, un témoignage de la reconnaissance que lui doit la nation française, a décrété et décrète : » Art. 1oг. Il sera élevé à l'auteur d'Emile et du Contrat social une statue portant cette inscription:

LA NATION FRANÇAISE,

LIBRE,

A JEAN-JACQUES ROUSSEAU.

» Sur le piédestal sera gravée la devise :

Vitam impendere vero.

» Art. 2. Marie-Thérèse Levasseur, veuve de J.-J. Rousseau, sera nourrie aux dépens de l'Etat. A cet effet il lui sera payé annuellement, des fonds du trésor public, une somme de 1200 livres. »

Applaudissemens unanimes et longtemps prolongés. La décret, mis aux voix, est aussitôt adopté; et l'Assemblée nationale a vengé en même temps et la France et J.-J. Rousseau.

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de Talleyrand, évêque d'Autun, du 16 au 28 février.

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LIVRE II.

LÉGISLATION CONSTITUTIONNELLE.

DE L'EXERCICE DU DROIT DE LA PAIX ET DE LA GUERRE.

DISCUSSION. Orateurs MM. Alexandre de Lameth, Charles de Lameth, Malouet, Pétión, l'abbé Maury, Fréteau, le comte de Mirabeau, Barnave, Chapelier, de La Fayette, etc.

Le 14 mai 1790 l'Assemblée nationale reçut de M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, une lettre annonçant que des préparatifs de guerre se poussaient vivement en Angleterre et en Espagne ; que dans cet état de choses la France ne pouvant rester désarmée, le roi avait donné les ordres pour que quatorze vaisseaux de ligne fussent promptement armés dans les ports de l'Océan et de la Méditerranée: S. M. ne doutait point que l'Assemblée approuvât ces mesures, et décrétât les dépenses qu'elles allaient entraîner.

Dans ce message les amis de la liberté né virent pas seulement la communication d'un fait; ils y trouvèrent l'occasion précieuse de proclamer, de faire reconnaître un droit sacré de la nation.

La lettre du ministre appela à la tribune un grand nombre d'orateurs les uns pensaient que l'Assemblée n'avait à s'occuper pour le moment que d'une réponse de remerciement et d'approbation; mais d'autres, en majorité, abordaient la question constitutionnellement on dut à M. Alexandre de Lameth de fixer sur ce point la détermination de l'Assemblée.

M. Alexandre de Lameth.

« J'ai demandé la parole pour chercher à établir la question. Personne ne blâmera certainement les mesures prises par le roi; nous pouvons délibérer maintenant, puisque les ordres sont donnés; mais cette question incidente amène une question de principe. Il faut savoir si l'Assemblée est compétente, et si la nation, souveraine, doit déléguer au roi l'EXERCICE DU DROIT DE LA PAIX ET DE LA GUERRE. Voilà la question.

(Un mouvement qui se manifeste dans l'Assemblée indique que cette question, comme un éclair, a soudainement frappé tous les esprits.)

» Il est infiniment simple de traiter cette question avant la question de circonstance, ou bien vous la préjugeriez : le ministre vous l'annonce assez dans sa lettre. Je crois que si vous vous horniez à accorder les subsides demandés on pourrait entraîner la nation au-delà des bornes que notre prudence doit prescrire. Il faut, avant de prendre un parti, connaître toutes les circonstances; il faut savoir ce qui a précédé. La nation ne doit-elle pas être inquiète quand le ministère a laissé près de la cour dont les affaires nous occupent actuellement cet homme, ce ministre appelé au conseil du roi lorsqu'on a entouré l'Assemblée nationale de baïonnettes? Il est possible qu'il y ait des raisons pour déclarer une guerre; il est possible qu'il existe des arrangemens entre différentes cours, car c'est ici la cause des rois contre les peuples. L'Assemblée nationale doit savoir le motif de cet armement ; elle doit examiner si elle peut déléguer le droit de la paix et de la guerre. Cette question ne peut faire aucun doute dans cette Assemblée; le droit d'entraîner des miliers de citoyens loin de leurs foyers, d'exposer les propriétés nationales, de faire verser le sang, ce terrible droit pouvons-nous le déléguer? Je ne le pense pas. Je demande donc que nous discutions d'abord cette question constitutionnelle. On ne nous dira pas que nous délibérons quand il faut agir, puisque le roi a ordonné l'armement. »

La grande majorité de l'Assemblée donne de vifs applaudissemens à la motion de M. Alexandre de Lameth; elle est combattue par quelques membres, qui demandent l'ajournement; mais tant d'autres l'appuient que l'Assemblée en forme le décret ci-après (15 mai 1790):

«L'Assemblée nationale décrète que son président se retirera dans le jour pardevers le roi pour remercier S. M. des mesures qu'elle a prises pour le maintien de la paix ;

» Décrète en outre que demain 16 mai il sera mis à l'ordre du jour cette question constitutionnelle: La nation doit-elle déléguer au roi l'exercice du droit de la paix et de la guerre?»

Et cette grande question constitutionnelle, une des plus fameuses que l'Assemblée nationale ait eu à traiter, devint pendant six jours l'objet d'une discussion lumineuse et profonde qui triompha enfin de l'erreur et de la séduction. Voici les opinions qui ont exercé contradictoirement le plus d'influence sur la délibération :

M. Charles de Lameth. (Séance du 16.)

« Pour décider cette question il faut remonter aux principes qui sont déjà décrétés; on pourra entrevoir comme une conséquence nécessaire l'impossibilité de donner au roi le droit de déclarer la guerre. Quand cette conséquence ne serait pas aussi certaine, quand elle serait contraire au principe, les circonstances où nous nous trouvons exigeraient au moins que la nation conservât ce droit d'une manière provisoire. Il faut analiser d'abord le droit de paix et de guerre: il est la manifestation du vœu général de la nation; or est-ce le roi qui peut exprimer ce vou? Le droit de déclarer la volonté générale ne peut appartenir qu'aux représentans de la nation. Si je pouvais me servir d'une comparaison, je dirais qu'un manifeste de guerre ressemble au déploiement du drapeau rouge dans une cité : ce sont les citoyens élus par le peuple qui déclarent que, d'après la volonté du peuple, et pour la sûreté générale, la force publique va être déployée contre les ennemis de la paix. Il en est de même d'une déclaration de guerre; c'est au corps législatif, c'est à la municipalité par excellence qu'il appartient de la faire.

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