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toires. Vous devez aux religionnaires, et à leurs parens, quelque degré que ce soit, la restitution de leurs biens. Là finit votre devoir; là doit s'arrêter l'acquittement d'une dette sacrée.... Vous devez la même justice à ceux qui, demeurés en France, et enfermés pour ainsi dire dans ses frontières, n'ont pu ni fuir une patric avare, ni échapper aux peines prononcées par une politique superstitieuse et par une législation féroce, ni sauver le patrimoine de leurs familles de l'injustice des confiscations.

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Mais seront-ce les corps administratifs, seront-ce les tribunaux devant lesquels s'agiteront toutes les questions relatives à la restitution des biens des protestans? Tout prouve que c'est aux corps judiciaires à connaître de ces contestations.

» L'administration publique était, il est vrai, chargée de ces biens; le conseil des dépêches était l'unique juge des demandes en main-levée; mais ces corps, pour avoir violé toutes les formes et tous les principes d'équité, devraient être dépouillés de cette espèce de juridiction, quand même elle n'appartiendrait pas aux juges de district par les principes de la constitution, et par la nature des objets contentieux.

» Peut-être les directoires de département auraient pu remplir ces fonctions avec plus de promptitude, et à moins de frais que les tribunaux; mais les main-levées appartiennent évidemment au pouvoir de juger : les formalités d'envoi en possession, la discussion des généalogies, de la qualité des preuves écrites ou testimoniales, les questions d'état qui peuvent s'y mêler, sont autant du ressort de l'ordre judiciaire qu'elles le sont peu de l'ordre administratif.

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Cependant, comme il peut se présenter dans les tribunaux des personnes dénuées de titres, comme des hommes étrangers aux familles peuvent, par une ressemblance gratuite de nom, ou par une communication frauduleuse de titres, induire les tribunaux en erreur, il est nécessaire de leur donner un surveillant de plus, un second contradicteur public, dont l'institution spéciale soit de déjouer l'artifice de ces usurpa-. teurs qui, déguisés sous le masque d'héritier, avaient si souvent trompé la justice des tribunaux et la surveillance du ministère public.

>> Sans doute le commissaire du roi sera entendu dans chacune des demandes formées en restitution de biens; mais l'administration nationale ayant dans son ressort les biens des Français fugitifs et les biens confisqués, surveillant par une protection particulière les tristes débris de leur patrimoine, c'est au ministre actif de cette administration à les défendre contre des prétentions insidieuses.

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Quant au genre de preuves, nous avons pensé que l'insuffisance des titres écrits pouvait être suppléée par des preuves testimoniales, même de comme renommée; et s'il s'élevait des doutes sur cette disposition, je vous dirais, messeiurs, reportez-vous un instant vers ces temps malheureux où des lois superstitieuses et sanguinaires tyrannisaient les consciences, flétrissaient des familles entières, érigeaient en crime le droit imprescriptible et naturel d'émigration, et adjugeaient à des délateurs, à des fanatiques, les biens et jusqu'aux vêtemens mêmes des émigrans surpris ou arrêtés dans leur fuite! (1)

(1) Ordonnance du roi, du 26 avril 1686, contre les religionnaires

fugitifs.

« Sa Majesté, étant informée qu'au préjudice des défenses qu'elle a faites, par les dix articles de son édit du mois d'octobre dernier, à tous ses sujets de la religion prétendue réformée de sortir de son royaume, pays et terres de son obéissance, sous les peines y contenues, plusieurs desdits de la religion prétendue réformée, et même des nouveaux convertis, ne laissent pas de se retirer dans les pays étrangers, et voulant empêcher la suite de cette désobéissance, et favorablement traiter ceux qui les arrêteront; Sa Majesté a ordonné et ordonne que lorsque lesdits religionnaires et nouveaux convertis seront arrêtés par les corpsde-garde qui sont établis, par ordre de Sa Majesté, le long des côtes du royaume, les hardes et effets qui se trouveront sur eux et à leur suite soient distribués à ceux qui composeront lesdits corps-de-garde, et que lorsqu'ils seront arrêtés par d'autres le tiers desdites hardes et effets soit adjugé à ceux qui auront fait la capture. Veut pareillement, Sa Majesté, qu'il soit adjugé un pareil tiers desdites hardes et effets à ceux qui donneront avis aux commandans desdits corps-de-gårde de la fuite desdits religionnaires et nouveaux convertis, et qui donneront les moyens de les arrêtér dans leur évasion ; auquel cas les deux tiers seulement appartiendront à ceux qui composeront lesdits corps-de-garde.... » Fait à Versailles, etc. »

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» Quels titres ont pu emporter ces malheureux ? et quelles preuves, quels papiers de famille pouvaient accompagner ces êtres qui ne cherchent qu'à échapper à des lois de proscription? Quelles précautions pouvez-vous supposer à des hommes qui ne pouvaient ni naître, ni se marier, ni vivre, ni'mourir sous les formes prescrites par les lois? Sans profession civile, quoique citoyens; sans épouses, quoique mariés; sans héritiers, quoique pères, comment se seraient-ils occupés à recueillir, à conserver ces pactes d'union, ces titres héréditaires, ces transactions sociales que conservent à peine des familles heureuses?

»Non, messieurs, ces fugitifs infortunés n'ont laissé aucunes traces sur les sables brûlans d'une patrie qui dévorait ses enfans; et le temps est venu ajouter ses ravages à ceux des persécutions religieuses...... Vous détruisez d'ailleurs les dangers d'une trop grande latitude donnée aux preuves, en enchaînant pendant cinq années les biens restitués dans les mains des demandeurs, et en les chargeant pendant ce temps de s'en dessaisir ou de les partager s'il se présentait des parens plus proches, des parens à égal degré, ou des familles dont les titres démasqueraient l'imposteur qui aurait trompé les tribunaux et l'administration publique.

>> En s'occupant des héritages des religionnaires fugitifs le législateur ne doit point perdre de vue l'intérêt des citoyens qui ont amélioré leur patrimoine, et qui ont traité sur ce point, avec l'ancien gouvernement, sous le nom de baillistes. Nous avons cru qu'il était juste de maintenir, quant à eux, l'effet des baux pour ce qui touche aux réparations et améliorations des biens à restituer.

>> Une autre classe d'hommes doit attirer les regards de l'Assemblée; ce sont les tiers-acquéreurs. Ici la société se présente devant le législateur, et réclame la sauve-garde de la loi pour le repos des familles, pour la foi des contrats, pour la tranquillité sociale, pour la sûreté de l'échelle des conven

tions.

» Mais en conservant la propriété des acquéreurs légitimes vous dépouillerez ces vils dénonciateurs qui se sont partagés une partie des dépouilles des fugitifs sous l'infâme titre d'es

pionnage et de dénonciation; ces hommes qui n'ont pas entendu la voix, je ne dis pas de l'humanité, mais celle de l'honneur, qui a formé nos mœurs dans les siècles les plus barbares, et qui a si justement flétri l'esprit de délation comme une làcheté, ne méritent de vous aucun égard: il ne faut pas qu'il existe parmi nous des traces d'une loi aussi honteuse (1), et vous ferez cesser par votre décret ces jouissances scandaleuses.

» Ce n'est pas le seul abus qui soit né de cette source impure de la confiscation des biens des protestans; du moins l'ancien gouvernement n'avait donné pour prix de la délation qu'un usufruit très-court; mais les ministres avaient autrement abusé de ces biens: c'est la propriété même qu'ils ont transportée sur la tête de quelques intrigans, de quelques hommes favorisés, et étrangers aux familles. Le comité a pensé que de pareils dons devaient être révoqués, sans que les brévetaires ou donataires pussent se prévaloir de la prescription, parce qu'on ne peut jamais prescrire une possession originairement vicieuse, et dont le titre abusif est connu ou représenté, » Le gouvernement, par ces donations illégales, avait

(1) a Peut-être croira-t-on difficilement qu'il a existé en France deux lois aussi étranges.

» La première est une déclaration du roi, du 20 août 1685, portant: « Si aucuns de la religion prétendue réformée, qui viennent à sortir » du royaume sans notre permission, et en dérobent la connaissance aux › juges ordinaires des lieux, ceux qui les découvriront et dénonceront > auxdits juges seront mis en possession de la moitié des fonds qu'ils » auront dénoncés dans le pays où la confiscation a lieu, et, où elle n'a » pas lieu, que la moitié des fruits et revenus des biens découverts leur » soient donnés, leur en faisant don dès à présent, nonobstant ce qui » pourrait être opposé au contraire de la part des parens et héritiers.>>

» La deuxième est un édit du mois de janvier 1688, portant ces paroles :

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« Voulons que ceux qui découvriront, dans six mois du jour de l'édit, > des biens des consistoires, ceux des ministres et des fugitifs, cachés ou recélés, tant en meubles qu'immeubles, il soit donné moitié de » la valeur des meubles, et à l'égard des immeubles ils jouiront, » pendant dix années, de la moitié des revenus d'iceux, pleinement et » paisiblement. (Note du Rapporteur.).

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commis une sorte de sacrilége politique, dont les donataires sont encore aujourd'hui les complices. Le gouvernement, qui était le dépositaire et le conservateur de ces biens, a violé son dépôt en faveur du brévetaire, qui n'avait dû ni pu le demander ni recevoir; et loin que le temps ait consacré cette inique possession, elle est odieuse en proportion de sa durée. Tant que la cause de la détention subsiste, elle est un témoin continuel qui s'élève contre l'infidélité du gouvernement prodigue et du brévetaire usurpateur; c'est une voix éclatante, qui interrompt sans cesse le cours de la prescription.

» Ici le législateur se trouve placé entre deux devoirs également rigoureux, celui d'écarter les anciens prétextes de retenir les biens des fugitifs, et celui de respecter les droits des possesseurs, quand pour les dépouiller il faudrait livrer la société à d'odieuses recherches, ouvrir un vaste champ aux contestations judiciaires, et se jouer de la foi des contrats c'est alors que le législateur doit sacrifier, à la faveur de la prescription, les droits des anciens propriétaires, depuis longtemps dépouillés. Non, le vice de la possession ne passe ni à l'héritier ni au tiers-acquéreur, quand il ne l'est devenu que par le vice de la loi. Quelle doit être alors la marche de la législation? C'est d'abolir la mauvaise loi pour l'avenir; c'est aussi, en gémissant sur les maux passés, qui seraient irréparables autrement que par de plus grands maux, de faire cesser ceux qui peuvent finir sans injustice, sans désordre et sans secousse politique.

>> Nous n'avons parlé jusqu'à présent que des dons, des concessions, des brevets consentis en faveur d'étrangers : il en est de moins odieux, de moins défavorables; ce sont ceux qui ont été accordés à des parens quelconques des fugitifs, à la charge de rendre à des parens plus proches, s'il s'en présentait : pour ceux-là nous avons cru qu'ayant une raison de posséder, ils ne devaient être assujétis qu'à la réclamnation dans les cinq ans du jour du décret, à moins qu'ils ne pussent opposer la force de la chose jugée, qui, comme la prescription, est le terme que tous les législateurs opposent aux contestations et aux actions civiles.

Enfin, le comité a prévu que les suites inévitables des

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