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RESTITUTION DES BIENS CONFISQUÉS POUR CAUSE DE

RELIGION.

Solliciter de l'Assemblée nationale un acte de justice ou d'humanité, c'était l'avoir obtenu. Dans la séance du 10 juillet 1790 M. Marsanne-Font-Julianne proposa, et l'Assemblée adopta sans discussion, le décret qui fait l'objet du rapport suivant :

Rapport fait au nom du comité des domaines, par Bertrand Barrère. (Séance du 9 décembre 1790.)

« Messieurs, je viens, après cent ans d'une législation impolitique et cruelle, porter aux représentans d'une nation juste et libre les réclamations d'un grand nombre de familles malheureuses. Depuis longtemps l'opinion publique réclamait du gouvernement français, en faveur des protestans, un grand acte de justice; mais l'avarice et la dureté du despotisme l'ont toujours retardé il a donc fallu attendre le moment solennel de la justice nationale pour restituer aux descendans infortunés des protestans tous les biens qu'avaient usurpés sur ces familles les erreurs politiques et l'intolérance religieuse.

» Vous avez décrété, le 10 juillet dernier, « que les biens » des non catholiques qui se trouvent encore aujourd'hui » entre les mains des régisseurs leur seront rendus, ainsi qu'à » leurs héritiers, à la charge par eux d'en justifier aux termes » et selon les formes que l'Assemblée nationale aura décrétés après avoir entendu l'avis de son comité des domaines. » >>> C'est en exécution de ce décret juste, qui a retenti dans toute l'Europe, que le comité des domaines vient vous rappeler aujourd'hui quelques faits, et vous présenter les moyens de restitution de ces biens aux victimes infortunées du fanatisme et de la fiscalité.

>>

» Je ne vous retracerai pas le tableau honteux de ces lois absurdes et tyranniques qui ont déshonoré les derniers temps de notre histoire; je ne vous retracerai pas les persécutions qui ont été la suite déplorable de ces erreurs : c'est à l'inexorable histoire qu'appartiennent les détails de ce règne bril

lant et désastreux que les lettres et les arts ont trop flatté : une simple esquisse de ces persécutions suffira pour vous montrer la justice du décret que vous allez rendre ; je vous en développerai ensuite les dispositions.

PREMIERE PARTIE.

» La première émigration qui a produit la régie que vous allez détruire a commencé en 1666. Colbert en a arrêté les funestes effets, en faisant rendre aux protestans les droits dont on voulait alors les dépouiller : mais après son ministère les lois tyranniques reprennent leur empire, l'émigration se renouvelle en 1681; des colons laborieux, des artistes intelligens, des commerçans actifs portent dans les royaumes étrangers leurs talens, leurs fortunes et leurs ressentimens : elle est un instant suspendue par les disgrâces de Marillac.

» Ici se présente une opération devenue malheureusement trop célèbre par les désastres et les scandales qu'elle a produits; opération qui fait encore horreur à l'Europe, et qui a rempli les pays étrangers de nos frères maudissant le gouvernement français. La révocation de l'édit de Nantes et les dragonades mettent le comble à cette grande désertion, qui affaiblit à la fois nos armées et notre marine, qui dé peuple nos manufactures, qui ruine notre commerce, nos finances

et nos arts.

» Alors des jurisconsultes barbares et des ministres cruels, traitant de crime dé lèse-nation le droit d'émigrer, qui appartient à l'homme partout où il ne se trouve pas heureux et tranquille, pensèrent que tous les biens des fugitifs devaient être confisqués au profit du roi; et la loi de 1689 fut publiée.

>> Cette loi réunissait au domaine les biens des fugitifs par une confiscation monstrueuse. Bientôt le législateur rougit de la rapacité de sa loi; un zèle de religion lui parut un prétexte honteux de s'approprier la dépouille des protestans; et, pour se faire pardonner cette iniquité, il se dessaisit de sa proie pour l'employer à des œuvres pieuses.

» A ce titre une partie des biens fut donnée à de nouveaux convertis, pour animer, disait-on, leur ferveur; une

autre partie enrichit des protégés secrets (abus inévitable. dans la corruption des cours); ce qui restait fut mis entre les mains des fermiers et des régisseurs, en attendant que le gouvernement déterminât l'emploi qu'en ferait la pieuse intention des ministres.

>> Le nombre des fugitifs augmentant chaque jour, en raison de la rigueur des lois, le fisc se trouva, dès l'année 1689, possesseur des héritages de plus de cent mille citoyens : une simple dénonciation sans jugement avait suffi pour envahir tant de fortunes particulières.

» Il fut un instant où l'on vit le conseil adoucir ses maximes, et rendre les biens à certains héritiers légitimes; mais la loi imparfaite de 1689 trompa l'attente des protėstans, et, conservant dans la tolérance même un esprit de persécution, détermina la fuite de ceux que l'espérance et l'amour de leur pays avaient retenus jusqu'alors.

» Une émigration semblable suivit l'horrible loi de 1715, qui contraignit aux actes de notre foi ceux mêmes qui s'étaient refusés à une abjuration; de simples régisseurs de leurs biens s'érigèrent en inquisiteurs de la foi, et la cupidité fiscale surpassa cette fois la haine fanatique.

» On eût dit, s'écrie un de nos historiens (1), que ces malheureux n'étaient échappés des mains des dragons et des moines que pour retomber dans celles des traitans. Ils veillaient sur la communion pascale; il avaient fait de toute pratique de calvinisme une espèce de contrebande; ils s'intitulaient, par une perfide équivoque : commis à la séquestration des biens des religionnaires fugitifs et de ceux qui ne font pas leur devoir de la religion catholique. A la faveur du double sens renfermé dans ce titre qu'ils se donnaient, l'arbitraire s'établit dans les décisions à un tel point que les. intendans surpassèrent dans l'exécution la rigueur des édits, et mirent souvent leur avis personnel à la place de la loi.

» Nous finirons le tableau de ces horreurs politiques et fiscales, qui ont eu malheureusement la durée d'un siècle

(1) M. Rullière, dans ses éclaircissemens sur les causes de la révocation de l'édit de Nantes.

entier, en rapportant un trait odieux d'avidité des horribles régies dont je viens de parler; c'est le même historien qui nous l'apprend.

» Dans un grand nombre de familles on craignait de se conformer aux règles prescrites pour l'enregistrement des décès; les parens des morts les enterraient en secret, et pendant la nuit, dans leurs propres maisons, sans faire inscrire les décès sur aucun registre public.

» Aussitôt les régisseurs et les fermiers, aussi avides de la dépouille des morts que de celle des fugitifs, firent saisir les biens de tous ceux qui avaient disparu, prétendant qu'ils avaient fui, et s'emparèrent sous ce prétextes des successions, que n'osait leur disputer une famille embarrassée de sa propre défense.

» Il est vrai que le gouvernement, instruit de ce nouveau genre de persécution, donna les ordres les plus sages pour en imposer à la voracité des régisseurs, et qu'il établit sur ce point une tolérance beaucoup plus étendue que celle des édits.

>> Le commencement du règne de Louis XV présente des vexations d'un autre genre; elles vinrent des traitans attentifs à grossir le produit de leurs baux. Ils imaginèrent cette fausse interprétation de nos lois sur les mariages, qui augmenta le nombre des familles malheureuses. Les fermiers cherchèrent à joindre aux biens qu'ils administraient ceux que, dans leur langage, ils appelaient des biens de nouvelles découvertes; ils élevèrent des contestations au sujet de la légitimité des successions en ligne directe, et par conséquent de la légitimité des mariages. La première question de ce genre, dit M. Rullière, fut présentée au conseil du roi dix-huit mois après la mort de Louis XIV, le 16 février 1717, pour une succession demandée comme vacante à titre de déshérence, parce que, disait le fermier, celle qui se prétend héritière n'étant point née d'un mariage légitime et célébré dans les formes, est incapable de succession dans le royaume.

>> Pour cette fois le conseil du roi rejeta cette demande, révoqua la confiscation de l'héritage précédemment accordé par surprise, et déclara que toutes les lettres patentes nécessaires

à l'héritière née d'un pareil mariage lui seraient expédiées, pour être remise en possession de sa fortune.

» Mais bientôt parut cette compilation législative de 1724, encore plus absurde que tyrannique, qui ordonna des contraintes sacriléges et des épreuves superstitieuses.

» Enfin l'on vit cette dernière persécution, dans laquelle les tribunaux, le gouvernement et des ministres de l'église se réunirent pour faire exécuter des lois inexécutables: des citoyens, pour les avoir transgressées, furent envoyés aux galères, et leurs biens confisqués.

» A ces vexations judiciaires se joignirent les persécutions dévorantes du fisc.

» Heureusement Louis XV, sur la fin de son règne, introduisit une jurisprudence douce et raisonnable, rappela par de nombreuses main-levées des familles expatriées, et fit perdre à la régie cette manie fiscale de conquêtes, ou plutôt d'usurpations, qui l'avait trop longtemps déshonorée... Il existe aujourd'hui des biens de cette régie produisant environ 110,000 livres de revenu.

» Vous devez, messieurs, effacer les traces du régime désastreux qui a formé et entretenu cette régie. Jetons donc un voile sur les funestes erreurs de la politique, sur les noirs projets du fanatisme, sur les réglemens absurdes qui ont prostitué pendant cent ans le nom sacré des lois; ne nous oceupons aujourd'hui que de bienfaisance et de justice envers les héritiers et les descendans de ces Français trop longtemps malheureux.

SECONDE PARTIE.

» Il est facile de saisir les motifs qui ont dirigé le comité dans la rédaction des dispositions principales du projet de décret soumis à votre délibération. D'abord, en appelant les descendans des protestans à recueillir les biens de leurs pères, vous avez dû borner ce bienfait aux parens, aux héritiers légitimes et naturels leurs créanciers, leurs ayans-cause ne doivent pas partager ce bienfait, ou plutôt participer à cet acte de justice, parce qu'ils viendraient bientôt empoisonner la société par des procès nombreux et des contestations vexa

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