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dont je connais toute l'importance; mais, j'en ai la persuasion, ils auront assez de générosité pour chercher un dédommagement dans tous les avantages publics dont l'établissement des assemblées nationales présente l'espérance..

» J'aurais bien aussi des pertes à compter, si, au milieu des plus grands intérêts de l'Etat, je m'arrêtais à des calculs personnels; mais je trouve une compensation qui me suffit, nne compensation pleine et entière, dans l'accroissement du bonheur de la nation; et c'est du fond de mon cœur que j'exprime ici ce sentiment.

» Je défendrai donc, je maintiendrai la liberté constitutionnelle, dont le vœu général, d'accord avec le mien, a consacré les principes. Je ferai davantage, et, de concert avec la reine, qui partage tous mes sentimens, je préparerai de bonne heure l'esprit et le cœur de mon fils au nouvel ordre de choses que les circonstances ont amené. Je l'habituerai dès ses premiers ans à être heureux du bonheur des Français, et à reconnaître toujours, malgré le langage des flatteurs, qu'une sage constitution le préservera des dangers de l'inexpérience, et qu'une juste liberté ajoute un nouveau prix aux sentimens d'amour et de fidélité dont la nation, depuis tant de siècles, donne à ses rois des preuves si touchantes.

» Je ne dois point le mettre en doute; en achevant votre ouvrage vous vous occuperez sûrement avec sagesse et avec candeur de l'affermissement du pouvoir exécutif, cette condition sans laquelle il ne saurait exister aucun ordre durable au dedans ni aucune considération au dehors. Nulle défiance ne peut raisonnablement vous rester; ainsi il est de votre devoir, comme citoyens et comme fidèles représentans de la nation, d'assurer au bien de l'Etat et à la liberté publique cette stabilité qui ne peut dériver que d'une autorité active et tutélaire. Vous aurez sûrement présent à l'esprit que, sans une telle autorité, toutes les parties de votre système de constitution resteraient à la fois sans lien et sans correspondance; et en vous occupant de la liberté que vous aimez, et que j'aime aussi, vous ne perdrez pas de vue que le désordre en administration, en amenant la confusion des pouvoirs, dégénère souvent, par d'aveugles violences, dans

la plus dangereuse et la plus alarmante de toutes les tyrannies.

» Ainsi, non pas pour moi, messieurs, qui ne compte point ce qui m'est personnel près des lois et des institutions qui doivent régler le destin de l'empire, mais pour le bonheur même de notre patrie, pour sa prospérité, pour sa puissance, je vous invite à vous affranchir de toutes les impressions du moment qui pourraient vous détourner de considérer dans son ensemble ce qu'exige un royaume tel que la France, et par sa vaste étendue, et par son immense population, et par ses relations inévitables au dehors.

» Vous ne négligerez point non plus de fixer votre attention sur ce qu'exigent encore des législateurs les mœurs, le caractère et les habitudes d'une nation devenue trop célèbre en Europe par la nature de son esprit et de son génie, pour qu'il puisse paraître indifférent d'entretenir ou d'altérer en elle les sentimens de douceur, de confiance et de bonté qui lui ont valu tant de renommée.

» Donnez-lui l'exemple aussi de cet esprit de justice qui sert de sauvegarde à la propriété, à ce droit respecté de toutes les nations, qui n'est pas l'ouvrage du hasard, qui ne dérive point des priviléges d'opinion, mais qui se lie étroitement aux rapports les plus essentiels de l'ordre public et aux premières conditions de l'harmonie sociale.

» Par quelle fatalité, lorsque le calme commençait à renaître, de nouvelles inquiétudes se sont-elles répandues dans les provinces! Par quelle fatalité s'y livre-t-on à de nouveaux excès! Joignez-vous à moi pour les arrêter, et empêchons de tous nos efforts que des violences criminelles ne viennent souiller ces jours où le bonheur de la nation se prépare. Vous qui pouvez influer par tant de moyens sur la confiance publique, éclairez sur ses véritables intérêts le peuple qu'on égare, ce bon peuple qui m'est si cher, et dont on m'assure que je suis aimé quand on veut me consoler de mes peines. Ah! s'il savait à quel point je suis malheureux à la nouvelle d'un attentat contre les fortunes, ou d'un acte de violence contre les personnes, peut-être il m'épargnerait cette douloureuse

amertume!

» Je ne puis vous entretenir des grands intérêts de l'État sans vous presser de vous occuper, d'une manière instante et définitive, de tout ce qui tient au rétablissement de l'ordre dans les finances, et à la tranquillité de la multitude innombrable de citoyens qui sont unis par quelque lien à la fortune publique.

» Il est temps d'apaiser toutes les inquiétudes; il est temps de rendre à ce royaume la force de crédit à laquelle il a droit de prétendre. Vous ne pouvez pas tout entreprendre à la fois; aussi je vous invite à réserver pour d'autres temps une partie des biens dont la réunion de vos lumières vous présente le tableau ; mais quand vous aurez ajouté à ce que vous avez déjà fait un plan sage et raisonnable pour l'exercice de la justice, quand vous aurez assuré les bases d'un équilibre parfait entre les revenus et les dépenses de l'Etat ; enfin, quand vous aurez achevé l'ouvrage de la constitution, vous aurez acquis de grands droits à la reconnaissance publique; et, dans la continuation successive des assemblées nationales, continuation fondée dorénavant sur cette constitution même, il n'y aura plus qu'à ajouter d'année en année de nouveaux moyens de prospérité. Puisse cette journée, où votre monarque vient s'unir à vous de la manière la plus franche et la plus intime, être une époque mémorable dans l'histoire de cet empire! Elle le sera, je l'espère, si mes vœux ardens, si mes instantes exhortations peuvent être un signal de paix et de rapprochement entre vous. Que ceux qui s'éloigneraient encore d'un esprit de concorde devenu si nécessaire me fassent le sacrifice de tous les souvenirs qui les affligent; je les paierai par ma reconnaissance et mon affection.

»Ne professons tous, à compter de ce jour, ne professons tous, je vous en donne l'exemple, qu'une seule opinion, qu'un seul intérêt, qu'une seule volonté, l'attachement à la constitution nouvelle, et le désir ardent de la paix, du bonheur et de la prospérité de la France! »

Des applaudissemens avaient interrompu plusieurs fois ce discours; lorsqu'il fut achevé il y en eut une explosion

générale. Le président suspendit ces marques de la satisfaction publique en adressant ainsi la parole au roi :

« SIRE, l'Assemblée nationale voit avec la plus vive reconnaissance, mais sans étonnement, la conduite confiante et paternelle de Votre Majesté. Négligeant l'appareil et le faste du trône, vous avez senti, Sire, que pour convaincre tous les esprits et pour entraîner tous les cœurs il suffisait de vous montrer dans la simplicité de vos vertus; et lorsque Votre Majesté vient au milieu des représentans de la nation contracter avec eux l'engagement d'aimer, de maintenir et de défendre la constitution et les lois, je ne risquerai pas, Sire, d'affaiblir, en voulant les peindre, les témoignages de la gratitude, du respect et de l'amour que la France doit au patriotisme de son roi, mais j'en abandonne l'expression au sentiment sûr qui dans cette circonstance saura bien lui seul inspirer les Français.

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Le roi se retira, salué de nouveau par les acclamations unanimes de l'Assemblée et des tribunes. Une nombreuse députation l'accompagna jusqu'au château.

L'Assemblée ayant repris ses délibérations, M. Goupil de Préfeln fit une motion qui réunit sur le champ tous les suffrages. M. Goupil de Préfeln pensait que le moment où la constitution venait de recevoir l'acceptation la plus solennelle du monarque était celui de prononcer le serment civique qui lie tout Français à cette constitution. On avait d'abord décidé que tous les députés feraient à la fois ce serment; mais M. le vicomte de Noailles fit observer qu'il serait en quelque sorte plus senti, plus sacré, plus religieux, si chaque député appelé par son nom le prononçait seul devant toute l'Assemblée. On adopta l'appel nominal, et le président proclama la formule ci-après :

« Je jure d'être fidèle à la nation, à la loi, au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi. >>

M. Bureaux de Pusy, président, suivit en cette cir

constance l'exemple donné par l'illustre Bailly dans la célèbre séance du Jeu de Paume:

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Messieurs, dit-il, vous savez combien est auguste et sainte la cérémonie qui va se faire ici. J'ai l'avantage de présider vos travaux : j'espère que vous ne me refuserez pas l'honneur de prêter le premier le serment civique. »

Après M. le président, tous les membres montèrent successivement à la tribune pour y prêter le même serment, qui se bornait à ces mots : Je le jure. Un seul des députés présens, M. l'évêque de Perpignan, parut vouloir y apporter quelque restriction: Oui ou non, monsieur, lui dit le président :- Hé bien, oui, je le jure, reprit M. l'évêque. Quant à M. l'abbé de Montesquiou, il provoqua les applaudissemens de l'Assemblée en ajoutant : « Et je promets de plus de donner l'exemple, et de concourir autant qu'il sera en moi à éteindre tout sentiment de division, s'il était vrai qu'il en existât encore dans cette Assemblée. » Lorsque vint le tour de MM. Bailly et de La Fayette un bouillant enthousiasme s'empara de tous les esprits, de tous les cœurs; les voûtes retentirent; on confondit le présent avec le passé pour leur témoigner les sentimens d'admiration et de reconnaissance que leur portait la France, et même le monde entier.

Les suppléans, les députés du commerce, les députés extraordinaires des villes et des communes, réclamérent et obtinrent l'honneur d'être admis à prêter le serment civique. Bientôt après hommes, femmes, enfans, qui remplissaient en foule les tribunes et les amphithéâtres, se levèrent pour prendre part à cette auguste et imposante cérémonie; l'Assemblée nationale consentit à recevoir le serment général, et des milliers de voix répétèrent en chœur ces mots : Je le jure!

Il ne manquait à ce beau spectacle que la présence du prince qui en était l'auteur : le roi, en venant encourager les travaux de l'Assemblée, en les marquant du sceau de son approbation, avait pour ainsi dire contracté un

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