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que le comité des recherches en est instruit; qu'on publie que l'on en viendra à bout avec cinquante mille hommes; que Rouen est l'endroit où l'on voudrait le placer sous la protection du parlement; quand une réponse du roi, que tout bon français aurait voulu oublier, se trouve dans le préambule du décret proposé par M. Duval, vous craindriez encore de donner du ridicule à ce membre! Les espérances de nos ennemis sont plus fortes que jamais; nous n'avons pas un moment à perdre ; le péril est extrême; il faut la coalition de tous les bons citoyens.

»

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La discussion continue quelques instans: MM. Maury et Cazalès demandent que M. Duval soit entendu pour justifier. M. Duval paraît à la tribune; mais les murmures et les éclats de rire l'empêchent de se faire entendre. Un membre opine pour qu'il soit conduit en prison. M. Mirabeau l'aîné (le comte) rappelle et appuie la motion de M. Alexandre Lameth; et cette motion, mise aux voix et aussitôt adoptée à une grande majorité, forme le décret suivant (29 septembre 1790):

« L'Assemblée nationale ayant, pour prouver la liberté la plus entière des opinions, entendu dans son entier la lecture d'un projet de décret de M. Duval, (d'Espréménil), et considérant ce projet comme le produit d'une imagination en délire, décrète de passer à l'ordre du jour.»

REMPLACEMENT DU PAVILLON BLANC PAR LE PAVILLON TRICOLOR.

Discours de Mirabeau l'aîné. (Séance du 21 octobre 1790.)

La tranquillité publiqué était généralement troublée; la plus coupable insubordination se manifestait dans les armées de terre et de mer. Au milieu de ces désordres le pouvoir exécutif ne déployait aucun des moyens mis à sa disposition : l'Assemblée chargea ses comités diplomatique, colonial, militaire et de la marine, de lui faire un rapport sur çes affligeantes circonstances. Ces quatre comités réunis

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proposèrent un décret portant, entr'autres dispositions, que le pavillon blanc serait remplacé par le pavillon tricolor: c'est ce seul point qui nous arrêtera. La discussion dont il devint l'objet fut une des plus orageuses; mais les opposans au projet du comi1é n'ayant répondu à ses partisaus que par des cris, par des injures (1), nous sommes dispensés de rappeler les débats; nous nous bornons donc au discours suivant de Mirabeau :

<< Aux premiers mots proférés dans cet étrange débat j'ai ressenti les bouillons du patriotisme jusqu'au plus violent emportement....

(Le côté gauche applaudit: quelques membres du côté droit se prennent à rire; l'orateur leur adresse cette apostrophe:) » Messieurs, donnez-moi quelques momens d'attention ; je vous jure qu'avant que j'aie cessé de parler vous ne serez pas tentés de rire !...

» Mais bientôt j'ai réprimé ces justes mouvemens pour me livrer à une observation vraiment curieuse, et qui mérite toute l'attention de l'Assemblée; je veux parler du genre de présomption qui a pu permettre d'oser présenter ici la question qui nous agite, et sur l'admission de laquelle il n'était pas même permis de délibérer. Tout le monde sait quelles crises terribles ont occasionnées de coupables insultes aux couleurs nationales! Tout le monde sait quelles ont été en diverses occasions les funestes suites du mépris que quelques individus ont osé lui montrer! Tout le monde sait avec quelle félicitation mutuelle la nation entière s'est complimentée quand le monarque a ordonné aux troupes de porter, et a porté lui-même, ces couleurs glorieuses, ce signe de ralliement de tous les amis, de tous les enfans de la liberté, de tous les défenseurs de la constitution! Tout le monde sait qu'il y a peu de mois, il y a peu de semaines, le téméraire qui eût osé montrer quelque dédain pour cette enseigne du patriotisme eût payé ce crime de sa tête !...

(1) Un député, M. Guilhermy, convaincu d'avoir appelé Mirabeau scélérat et assassin, fut condamné par l'Assemblée à garder trois jours : les arrêts.

(De violens murmures s'élèvent dans la partie droite; l'autre partie de la salle retentit de bravos et d'applaudissemens.)

» Et lorsque vos comités réunis, ne se dissimulant pas les nouveaux arrêtés que peut exiger la mesure qu'ils vous proposent; ne se dissimulant pas que le changement de pavillon, soit dans sa forme, soit dans les mesures secondaires qui seront indispensables pour assortir les couleurs nouvelles aux divers signaux qu'exigent les évolutions navales; méprisant, il est vrai, la futile objection de la dépense, on a objecté la dépense, comme si la nation, si longtemps victime des profusions du despotisme, pouvait regretter le prix des livrées de la liberté! comme s'il fallait penser à la dépense des nouveaux pavillons, sans en rapprocher ce que cette consommation nouvelle versera de richesses dans le commerce des toiles et jusques dans les mains des cultivateurs du chanvre et d'une multitude d'ouvriers! Lorsque vos comités réunis, très-bien instruits que de tels détails sont de simples mesures d'administration qui n'appartiennent pas à cette Assemblée, et ne doivent pas consumer son temps; lorsque vos comités réunis, frappés de cette remarquable et touchante invocation des couleurs nationales, présentée par des matelots dont on fait avec tant de plaisir retentir les désordres, en en taisant les véritables causes pour peu qu'elles puissent sembler excusables; lors que vos comités réunis ont eu cette belle et profonde idée de donner aux matelots comme un signe d'adoption de la patrie, comme un appel à leur dévouement, comme une récompense de leur retour à la discipline, le pavillon national, et vous proposent en conséquence une mesure qui au fond n'avait pas besoin d'être demandée ni décrétée, puisque le directeur du pouvoir exécutif, le chef suprême des forces de la nation avait déjà ordonné que les trois couleurs fussent le signe national!...

» Hé bien, parce que je ne sais quel succès d'une tactique frauduleuse dans la séance d'hier a gonflé les cœurs contrerévolutionnaires, en vingt-quatre heures, en une nuit toutes les idées sont tellement subverties, tous les principes sont tellement dénaturés, on méconnaît tellement l'esprit public,

qu'on ose dire à vous-mêmes, à la face du peuple qui nous entend, qu'il est des préjugés antiques qu'il faut respecter, comme si votre gloire et la sienne n'étaient pas de les voir anéantis ces préjugés qu'on réclame! qu'il est indigne de l'Assemblée nationale de tenir à de telles bagatelles, comme si la langue des signes n'était pas partout le mobile le plus puissant pour les hommes, le premier ressort des patriotes et des conspirateurs, pour le succès de leur fédération ou de leurs complots! On ose, en un mot, vous tenir froidement un langage qui, bien analisé, dit précisément : nous nous croyons assez forts pour arborer la couleur blanche, c'est à dire la couleur de la contre-révolution....

(Murmures violens de la partie droite; les applaudissemens de la gauche sont unanimes.)

à la place des odieuses couleurs de la liberté! Cette observation est curieuse sans doute; mais son résultat n'est pas effrayant. Certes, ils ont trop présumé.... (Au côté droit:) Croyez-moi, ne vous endormez pas dans une si périlleuse sécurité, car le réveil serait prompt et terrible!...oop

(Au milieu des applaudissemens et des murmures on entend ces mots : c'est le langage d'un factieux.)

>> Calmez-vous, car cette imputation doit être l'objet d'une controverse régulière; nous sommes contraires en faits; vous dites que je tiens le langage d'un factieux... (Plusieurs voix de la droite: oui! oui!)

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» Monsieur le président, je demande un jugement, et je pose le fait.... ( Nouveaux murmures.) Je prétends moi qu'il est, je ne dis pas irrespectueux, je ne dis pas inconstitutionnel, je dis profondément criminel de mettre en question si une couleur destinée à nos flottes peut être différente de celle que l'Assemblée nationale a consacrée, que lá nation; que le roi ont adoptée, peut être une couleur suspecte et proscrite! Je prétends que les véritables factieux, les vérita bles conspirateurs sont ceux qui parlent des préjugés qu'il faut ménager, en rappelant nos antiques erreurs et les malheurs de notre honteux esclavage! (Applaudissemens.).

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Non, messieurs, non! leur sotte présomption sera déçue;

leurs sinistres présages, leurs hurlemens blasphémateurs seront vains! Elles vogueront sur les mers les couleurs nationales! elles obtiendront le respect de toutes les contrées, non comme le signe des combats et de la victoire, mais comme celui de la sainte confraternité des amis de la liberté sur toute la terre, et comme la terreur des conspirateurs et des tyrans!...

» Je demande que la mesure générale comprise dans le décret soit adoptée; qu'il soit fait droit sur la proposition de M. Chapelier concernant les mesures ultérieures, et que les matelots à bord des vaisseaux le matin et le soir, et dans toutes les occasions importantes, au lieu du cri accoutumé et trois fois répété de vive le roi, disent: vive la nation, la loi et le roi! »

La majorité salua ce discours par les applaudissemens de l'enthousiasme, et le décret suivant fut proclamé ( 21 octobre 1790):

« L'Assemblée nationale, etc.,.

» Décrète que le pavillon de France portera désormais les trois couleurs nationales, suivant les dispositions et la forme que l'Assemblée charge son comité de la marine de lui proposer; mais que ce nouveau pavillon ne pourra être arboré sur l'escadre qu'au moment où les équipages seront rentrés dans la plus parfaite subordination.

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» Décrète en outre qu'au simple cri de vive le roi, à bord des vaisseaux le matin et le soir, et dans toutes les occasions importantes, sera substitué celui de vive la nation, la loi et le roi! »

Nota. Le 12 juillet 1789, lorsqu'on apprit à Paris la disgrâce des ministres et les projets formés contre l'Assemblée nationale, les patriotes adoptèrent la cocarde verte pour signe de ralliement; mais on s'aperçut aussitôt que cette couleur, étant celle d'un prince de la famille royale, pouvait offrir l'idée d'un parti, et l'on s'empressa de la sup primer. Le lendemain 13 un arrêté du comité de la ville (signé de Flesselles, prévôt des marchands), prescrivit aux citoyens armés les couleurs de la ville de Paris, rouge et bleu. Après la prise de la Bastille on y joignit le blanc en signe d'union, et le 17 du même mois ces trois couleurs réunies furent adoptées par Louis XVI, qui en décora luimême son chapeau devant le peuple assemblé sur la place de Grève, et aux cris de vive le roi, aussitôt répétés dans tout Paris et dans toute la France. C'est des mains de M. Bailly que le monarque reçut et accepta cette cocarde tricolore, ce gage d'alliance, au moment où il allait se montrer à une fenêtre de l'Hôtel-de-Ville. Telle est l'origine du choix de ces couleurs nationales que consacre le décret ci-dessus rapporté.

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