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la prudence; mais dans mon opinion les ministres ne me paraissent pas aussi innocens qu'au préopinant. Nous ne pouvons nous dissimuler les inquiétudes que donne l'état politique de l'Europe la Prusse est sur le point de faire la guerre avec la Hongrie; on assure qu'une des clauses du traité sera de soutenir les prétentions des princes d'Allemagne. D'un autre côté les intentions de la Sardaigne sont peu connues; mais on 'sait qu'elle fait des rassemblemens de troupes. L'Angleterre négocie avec la Savoie, avec la Bohême, même avec la Prusse, pour appuyer les projets contraires à la révolution française. Nous voyons en même temps éclater dans les provinces méridionales des signes d'insurrection, excités certainement par les mauvais patriotes, et peut-être même par les nations voisines. Apprécions dans cet état critique la conduite du ministre des affaires étrangères : il dit qu'il n'a pas rendu compte à l'Assemblée de notre situation politique à cause des fêtes de la confédération, qu'il se disposait à envoyer incessamment un mémoire à ce sujet : voilà un acte constaté d'une négligence dangereuse et coupable. Une armée autrichienne demande un passage sur le territoire de France; alors le ministre, malgré un de vos décrets, et sans qu'aucun traité obligeât à la réciprocité, engage M. Latour-Dupin à donner les ordres pour autoriser ce passage: était-il possible dans cette circonstance de se porter, sans le consentement de l'Assemblée nationale, à une démarche qui peut nous plonger dans les borreurs de la guerre! S'il existe un traité secret jamais l'Autriche n'aurait eu une plus belle occasion de s'emparer de nos frontières pour pénétrer ensuite dans l'intérieur du royaume. Il serait ésséntiel d'ajouter au projet de décret que l'Assemblée, iinprouvant la conduite du ministre des affaires étrangères, le déclare personnellement responsable des événemens qui seraient les suites d'ordres donnés d'une maniere imprudente ou perverse. (Une grande partie de l'Assemblée applaudit.) 11 est essentiel de nous occuper de notre situation actuelle, il faut la nation française développe tous ses efforts, déploie toute sa vigueur, alin de détruiré la confiance des ennemis de la chose publique; il est nécessaire que l'Assemblée soit éclairée sur les moyens. Je renouvelle en conséquence la proposition

faite hier de nommer sur le champ un comité de huit personnes, pour se concerter avec le ministre des affaires étrangères, et donner à l'Assemblée les renseignemens exacts et détaillés dont elle pourrait avoir besoin. »

La motion de M. Aiguillon ayant été reproduite et modifiée le lendemain 29, l'Assemblée rendit le décret sui

vant :

« L'Assemblée nationale décrète qu'il sera nommé un comité de six membres, chargés de prendre connaissance des traités existant entre la France et les puissances étrangères, et des engagemens respectifs qui en résultent, pour en rendre compte à l'Assemblée au moment où elle le demandera. »

Nous n'avons rapporté les principaux traits de cette discussion qu'afin seulement de prendre date des premières tentatives faites chez l'étranger contre la liberté française; et d'ailleurs, si l'on veut bien l'observer, il y a une sorte de corrélation historique entre les circonstances que nous venons de rappeler et celles qui font l'objet des deux articles suivans.

PROPOSITION DU RETOUR A L'ANCIEN ORDRE DE ́CHOSES. — DÉCRET DE L'ASSEMBLÉE QUI DÉCLARE CETTE PROPOSITION LE PRODUIT D'UNE IMAGINATION EN DÉLIRE.

Orateurs: MM. Duval (d'Espréménil), Alexandre Lameth, Mathieu Montmorency, Cazalès, Charles Lameth.

Les lecteurs nous pardonneront sans doute de reposer un instant leur attention sur un fait qui pourra les égayer, en même temps qu'il montrera jusqu'à quel point la résistance à l'opinion publique peut pervertir le jugement particulier. Nous ne nous serions pas arrêtés sur ce fait si certains hommes de nos jours n'eussent aussi rêvé le grand projet que M. Duval (d'Espréménil) osa présenter le 29 septembre 1790; mais le décret rendu dans cette circonstance

par l'Assemblée nationale réglera la censure que méritent parmi nous les partisans du retour à l'ancien ordre de choses.

L'Assemblée délibérait sur la grande question des assignats. M. Duval annonce qu'il a un projet dont l'exécution peut opérer la liquidation de la dette publique, le rétablissement de la tranquillité générale, en un mot sauver la France. Il obtient la parole. Dès les premiers mots il est interrompu d'un côté par des éclats de rire, et de l'autre par les reproches du président, qui lui interdit la satire des décrets de l'Assemblée. L'orateur supplie qu'on l'écoute sans interruption jusqu'au bout; il proteste sur son honneur que le royaume est perdu si son projet n'est pas adopté, et que l'Assemblée se couvrira de gloire aux yeux de toute l'Europe en revenant sur quelques-uns de ses décrets. L'Assemblée décide que, par respect pour la liberté des opinions, M. Duval sera entendu. Voici les principales dispositions de son projet :

« L'Assemblée nationale, toujours animée du zèle du bien public, avertie par l'expérience qu'elle n'obtiendra pas la paix tant qu'une défiance, bien ou mal fondéé, éloignera une partie des citoyens de leur patrie, a décrété et décrète :

>> La caisse d'escompte reprendra ses opérations originaires; les quatre cent millions d'assignats décrétés seront rendus à leur valeur primitive, etc.;

» Le clergé sera rétabli dans la possession de tous les biens dont il jouissait;

» Les parlemens seront rétablis cours souveraines, et la justice reprendra son arcien cours;

» Tous les citoyens seront rétablis dans leurs propriétés, les nobles dans leurs titres et dans leurs droits;

» Le décret qui prescrit l'aliénation des domaines de la couronne sera regardé comme non avenu;

» La juridiction prévôtale sera rétablie;

» La maréchaussée sera augmentée d'un tiers;

» Les princes du sang seront priés de rentrer dans le

royaume;

» Le comité des recherches de l'Assemblée nationale, et tous ceux qui pourraient être établis dans le royaume, seront abolis;

» L'Assemblée nationale, désirant que le souvenir des troubles qui ont désolé le royaume depuis un an soit effacé, suppliera le roi d'accorder une amnistie générale;

» Le présent décret sera porté au pied du trône par l'Assemblée nationale en corps;

» Le roi sera supplié d'y donner une prompte sanction, en lui assurant qu'il n'est point de Français qui ne soit disposé à tous les sacrifices pour le retour aux vraies maximes; » L'Assemblée, en sortant de chez le roi, ira porter ses respects à la reine....

(Grands éclats de rire, auxquels l'orateur répond :) » Ce que je propose est bon; l'événement décidera. » Il sera chanté dans toutes les églises et paroisses un Te Deum en actions de grâces de la réunion des esprits; le roi sera supplié de se trouver avec son auguste famille à celui qui sera chanté dans la cathédrale de Paris; l'Assemblée y assistera en corps, et espère y voir tous les princes et tous les Français absens. »

L'orateur quitte la tribune, laissant tout l'auditoire dans une grande hilarité. Plusieurs membres demandent le renvoi de ce projet de décret au comité de santé, d'autres au comité d'aliénation.... M. Charles Lameth propose que M. Duval soit envoyé pour quinze jours à Charenton.

M. Alexandre Lameth.

« Comme il est important que la nation sache d'après quels principes se conduit l'Assemblée, je demande qu'on passe à l'ordre du jour, mais qu'on motive ainsi cette dé

cision :

» L'Assemblée nationale ayant, pour prouver la liberté la plus entière des opinions, entendu jusqu'à la fin la lecture du projet de décret de M. Duval, et, le regardant comme l'effet d'une imagination en délire, a passé à l'ordre du jour.

On applaudit, et on demande à aller aux voix.

M. Mathieu Montmorency.

« Je voulais exprimer, comme le préopinant, ce que j'avais éprouvé à la lecture du projet de M. Duval; je voulais dire que le délire et la folie pouvaient seuls excuser un projet qui mériterait toute la sévérité de l'Assemblée. On ne peut mieux faire que de passer à l'odre du jour, en témoignant le plus profond mépris pour la motion et son auteur: le terme de mépris paraîtra singulier; mais il peut seul exprimer l'intention de l'Assemblée. J'appuie donc la motion de M. Lameth de passer à l'ordre du jour en le motivant. >>

M. Cazales.

« Avant d'adopter une proposition que j'appuie, je demande que l'Assemblée déclare qu'il est permis à un de ses membres d'en insulter un autre, ou bien qu'elle rappelle à l'ordre MM. Lameth et Montmorency; si elle ne le veut pas, je lui demande acte de son décret ; et moi qui me suis constamment abstenu dans cette tribune de prononcer aucune expression injurieuse, je demanderai la permission d'insulter nominativement. »

M. Charles Lameth.

« On demande que je sois rappelé à l'ordre; comme je crois qu'il est aussi contraire à l'honneur de faire des injures que d'en souffrir, je déclare que quand j'ai fait la motion d'envoyer M. Duval à Charenton je n'ai voulu que lui donner du ridicule, mais non l'insulter. Il est insensé ou il est coupable. Dans l'époque où nous nous trouvons, au milieu des bruits qui se répandent, je me contente de tourner en ridicule un membre dont on pourrait sérieusement, et peut-être très-utilement, instruire le procès. Dans un moment où l'on cherche à nous intimider par la réunion des parlemens, où le mot de contre-révolution relentit dans toutes les places publiques, il est un peu fort d'en présenter le projet à l'Assemblée nationale! Quand on sait que les agens de la contre-révolution mettent tout en oeuvre pour prévenir le roi contre l'Assemblée; quand on veut enlever le roi,

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