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tières, Rocroi, Charleville, Avesne, etc., se trouvaient dégarnis de troupes nationales; que la navigation de la Meuse était interceptée, et que sur les deux rives de ce fleuve se répandaient en grand nombre des troupes belges et autrichiennes; enfin, que dans toute cette partie de la France le peuple était alarmé, et le commerce anéanti. Aucune nouvelle de ces événemens n'était parvenue à l'Assemblée; la permission donnée par le général Bouillé constatait donc la violation manifeste d'un acte constitutionnel (1).

En terminant sa lecture M. Dubois-Crancé conclut à ce que l'Assemblée interposât sans délai son autorité dans les dispositions prises à son insu.

M. Fréteau.

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« Il faut sans doute avoir la communication des ordres donnés par M. Bouillé, et les confronter avec les traités; car il serait très-différent de passer sur les terres de France ou de passer dans les places fortes; c'est un objet à éclaircir: mais ce n'est pas la seule chose à faire; dans les circonstances actuelles, et dans leurs rapports avec les mouvemens des troupes étrangères, il est important aussi de ne pas souffrir que des mesures ministérielles mal prises compromettent la tranquillité publique. Un procès-verbal prouve que depuis peu tous les postes au-dessus de la Meuse sont dégarnis de troupes; on ne peut pas présumer que des dispositions de cette nature aient été prises sans intention, sans réflexion. Tous les traités passés depuis trente ans entre la France et les puissances voisines, au sujet de nos limites, sont à notre désavantage. Moi qui ai séjourné sur les lieux, je vous l'atteste pour les Pays-Bas et pour nos frontières sur la Meuse. Il serait

(1) Le 28 février l'Assemblée nationale avait rendu un décret contenant les dispositions générales de la constitution militaire; ce décret, accepté et sanctionné par le roi, portait, article 3:

« Il ne peut être introduit dans le royaume, ni admis au service.de > l'Etat, aucun corps de troupes étrangères qu'en vertu d'un acte da > corps législatif, sanctionné par le roi. »

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extraordinaire de prendre une délibération avant de s'assurer d'un fait aussi capital que le dépouillement de celle de nos frontières qui était le mieux garnie de troupes et le moins en état de défense. Il faut autoriser des commissaires à demander au ministre le oui ou le non de ce fait. J'ai vécu dans ce pays, et je n'ai jamais pu comprendre comment, par le traité d'Aix-la-Chapelle, en cédant de belles provinces, on ne s'est pas occupé d'assurer le moyen de garantir nos frontières. Si le fait reproché au ministre était une déloyauté marquée (et l'on ne peut penser que ce soit imprudence ou légèreté), ce serait un crime national. Ne le supposons pas ; mais chargeons des commissaires de se retirer sur l'heure au secrétariat de la guerre pour prendre tous les renseignemens nécessaires.

>> On dit qu'il faudrait mander le ministre; mais pour prendre un parti il sera nécessaire d'avoir à la main des pièces dont le dépouillement ne peut se faire dans cette Assemblée. Eh! qu'importe les délicatesses d'autorité quand il s'agit du salut public! On dit qu'il se fait un rassemblement de troupes dans la Savoie; que les frontières du Dauphiné sont hérissées d'artillerie : il faut savoir si le ministre s'est mis en mesure. Se peut-il que ce décret sage et nécessaire que Vous avez rendu sur le droit de paix et de guerre (1) éprouve si promptement une infraction évidente? S'il se fait réellement des rassemblemens de troupes, peut-on être resté dans une incertitude, dans une apathie coupable? Se peut-il, après l'union promise entre le roi et vous, qu'on vous traite comme si vous étiez étrangers à la France, qu'on vous laisse ignorer des choses de cette importance, qui intéressent si directement le salut public?»

Plusieurs orateurs furent entendus après M. Fréteau; ils firent encore à l'Assemblée de nouvelles révélations sur -les atteintes portées à la sûreté extérieure du royaume : de tous côtés les villes frontières de France étaient dégarnies de troupes, et devant elles se formaient des camps de sol

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dats étrangers. Le décret suivant fut aussitôt rendu, sur la proposition, généralement appuyée, de M. Fréteau :

« L'Assemblée nationale décrète que six commissaires, nommés sur le champ, se retireront à l'heure même au secrétariat de la guerre, à l'effet de prendre communication des ordres qui ont été adressés au commandant, pour le roi, de livrer passage aux troupes étrangères par les départemens, terres et villes de la domination française, même au commandant des troupes de ligne, d'évacuer les places frontières du royaume, notamment du côté de la Champagne et des pays belges, à l'effet d'être rendu compte desdits ordres à l'Assemblée le plus tôt possible, ensemble des mesures qui peuvent avoir été prises pour la défense et sûreté de la nation au dehors.

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» Décrète en outre que lesdits commissaires se rendront de suite au secrétariat des affaires étrangères, à l'effet de demander au ministre la communication des nouvelles et dépêches qu'il a reçues relativement à la situation politique des puissances voisines du royaume. »>

Les six commissaires nommés en vertu de ce décret sont MM. Fréteau, Dubois - Crancé, Menou, Elbecq, André et Emmery. Dès le lendemain 28 M. Fréteau, "au nom de ce comité, fait le rapport suivant à l'Assemblée :

<< Messieurs, nous nous sommes rendus chez, M. LatourDupin, secrétaire-d'état au département de la guerre, immédiatement après le décret qui contenait la mission dont vous nous avez honorés. Ce ministre était à Versailles; il est revenu à trois heures ayant été informés de son retour, nous nous sommes rendus chez lui à quatre heures et demie, et nous ne l'avons pas trouvé. Nous sommes allés alors chez M. Montmorin, secrétaire-d'état au département des affaires étrangères; nous avons eu avec lui une conférence dont la suite avait été remise à ce matin: M. Montmorin avait besoin de ce délai pour recouvrer les traités et les pièces que nous demandions. Je vais commencer par vous rendre compte de ce qui regarde les ordres donnés aux commandans des places

depuis Verdun jusqu'à Givet. Il y a déjà longtemps que cette négociation est entamée, et comme il est nécessaire de vous donner sur cet objet toutes les idées possibles, je vais lire les lettres à leur date : toutes ces lettres sont certifiées.

(Il résulte de ces lettres que le baron de Bender et le comte de Mercy ont demandé, au nom de leur maître, le passage de troupes autrichiennes sur le territoire français; que MM. Montmorin et Latour-Dupin l'ont accordé au nom du roi des Français, sans la participation du corps législatif, et qu'ils ont adressé des ordres écrits au général Bouillé pour qu'il ne soit apporté aucun obstacle à ce passage demandé et obtenu. M. Fréteau reprend :)

» Vous avez entendu M. Dubois-Crancé. Un procès-verbal établit que ces ordres ont été donnés au lieutenant de roi de Thionville; il paraît certain qu'ils l'ont été également au commandant de Verdun. Je n'en ai pas des preuves authentiques; mais M. Latour-Dupin nous a communiqué une lettre adressée par M. Drapier, administrateur subalterne des vivres, à M. Doumerc, administrateur principal dans cette partie; elle annonce que ces ordres, arrivés à Verdun, ont excité dans le peuple des inquiétudes qui duraient encore au moment où cette lettre est partie. On peut se rappeler que M. Dubois a fait mention de propos menaçans tenus dans les villages des frontières, de cris nocturnes aux armes, voici l'ennemi! Il paraît difficile de douter de ce fait, d'après une lettre écrite le 25 par un officier municipal du Pont-d'Arche, qui atteste ces bruits extraordinaires, et la terreur dont les paysans sont saisis; on craint les brigands, et on demande des armes pour les municipalités.

» Tels sont les documens qui nous ont été remis le par secrétaire d'état du département de la guerre. Ainsi il n'est pas douteux que, pour favoriser le passage, des ordres ont été donnés aux commandans des places depuis Mézières jusqu'à Verdun. Vous avez pu remarquer, dans les lettres du ministre des affaires étrangères à M. Latour-Dupin, et de M. LatourDupin à M. Bouillé, que ce passage était accordé d'après un

traité. Ce fait ne nous avait été annoncé que légère; nous avons ce traité.

d'une manière

» Il est constaté que la réciprocité n'y est point du tout établie. Le traité de 1769 a été ratifié par une convention de 1779 qui n'y change absolument rien; l'article 34 du traité de 1769 porte que les troupes et attirails d'artillerie de S. M. autrichienne jouiront d'un passage libre dans le comté de Beaumont, à condition qu'elles ne pourront ni loger ni séjourner dans le territoire de S. M. l'impératrice reine de Hongrie; que les vivres seront payés comptant, etc. Il est nécessaire d'avoir quelque idée de la situation des lieux : il se trouve une petite portion de bois dans le territoire de l'Autriche, entre Givet et Maubeuge; pour arriver aux garnisons de Philippeville, de Charlemont et de Marienbourg, il faut nécessairement que nos troupes traversent ce bois. Rien n'annonce donc que dans ce traité la réciprocité ait dû être établie ; là lettre du traité prouve qu'elle ne l'est pas. Ainsi il n'y a nul doute les ordres ont été donnés pour ce passage; que les ministres se sont trompés quand ils ont cru que le passage des troupes autrichiennes était assuré par une clause qui n'existe point. Il paraît d'ailleurs difficile, quand même la réciprocité serait établie, que ces troupes pussent ne pas séjourner et loger, en traversant depuis le lieu où elles sont jusqu'à Verdun; il est donc évident qu'il y a une erreur, et que les ministres n'avaient pas le traité sous les yeux.

que

» Ils ont aussi parfaitement oublié le décret du 28 février; il est ainsi conçu : « Il ne peut être introduit dans le royaume, >> ni admis au service de l'Etat, aucun corps de troupes étran» gères qu'en vertu d'un acte du corps législatif, sanctionné » par le roi. » Les ministres ont dit qu'ils n'avaient pas.compris ce décret dans un sens qui eût rapport au passage de quelques gens de guerre autrichiens sur le territoire de France.

» M. Montmorin a cru qu'il ne s'appliquait qu'aux troupes qu'on ferait entrer dans le royaume avec intention d'y servir. La première partie du décret, introduit dans le royaume, présente un sens complet. La seconde peut exister indépendamment de la première, comme la première

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