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Troisième décret (rendu le 20, sur la proposition de M. Bouche.)

« L'Assemblée nationale décrète que les villes, bourgs, villages et paroisses auxquels les ci-devant seigneurs ont donné leurs noms de famille, sont autorisés à reprendre leurs noms anciens. »

Nota. Le roi donna sa sanction pure et simple aux décrets rapportés ci-dessus, malgré les représentations de son conseil, qui s'y opposait. Quelques reproches publics adressés à M. Necker déterminèrent ce ministre à faire connaître la pièce suivante par la voie de l'impression. L'importance de la matière nous fait un devoir de la rappeler ici :

Opinion de M. NECKER, relativement au décret de l'Assemblée nationale concernant les titres, les noms et les armoiries. (1)

« On répand que j'ai opiné dans le conseil contre l'acceptation du décret de l'Assemblée nationale relatif aux titres, aux noms et aux armoiries. Je dois faire connaître la simple vérité. J'ai été d'avis, et avec beaucoup d'insistance, je l'avoue, que le roi, avant d'accepter le décret, envoyât des observations à l'Assemblée nationale; et comme je ne craindrai jamais la publicité de mes actions et de mes pensées, je profite de la permission du roi en faisant imprimer

(1) Lettre à M. NECKER sur son Opinion relative à la suppression des titres, armoiries, etc., par M. ANTOINE, député à l'Assemblée nationale. (Publiée en juillet 1790.)

«<< Hé quoi, d'un philosopho est-ce là le langage!

» Monsieur, pourquoi supposer à l'Assemblée nationale des torts? Pourquoi essayer d'armer contre elle l'opinion publique ? Pourquoi n'avez-vous pris la plume, ou la parole, que pour vous louer vousmême à nos dépens? On n'a pas oublié que c'est à vos soins qu'on a dû la double représentation du tiers - état, cause première de la révolution ce n'est pas à vous de vous plaindre des conséquences bien prévues de vos propres opérations: pourquoi donner à penser que vous vous repentez des services que vous nous avez rendus?

» Le décret portant abolition des noms, des titres et des armoiries,

ces observations telles que j'en avais donné le projet; et je m'y détermine d'autant plus volontiers, que l'Assemblée nationale vient de charger son comité de constitution de lui proposer quelques explications sur ce même décret.

» J'ai été d'avis encore que les observations fussent accompagnées d'une lettre du roi, qui aurait exprimé la disposition de S. M. à s'en rapporter aux lumières de l'Assemblée nationale; et comme cette lettre faisait partie de mon opinion, on en trouvera le projet à la suite des observations. Je puis m'être trompé, et je dois le croire, puisque mon avis n'a point été adopté; mais j'aime beaucoup mieux mettre à portée de juger clairement de mon erreur, si j'en ai commis une, que de laisser subsister un sujet vague de reproche, lequel, à la faveur de la malignité, s'étendrait chaque jour par de fausses interprétations. Je suis sûr de la pureté de mes intentions; je le suis également de mon attachement à la constitution et aux vrais intérêts du peuple, et ces sentimens qui font ma confiance m'inviteront toujours à la plus parfaite franchise.

» Juillet 1790.

Signé NECKER. »

PROJET D'OBSERVATIONS.

« Lorsque le bien général l'exige on est souvent obligé d'imposer des sacrifices à une classe particulière de citoyens;

a eu le malheur de vous déplaire, et, non content d'avoir voulu engager le roi à faire une fausse démarche, vous vous hâtez de l'apprendre à l'univers !

> Vous compromettez le comité de constitution par une phrase qui pourrait faire dire à des gens mal intentionnés que vos observations vont servir de préambule à son décret explicatif.

» Vous compromettez le roi en publiant ce que nous ignorions tous, que ses lettres les plus simples, les lettres écrites de sa main, lui sont dictées par ses ministres, tandis que c'est le cœur seul de ce prince, ce cœur plus pur mille fois que celui des gens qui l'entourent, qui doit accepter la constitution.

» N'avez-vous donc pas craint d'autoriser les anti-royalistes à conclure que, puisque les ministres font tout, il ne faut que des ministres, et qu'on doit placer la liste civile dans le chapitre des économies?

Ah! que Louis XVI fasse lui-même ses discours et ses lettres ; la

cependant, même à ce prix, on ne doit le faire qu'avec ménagement et circonspection, tant il est dangereux d'enfreindre en aucun point les droits que donne la possession, et de porter quelque atteinte aux règles ordinaires de la justice.

» Si telle est la rigueur des principes qui régissent l'ordre social, on ne doit pas, à plus forte raison, ordonner des privations dont il ne résulte aucun avantage réel pour per

sonne.

» Lorsqu'une des portions de la société a perdu les priviléges dont elle jouissait dans la répartition des impôts, lorsque l'étendue de ses revenus a réglé la mesure de sa contribution aux charges publiques, ces nouvelles dispositions, en portant préjudice à quelques-uns, ont favorisé le grand nombre.

» Lorsqu'on a ordonné l'abolition de la partie des droits féodaux qui consistait dans une sorte de servage, et qui assujétissait à des obligations pénibles ou humiliantes la classe la plus nombreuse des citoyens, l'avantage du peuple est encore devenu le résultat des privations particulières.

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Lorsque la carrière des charges et des emplois a été

naïve expression de sa franche probite convient mieux au roi des Français que le froid étalage d'une astucieuse éloquence.

» Il ne nous aurait jamais dit de lui-même ce que vous vouliez lui faire dire, qu'il acceptera le décret et par déférence pour les lumières de l'Assemblée, et parce qu'il attache un grand prix à maintenir entre elle et lui une parfaite harmonie.

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» Il aurait dit plus sensément : J'accepte le décret, parce que, pour être roi, il faut que j'accepte dans toutes ses parties la constitution qui me donne ce titre. »

» Mais voyons au fond si ce décret mérite la satire amère que vous yous êtes permise.

» Vous assurez que, de cette privation imposée à une classe qui s'en afflige, il ne résulte aucun avantage réel pour le peuple.

» Voulez-vous dire que les impositions n'en diminueront pas d'un sou? C'est parler en bon financier; mais la remarque n'est pas sàillante. Prétendez-vous que, sous aucun rapport, cette disposition n'est utile ni agréable au peuple? Ce n'est pas parler en bon publiciste.

C'est calomnier le peuple que de le séparer, comme vous faites,`

ouverte à tous les Français, la nation a gagné sans doute à la destruction des barrières qui bornaient ses espérances el son ambition, et qui circonscrivaient dans un ordre particulier de la société des prérogatives utiles et les occupations les plus envićes.

» Enfin, lorsqu'en écartant toutes les distinctions, les habitans du royaume ont été appelés à concourir ensemble à la formation des assemblées nationales et législatives, une participation égale au plus précieux des droits politiques a pris la place des anciennes disparités, et, les regrets des uns ont été balancés par la satisfaction universelle des citoyens de l'empire.

» C'est donc avec juste raison que ces diverses institutions ont été considérées comme des lois populaires et patriotiques.

>> En est-il de même du décret relatif aux titres, aux noms et aux armoiries? Il faut, pour en juger, examiner si le peuple, cette nombreuse partie de la nation, a quelque intérêt aux dispositions de la nouvelle loi. On ne l'aperçoit point, car ce n'est pas lui qui peut être jaloux des gradations honorifiques établies au milieu des sections de la société avec lesquelles il n'a point de relations habituelles. Tous ceux en si grand nombre qui dévouent de quelque manière leur travail ou leur industrie au service des propriétaires n'ont aucun intérêt à recevoir un salaire d'un simple particulier plutôt que d'un homme décoré d'un titre ou de

en deux classes, dont l'une, selon vous, ne s'occupe et ne doit s'occuper que de sa subsistance, et dont l'autre n'est travaillée que du désir, de ravaler les ci-devant nobles.

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Il y a partout sans doute des hommes abrutis ou lâches qui comptent l'avilissement pour rien et l'intérêt pour tout; mais si les artisans, si les cultivateurs, obligés de perdre pour leur instruction le temps qu'ils donnent à leurs précieux travaux, ne font ni motions, ni mémoires, ils ont autant que vous et moi d'honneur et de sensibilité. Le sentiment de la noblesse de son être n'est pas étranger à ces âmes neuves, et la loi de l'égalité était gravée dans tous les cœurs avant la déclaration des droits. Pensez-vous que, pour être moins bien vêtu, on ne repousse pas avec un égal dépit ces injustes et humiliantes distinctions, fondées sur le hasard de la naissance, ou plutôt sur une abstraction métaphysi

quelque autre distinction. Probablement même, si l'on consultait leur sentiment intérieur et leurs opinions irréfléchies, l'on trouverait que dans l'état où les a placés la fortune, et ne pouvant changer la nature de leurs fonctions sociales, loin d'être blessés par l'éclat des personnes auxquelles ils consacrent leurs travaux, ils se plaisent souvent à en recevoir le reflet.

>> C'est uniquement dans les relations particulières et sociales de la vie que les plus petites distinctions affectent la vanité de ceux qui en sont les simples spectateurs; mais le peuple ne partage point ce sentiment, car il ne sort point de son cercle; il ne le désire jamais, et il nuirait à son bonheur s'il avait cette prétention.

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Quelle est donc la portion de la société appelée à jouir de la suppression de toutes les dénominations honorifiques? C'est uniquement celle qui, par sa fortune ou par son éducation, se trouve à peu de distance des hommes en possession des autres genres de distinction. Elle sera peut-être un moment satisfaite, si les petites sommités qui blessent encore sa vue sont absolument détruites; mais pour un si léger soulagement, tout en opinion, pour un bienfait si circonscrit, pour un bienfait indifférent aux sages, est-il juste de priver une classe nombreuse de citoyens des distinctions honorifiques qui forment une partie de leur héritage, et dont la perte doit leur être plus pénible que celle des avantages pécuniaires dont ils avaient la possession? Ne suffit-il pas d'avoir exigé d'eux tous les sacrifices profitables au peuple? Est-il généreux, est-il équitable d'en demander encore d'autres? Et les difficultés du temps présent, dont

que, et qu'on ne tressaille pas de joie en les voyant disparaître? Pensezvous que l'ouvrier ne gagne pas, dans son opinion, à se voir l'égal de celui qui l'emploie? Vous croyez aux jouissances d'imagination pour les nobles, et vous n'y croyez pas pour le peuple! En vain au reste erieriez-vous à la chimère contre cette égalité, chacun concourt selon ses moyens au bonheur de la société ; nous recevons tous le salaire de nos travaux ; et si je paie le tailleur qui me fait un habit, je suis payé par mes commettans pour opiner dans l'Assemblée, et pour vous écrire ceci. Le prétendu reflet qui doit, selon vous, rejaillir des grands sur

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