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un pacte de famille, pour jurer cette constitution qui assure à tous les Français la liberté et l'égalité, souffrirons-nous que les regards des braves Francs-Comtois soient exposés à tomber sur ce monument élevé par la flatterie d'un courtisan à l'orgueil d'un despote, et dans lequel la Franche-Comté est figurée parmi les quatre provinces qui sont enchaînées esclaves au pied de la statue de Louis XIV, place des Victoires? Souffrirons-nous, messieurs, que les citoyens, que les députés de ces généreuses provinces, qui ont toujours été comptés dans cette Assemblée parmi les plus fermes appuis des droits de la nation, aient plus longtemps les yeux frappés d'un spectacle que les hommes libres ne peuvent supporter? Respectons les monumens des arts, mais abattons ceux du despotisme et de l'esclavage. Élevez des statues aux princes qui ont bien mérité de pays; élevez-en une à ce roi le restaurateur de la libertė; mais empressez-vous de détruire des emblèmes qui dégradent la dignité de l'homme, et qui doivent blesser des concitoyens que nous honorons et que nous chérissons.

leur

>> Je fais la motion expresse qu'on ne laisse subsister aucun monument d'esclavage; qu'il n'en soit désormais élevé que dans la vue d'honorer des actions utiles à l'humanité, et qui rappellent les principaux événemens de notre heureuse révolution; que l'Assemblée nationale décrète, par respect pour la liberté et pour les nations étrangères, que tous les symboles de la servitude, et ces inscriptions orgueilleuses qui entourent les monumens publics, notamment celui de la place des Victoires, soient détruits avant le 14 juillet.

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Applaudissemens presque unanimes, au milieu desquels on entend du côté droit quelques voix qui demandent l'ajournement.

M. Gourdan ( d'une voix attendrie ).

« J'adhère à cette motion; j'en remercie son auteur. Depuis longtemps elle était écrite dans mon âme et dans celle de tous mes compatriotes, qui ont toujours abhorré l'esclavage.» Tandis que d'un côté se continuent de timides mur mures, et que de l'autre éclatent de généreux sentimens, une seule voix qui s'élève au-dessus de toutes glace quel

ques députés de droite, et achève de porter l'enthousiasme du patriotisme dans la majorité de l'Assemblée; cette voix est celle de

M. Lambel (député de Ville-Franche).

« C'est aujourd'hui le tombeau de la vanité et de tous les monumens de l'orgueil. Il ne faut pas seulement abattre des statues; je demande d'abord qu'il soit fait défense à toutes personnes de prendre les titres de duc, comte, marquis, baron, etc., et que l'Assemblée décrète en outre l'abolition de la noblesse héréditaire. »

Les applaudissemens ne permettent pas à M. Lambel de développer sa motion; il a été deviné de tous les amis de l'égalité, de la liberté.... MM. de La Fayette et Charles de Lameth se disputent généreusement la parole.

«

M. Charles de Lameth.

J'appuie la première proposition du préopinant. Les titres qu'il vous invite à détruire blessent l'égalité, qui forme la base de notre constitution; ils dérivent du régime féodal que vous avez anéanti; ils ne sauraient donc subsister sans une absurde inconséquence: il doit être défendu à tous les citoyens de prendre dans leurs actes les titres de pair, duc, comte, marquis, etc.

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J'appuie également sa seconde proposition. La noblesse héréditaire choque la raison et blesse la véritable liberté. Il n'est point d'égalité politique, il n'est point d'émulation pour la vertu, là où des citoyens ont une autre dignité que celle attachée aux fonctions qui leur sont confiées, une autre gloire que celle qu'ils doivent à leurs actions. Il doit donc être également défendu de prendre dans les actes le titre de noble. Quant à ceux qui, dans le langage ou dans leurs lettres, affecteraient de conserver encore ces distinctions puériles, l'opinion les en punira en les notant parmi ceux qui méconnaissent encore notre heureuse révolution. »>

M. de La Fayette.

« Je ne disputerai jamais sur la parole; j'espère ne pas avoir besoin de disputer ici sur la constitution : la motion qui vous

a été faite, et que M. de Lameth appuie, est une suite tellement nécessaire à la constitution, qu'il est impossible qu'elle fasse la moindre difficulté ; je me contente de m'y joindre de tout

mon cœur. »

M. le marquis de Foucault.

« Je ne sais ce qui résultera de la délibération; mais ma mission est de m'y opposer de tout mon pouvoir. Le jour où notre patriotisme a été le plus spécialement consacré, à la fameuse époque du 4 août, cette motion fut présentée. On nous dit qu'on était trop heureux de pouvoir établir des récompenses de cette nature. Comment en effet eût-on récompensé celui dont le nom peu connu obtint des lettres en ces termes : Un tel fait noble et comte pour avoir sauvé l'État un tel jour? Il resta avec ce titre, qui a servi de fortune à toute sa famille. »

M. de La Fayette.

<«< On supprimera ces mots : A été fait noble et comte, et l'on dira simplement: A SAUVÉ L'ÉTAT UN TEL JOUR.

M. Goupil de Préfeln, à qui (dit-il) les propositions soumises en ce moment à l'Assemblée étaient depuis longtemps venues dans l'idée, et qui les avait rédigées en forme de décret, fit lecture de son projet. Entr'autres dispositions il établissait que les frères du roi et les princes du sang conserveraient seuls le titre de monseigneur. M. de La Fayette reprit ainsi la parole à ce sujet :

« Personne, dit-il, n'est plus persuadé que moi de la nécessité de donner un grand éclat et une grande énergie à la magistrature héréditaire exercée par le roi; mais dans un pays libre il ne peut y avoir que des citoyens et des officiers publics. Je ne conçois pas sur quel prétexte des distinctions et des titres, qui désormais ne doivent appartenir qu'à des fonctions et à des magistratures, seraient accordés aux frères du roi et aux princes du sang, qui ne naissent pas fonctionnaires publics et magistrats. S'ils ont d'ailleurs les conditions requises par la loi, ils seront citoyens actifs, et c'est tout ce qu'ils peuvent être. »

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M. de Noailles (1).

« Il me semble que l'Assemblée ne doit pas s'arrêter longtemps à des dispositions qui dérivent de votre constitution. Anéantissons ces vains titres, enfans frivoles de l'orgueil et de la vanité; ne reconnaissons de distinctions que celles des vertus. Dit-on le marquis Franklin, le comte Washington, le baron Fox? On dit Benjamin Franklin, Fox, Washington. Ces noms n'ont pas besoin de qualification pour qu'on les retienne; on ne les prononce jamais sans admiration. J'appuie donc de toutes mes forces les diverses propositions qui ont été faites.

» Je demande en outre que désormais l'encens soit réservé à la Divinité.

» Je supplierai aussi l'Assemblée d'arrêter ses regards sur une classe de citoyens jusqu'à présent avilie, et je demanderai qu'à l'avenir on ne porte plus de livrée. »

M. Le Pelletier de Saint-Fargeau.

« Je ne viens point faire hommage à la patrie de titres de comte ou de marquis; la profession que j'ai exercée me dispensait d'en porter de semblables, quoique possesseur de quelques ci-devant marquisats et comtés.

» Mais au moment où vous vous occupez de décréter des articles qui sont les conséquences nécessaires des principes constitutionnels d'égalité civile que vous avez déjà posés, je vous demande d'en ajouter un à ceux qui vous sont proposés; c'est qu'aucun citoyen ne puisse porter d'autre nom que le nom propre de sa famille. Les noms de terre appartenaient au système féodal; on portait le nom d'un lieu parce qu'on en était le seigneur. Aujourd'hui le propriétaire d'une ci-devant seigneurie n'a pas plus de droit d'en prendre le nom que tous les autres citoyens 'qui possèdent des biens dans l'étendue du même territoire.

(1) Qu'on nous permette de redire ce que sans doute on n'a pas oublié, c'est que ce fut M. de Noailles qui, dans la nuit du 4 août 1789, imprima à l'Assemblée le généreux mouvement qui la porta à détruire sans retour la féodalité.

» En reconnaissant le principe j'y obéis moi-même, et je signe ma motion : Louis-Michel Le Pelletier. »

M. l'abbé Maury.

« Dans la multitude des questions qui sont soumises à votre discussion, je ne sais sur quel objet particulier je dois fixer mes regards. On a proposé de faire ôter de la statue de Louis-le-Grand tous les emblèmes de l'esclavage; d'autres ont demandé l'anéantissement des dignités sociales et le retour à l'égalité la plus absolue : chacun de ces objets est digne d'un examen particulier, et je ne refuserai d'en discuter aucun. Vous devez rendre hommage à la mémoire de Louisle-Grand, qui n'a pas ordonné ce monument de vanité. J'entends dire qu'il a soutenu une guerre pour le conserver; je réponds que cela est faux. La guerre de Hollande, dont on veut sans doute parler ici, a été occasionnée par l'injure faite à une médaille de ce roi, et le monument de la place des Victoires a été ordonné par le maréchal de La Feuillade, qui a prodigué à Louis-le-Grand les témoignages de la plus servile adulation: encore n'en est-il pas l'inventeur; la place de Médicis en a donné la première idéc. Mais puisqu'on veut détruire tout ce qui sent l'esclavage, les regards du patriotisme ne devaient-ils pas se porter sur la statue de Henri IV, dont quelques-unes des inscriptions sont uniquement à la louange du cardinal de Richelieu? (On applaudit.) Il a aussi à ses pieds des esclaves enchaînés; mais ce sont des emblèmes qui représentent les vices; les amis de la liberté n'en sont point offensés!

» Je crois qu'il ne faut pas toucher à la statue de Louis XIV. La philosophie doit consacrer ce monument pour montrer à la postérité comment on flattait les rois. Louis XIV fut trop flatté pendant sa vie, mais trop méconnu après sa mort. C'est un roi qui n'avait peut-être pas autant de grandeur dans le génie que dans le caractère; mais il est toujours digne du nom de grand, puisqu'il a agrandi son pays. Quand vous érigerez des monumens vous ferez voir la différence qu'il y a du dix-septième au dix-huitième siècle; vous leur donnerez un but moral qui élevera l'âme des rois; mais il ne faut pas

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