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SÉANCE MÉMORABLE

ABOLITION DE LA NOBLESSE.

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DU 19 JUIN 1790.

DISCUSSION. Orateurs MM. Alexandre et Charles de Lameth, Lambel, de La Fayette, de Noailles, le Pelletier de Saint-Fargeau, l'abbé Maury, Mathieu de Montmorency, etc.

La séance du 19 juin 1790 acheva la révolution. Cette séance serait la plus célèbre de l'Assemblée nationale si elle n'eût été préparée et pour ainsi dire enfantée par celle du 4 août 1789. Ici l'Assemblée prononce la destruction de la féodalité et de tous les priviléges qui s'opposaient à l'égalité garantie par la Déclaration des Droits : là elle proscrit jusqu'aux mots qui rappelaient le souvenir des priviléges et des distinctions; elle abolit ces titres que l'orgueil et le despotisme attachent aux noms qui ne s'honorent pas d'eux-mêmes, ces titres inventés pour abaisser le mérite, pour élever la nullité; enfin la muse de la comédie, qui depuis plusieurs siècles en grossissait son domaine, se voit seule en possession des barons, des marquis, des vidames, etc., etc. Le décret du 19 juin 1 1790, jour glorieux pour l'Assemblée, et bien cher souvenir pour tout homme qui sent sa dignité, était donc une conséquence nécessaire des décrets du 4 août 1789.... En même temps il est le précurseur de cette autre mesure en vertu de laquelle le titre insignifiant de monsieur tombera devant la qualité vraiment noble de CITOYEN.

Des particularités remarquables, un enchaînement de circonstances uniques, ont encore ajouté à l'intérêt de ce beau jour, dont nous allons retracer la séance avec la simpli-. cité que réclament les grandes choses; et si d'abord nous en avons annoncé le résultat, nous donnerons pour excuse cette heureuse expression d'un de nos écrivains, « c'est qu'au moment d'une victoire on ne la raconte pas, on » la chante, »>

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SÉANCE DU 19 JUIN 1790, AU SOIR. (Président, M. de Menou, en l'absence de M. l'abbé Syeyes.

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Plusieurs députations viennent offrir leurs reconnaissans hommages à l'Assemblée nationale; elles demandent et obtiennent la permission de prêter dans son sein le serment civique, et de le déposer signé sur le bureau.

Mais une réunion de braves a fixé tous les regards; ce sont les vainqueurs de la Bastille : M. Camus est l'interprète de leurs sentimens. M. Camus, au nom du comité des pensions, retrace les services de ces premiers héros de la révolution; il les montre trop au-dessus des récompenses ordinaires pour que le mot pension s'attache au souvenir de leur dévouement sublime. Il propose en leur faveur un décret qui sur le champ est adopté par acclamation, et dont voici les principales dispositions :

« L'Assemblée nationale, frappée d'une juste admiration pour l'héroïque intrépidité des vainqueurs de la Bastille, et voulant leur donner, au nom de la nation, un témoignage public de la reconnaissance due à ceux qui ont exposé et sacrifié leur vie pour secouer le joug de l'esclavage et rendre leur patrie libre ;

» Décrète qu'il leur sera fourni unhabit uniforme et un armement complets. Sur le canon du fusil et sur la lame du sabre sera écrit: Donné par la nation à..... vainqueur de la Bastille. Il leur sera délivré un brevet honorable pour exprimer la reconnaissance de la patrie. Un brevet honorable sera aussi délivré aux reuves de ceux qui ont péri au siége de la Bastille. Lors de la Fédération du 14 juillet il leur sera désigné une place où la France puisse contempler à loisir les premiers conquérans de la liberté. Leur nom sera inscrit dans les archives de la nation. L'Assemblée nationale se réserve de prendre en considération ceux à qui elle doit des gratifications pécuniaires.

Une députation qui resta sans exemple, une députation vraiment universelle, se présente devant l'Assemblée; elle est composée d'Américains, d'Anglais, de Prussiens, de

Siciliens, de Hollandais, de Russes, de Polonais, d'Allemands, de Suédois, d'Italiens, d'Espagnols, de Brabançons, de Liégeois, d'Avignonais, de Suisses, de Génevois, d'Indiens, d'Arabes, de Caldéens, etc. Un Prussien, M. le baron de Cloots, orateur du comité des Etrangers, porte la parole :

« Messieurs, le faisceau imposant de tous les drapeaux de l'empire français, qui vont se déployer le 14 juillet dans le Champ-de-Mars, dans ces mêmes lieux où Julien foula tous les préjugés, où Charlemagne s'environna de toutes les vertus; cette solennité civique ne sera pas seulement la fête des Français, mais encore la fête du genre humain. La trompette qui sonna la résurrection d'un grand peuple a retenti aux quatre coins du monde, et les chants d'allégresse d'un chœur de vingt-cinq millions d'hommes libres ont réveillé des peuples ensevelis dans un long esclavage. La sagesse de vos décrets, messieurs, l'union des enfans de la France, ce tableau ravissant donne des soucis amers aux despotes et de justes espérances aux nations asservies.

» A nous aussi il est venu une grande pensée, et oserionsnous dire qu'elle fera le complément de la grande journée nationale! Un nombre d'étrangers de toutes les contrées de la terre demandent à se ranger au milieu du Champ-deMars, et le bonnet de la liberté qu'ils éleveront avec transport sera le gage de la délivrance prochaine de leurs malheureux concitoyens. Les triomphateurs de Rome se plaisaient à traîner les peuples vaincus liés à leurs chars; et vous, messieurs, par le plus honorable des contrastes, vous verrez dans votre cortége des hommes libres dont la patrie est dans les fers, dont la patrie sera libre un jour par l'influence de votre courage inébranlable et de vos lois philosophiques. Nos vœux et nos hommages seront des liens qui nous attacheront à vos chars de triomphe.

» Jamais ambassade ne fut plus sacrée. Nos lettres de créance ne sont pas tracées sur le parchemin; mais notre mission est gravée en chiffres ineffaçables dans le cœur de tous les hommes, et, grâce aux auteurs de la Déclaration

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des Droits, ces chiffres ne seront plus inintelligibles aux tyrans.

» Vous avez reconnu authentiquement, Messieurs, que la souveraineté réside dans le peuple: or, le peuple est partout sous le joug de dictateurs qui se disent souverains en dépit de vos principes. On usurpe la dictature; mais la souveraineté est inviolable, et les ambassadeurs des tyrans ne pourraient honorer votre fête auguste comme la plupart d'entre nous, dont la mission est avouée tacitement par nos compatriotes, par des souverains opprimés.

» Quelle leçon pour les despotes! Quelle consolation pour les peuples infortunés, quand nous leur apprendrons que la première nation de l'Europe, en rassemblant ses bannières, nous a donné le signal du bonheur de la France et des deux mondes!

>> Nous attendrons, messieurs, dans un respectueux silence, le résultat de vos délibérations sur la pétition que nous dicte l'enthousiasme de la liberté universelle. >>

Après les applaudissemens provoqués par ce discours, M. le président de l'Assemblée nationale répond à la députation :

<< Messieurs, vous venez prouver aujourd'hui à l'univers entier que les progrès que fait une nation dans la philosophie et dans la connaissance des droits de l'homme appartiennent également à toutes les autres nations. Il est dans les fastes du monde des époques qui influent sur le bonheur ou le malheur de toutes les parties du globe; et la France ose aujourd'hui se flatter que l'exemple qu'elle vient de donner sera suivi par les peuples, qui, sachant apprécier la liberté, apprendront aux monarques que leur véritable grandeur consiste à commander à des hommes libres, et à faire exécuter les lois, et qu'ils ne peuvent être heureux qu'en faisant le bonheur de ceux qui les ont choisis pour les gouverner.

» Oui, messieurs, la France s'honorera en vous admettant à la fête civique dont l'Assemblée nationale vient d'ordonner les préparatifs; mais, pour prix de ce bienfait, elle

se croit en droit d'exiger de vous un témoignage éclatant de reconnaissance.

»

Après l'auguste cérémonie retournez dans les lieux qui vous ont vu naître; dites à vos monarques, dites à vos administrateurs, quelque nom qu'ils puissent porter, que s'ils sont jaloux de faire passer leur mémoire à la postérité la plus reculée, dites-leur qu'ils n'ont qu'à suivre l'exemple de Louis XVI, le restaurateur de la liberté française! »

Les applaudissemens recommencent avec enthousiasme. Sur la proposition de M. de Fermont, il est unanimement décidé que le discours de la députation et la réponse du président seront imprimés ensemble et consignés dans le procès-verbal. Un Arabe voulut témoigner sa reconnaissance à l'Assemblée; mais la difficulté avec laquelle il s'exprima en français ne permit pas de recueillir ses paroles. Voici la réponse que lui fit le président :

« C'est l'Arabie qui jadis a donné à l'Europe des leçons de philosophie; c'est elle qui, ayant conservé le dépôt des sciences exactes, a répandu dans le reste du monde les connaissances sublimes de toutes les parties des mathématiques.

» Aujourd'hui la France, voulant acquitter la dette de l'Europe, vous donne des leçons de liberté, et vous exhorte à les propager dans votre patrie.

»

Les cœurs s'élèvent, les esprits s'agrandissent au spectacle des grandes choses; c'est ainsi que M. Alexandre de Lameth se montra à la hauteur des sentimens que devaient inspirer ces diverses circonstances en faisant à l'Assemblée la proposition qui suit :

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M. Alexandre de Lameth.

Lorsque toutes les nations proclament notre liberté, lorsque tout retentit de ce nom sacré au milieu et autour de nous, resterons-nous, messieurs, resterons-nous encore environnés de ces monumens que le despotisme s'est fait élever par la servitude? Lorsque de toutes les parties du royaume les Français vont se rassembler dans la capitale pour resserrer plus étroitement encore le nouveau pacte social, pour en faire

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