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mais il ne devait pas gouverner un peuple déja v. Ep. usé par la civilisation. Il aurait pu régner où les mœurs eussent régné avec lui : il eût été à la fois la loi et le modèle, le précepte et l'exemple; mais les convulsions d'une société émue et troublée par une fermentation révolutionnaire, étaient un élément trop étranger au caractère de ses vertus. Il eût peut-être pu régner dans un âge d'or : il fut condamné à gouverner un siécle de fer; aucune de ses qualités n'était contemporaine de son siécle.

Ce jour fut la dernière chance que lui pré- 24 juin. senta la fortune; éconduite et refusée, elle se retira rebutée et confuse. Plusieurs partis furent proposés; rassembler autour de lui une force de la garde nationale: peu de jours après, on en fit l'essai. On annonça une nouvelle attaque; la générale réunit 30 mille citoyens armés pour défendre le roi de la constitution: on se contenta de cette vaine parade, et l'on ne prit aucun moyen pour les retrouver au besoin. On lui offrit ensuite de sortir de Paris secrètement; il objecta la dignité : on lui proposa d'en sortir en écrivant ses motifs à l'assemblée ; il objecta la sureté; enfin, il refusa l'offre de Lafayette de le conduire à Compiègne, et de l'entourer d'une armée de la constitution et de la loi. Ce service lui parut trop pénible à recevoir. C'est alors que

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V. Ep. la reine laissa échapper cette parole, que l'événement a rendu si remarquable: << Ce qui pour<< rait arriver de plus heureux pour le roi et « pour nous, serait d'être enfermés dans une

<<< tour. »

De cette époque du 20 jain, il faut aussi dater beaucoup de circonstances et d'opinions qui ne peuvent s'expliquer que par cet événement. La cour, qui ne vit plus rien à attendre du dedans, se livra toute aux, systèmes étrangers, et n'espéra plus que dans les secours du dehors. Peutêtre même ceux qui la dirigeaient contribuèrent aux événements qui rendaient cette ressource unique. Le renvoi des ministres de la Gironde n'avait pas mis en place ceux qui auraient voulu les remplacer. Le parti révolutionnaire, la montagne, la Gironde, les jacobins, n'avaient pas réussi eux-mêmes à composer un ministère à leur gré. L'explosion du 20 juin n'avait rempli aucun des objets que l'on s'était proposés ; l'outrage n'avait produit que du scandale, et l'injure avait été repoussée par la dignité; fidelles au système révolutionnaire, il était impossible de reculer, et c'était un axiome que tout mouvement rétrograde, toute marche en arrière causait une chute. L'étranger avait un motif ou un prétexte de plus. On ne pouvait plus songer à traiter; plus on s'était engagé en avant, plus

il

il devenait nécessaire de rendre la retraite im- V. Ep." possible; on avait brûlé ses vaisseaux, il fallait 1794 périr ou vaincre. Le 20 juin força le 10 août.

Le roi lui-même, à cette époque, paraît avoir changé son système: tant qu'il crut pouvoir espérer de la chose publique, et que la constitution qu'il avait acceptée pouvait marcher, il essaya, s'y porta avec franchise, et fut de bonnefoi; mais lorsqu'il se vit entouré de pièges tendus par tous les partis; lorsqu'il vit qu'il fallait s'abandonner à l'un des partis pour pouvoir lutter contre les autres; lorsqu'il vit qu'en prenant son conseil dans un parti, les autres le poursuivaient à outrance, et qu'en composant son conseil de tous les partis, il se neutralisait par les efforts opposés; fatigué, épuisé d'une lutte inégale et inutile, il se livra à sa destinée, abandonna aux mains qui voulurent s'en emparer le gouvernail qu'il ne pouvait plus tenir; et se soumettant d'avance à toute la responsabilité des évé-, nements, il les laissa s'arranger autour de lui au gré du sort, ou de ceux qui voulurent les produire ou les diriger. Toutes ses relations les plus confidentielles avec ses ministres, dans ces derniers temps, montrent un découragement total, et l'abandon, à une fatalité inévitable et prévue.

Le nouveau ministère, composé d'hommes opposés aux jacobins, eut encore le courage Tome II.

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V. Ep. d'entrer en lutte avec eux. Terrier-Montciel essaya, mais seulement assez pour prouver l'inégalité des forces et l'inutilité des efforts. Du23 juin. ranthon avait quitté le ministère de la justice après avoir tenté d'allier la fidélité à ses amis et à ses principes. Une nouvelle députation du faubourg Saint-Antoine vint apporter à l'assemblée l'assurance d'être soutenue dans tout ce qu'elle entreprendrait, et l'invitation de tout entreprendre. Dans les écrits, dans les affiches, dans les groupes, on demandait hautement la chute du trône et celle du monarque, et sur ces faits, dénoncés à l'assemblée, on passait à l'ordre du jour, non pas que tel fût le vœu même des amis les plus zélés de la liberté; mais on voulait gouverner, et pour cela, donner au roi des

ministres.

Cependant les événements du 20 juin étaient parvenus aux armées; celle de Lafayette était campée sous Bavai, occupant un poste destiné à tenir en échec une partie des troupes ennemies et par cette diversion, les empêcher de gêner les mouvements offensifs de l'armée de Lukner. Lafayette était le général de la constitution : les scènes du 20 juin exigeaient de lui une démarche qui détournât de lui tout soupçon à cet égard; quel que dût être le succès, c'était un devoir de le tenter. Il prit deux jours pour assurer la position de son armée pendant son absence, et

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partit pour Paris. En passant à Soissons, il vit V. Ep.. les corps administratifs, qui louèrent son dévouement lui en prédirent l'inutilité, et l'avertirent de ses périls. Il arriva seul, le 28, descendit a8 juin chez La Rochefoucault, président du département, concerta quelques mesures, et alla se présenter à la barre. Il commença par rassurer sur l'état de l'armée, soutint sa lettre du 16, et prenant ensuite son texte des événements du 20 juin, conjura l'assemblée d'en ordonner la poursuite juridique, et désigna les jacobins. Son discours fut accueilli par des applaudissements, et le président l'invita à prendre place, qu'il prit d'abordsur le banc des pétitionnaires. Alors Guadet, dans un discours artificieux et adroit, l'attaqua sur son absence de l'armée, sur l'inconvenance de ses conseils au corps législatif, et finit par demander qu'il fût interrogé par le président, si, ou non, il avait un congé pour quitter son poste. Cette formalité ne tenait en rien au fond de la question et aux événements du 20 juin; mais il était nécessaire de rassurer le parti, et de montrer que la présence de Lafayette n'imposait pas. Après une discussion et un appel nominal, son discours fut envoyé à la commission des douze. Retiré chez lui, Lafayette prit la mesure des forces dont il pouvait disposer. Une revue de la première division de la garde nationale, commandée par Acloque, était indi

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