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l'information des délits de haute trahison, et pour l'arrestation des prévenus. Ce pouvoir nouveau qui créait une sorte d'inquisition politique locale, ne sortit son effet que longtemps après; mais quand la terreur fut à l'ordre du jour, elle trouva ses tribunaux tout organisés, leurs fonctions déterminées, leur pouvoir reconnu, et pour en activer l'exercice, il ne fallut que changer ou choisir les membres qui les composèrent; cependant cette influence révolutionnaire qui maîtrisait si souvent l'assemblée sur les choses, échouait quelquefois contre les personnes. Les dénonciations, les rapports même n'avaient pu frapper deux ex-ministres, Montmorin et Bertrand un encore, Duport-Dutertre, était sous le poids d'une accusation. Duport, avocat à Paris, avait été un de ceux qui, dans la réunion des électeurs, au temps de l'explosion du 14 juillet, avait le mieux servi la chose publique: ensuite, comme membre de la commune, il avait, pendant les années de la première session de l'assemblée constituante, beaucoup aidé au maintien de la police de Paris ; il en exerçait les fonctions, lorsqu'il fut choisi pour être garde-des-sceaux et ensuite ministre de la justice. Au départ du roi, lors de son arrestaion à Varennes, embarrassé par l'injonction du roi, de ne faire aucun usage du sceau de l'état pendant son absence, Duport s'était fait relever de cette

défense par un décret. Homme d'un esprit droit v.• Ep. et juste, et d'un caractère ferme et éprouvé, il 1792. avait suivi le sort du ministère lors du déplacement général qui en avait changé tout le système; depuis, rendu à la simplicité de sa vie privée, on ne pouvait l'y attaquer. Son administration fut recherchée et inculpée dans un long rapport d'accusations, tellement vagues, incohérentes et isolées, qu'après une défense modérée, mais décisive, prononcée par Beugnot, l'accusation fut presque unanimement rejetée, ou plutôt ajournée au temps où la probité ne devait plus trouver de défenseur, où la loi même ne lui permettrait plus d'en avoir.

Aux mesures de prévoyance, on en ajouta de plus actuelles. Le ministre de la guerre, Servan, avait succédé au général Grave. Celui-ci, préférant les périls de la guerre aux tracasseries de la tribune, avait donné sa démission et pris son poste à l'armée. La garde du roi était licenciée, L'opposition détruite, il restait à créer une force d'attaque. Servan, dans un rapport imprévu et qu'il n'avait point communiqué au roi, proposa, à l'occasion de l'anniversaire de la fédération, d'appeler cinq hommes armés par chaque canton, et d'en former un camp de vingt mille hommes sous les murs de Paris. Cette idée convenue d'avance, fut accueillie par l'assemblée, discutée et arrêtée aux jacobins, en

4 juina

V. Ep. fin décrétée. Cette mesure effraya par ses 1793. suites. L'influence des sociétés affiliées assurait

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le choix des cinq hommes par canton, et leur réunion formait une force armée aux ordres de ceux dont les projets se développaient chaque jour.

A la suite de la dénonciation du comité autrichien par Chabot, un député peu connu, 4 juin. prit la parole: « Et moi aussi, dit-il, je viens dénoncer une faction, la faction d'Orléans. » Son discours, à la fois,véhément, pressé, décousu, semblait fait pour éloigner l'attention par le ridicule, et pour détourner les soupçons par l'incohérence des motifs de suspicion. Cependant les rapprochements étaient sensibles, les indications assez appuyées de vraisemblance, pour que, malgré le peu d'importance qu'y mit l'assemblée, l'affaire fût traitée plus gravement aux jacobins, où plusieurs orateurs se firent un devoir de repousser une idée, que l'on ne voulait point voir accueillie. On se hâta de la traiter comme une chimère; et déja alors on parlait avec avantage de l'aîné des jeunes princes de cette maison. Le parti d'Orléans n'était pas alors une faction qui suppose une association s'avouant et se connaissant. Des chefs habiles savent se rallier à un parti avoué et connu, tel qu'était celui des patriotes exaltés, s'y ménagent avec suite et avec art, une prépondérance d'habitude; et,

éloignant tout ce qui n'est pas leur plan, peuvent attendre et espérer du concours des événements, que leur plan débarrassé de tout obstacle, devienne un plan unique et nécessaire. Le parti des Guise n'arriva pas à son but; mais il exista.

Pour ne pas quitter le fil souvent très-brouillé de ces différentes intrigues, il ne faut pas perdre pás de vue que tous ces partis n'existaient point en masses réunies; on pourrait, avec justesse, les comparer à ces corps militaires que l'on appelle des cadres, où les chefs et les personnages destinés au commandement, existent d'avance, clas

sés et organisés, en attendant que la troupe des soldats vienne remplir les intervalles que l'ordre de bataille laisse entre eux. Or, la masse imposante des citoyens était patriote, aimait, voulait la liberté; le grand nombre même des exagérés l'étaient de bonne-foi et ne croyaient pas l'être. L'exagération était le résultat de la disposition des esprits, et plus souvent une suite de la fermentation que produit toujours la réunion pressée des individus. Tel avait fait un chemin prodigieux dans la carrière, qui ne s'apercevait pas qu'il eût avancé. Les discussions journalières dans les clubs, échauffaient les têtes, exaltaient les ideés; le très-grand nombre n'y prenait aucune part active, écoutait seulement la parole, et croyait. L'affluence, le spectacle, l'importance des matières, le ton, le geste, la

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V. Ep. vélémence, la réputation des orateurs, faisaient en politique ce que ces mêmes moyens avaient souvent fait en religion, des fanatiques, des persécuteurs et des martyrs. L'atmosphère seule de ces rassemblements agités, suffisait pour exalter les fluides nerveux et les esprits moteurs de l'organisation physique. L'émulation ajoutait encore à l'effervescence. La société des cordeliers voyait avec indulgence le modérantisme de la société des jacobins, et tel club existait dans Paris, pour qui les cordeliers n'étaient pas exempts d'aristocratie. Si l'excès de fermentation ne produisit pas la dégénérescence des humeurs, și, comme en Allemagne et en Angleterre, l'épuisement ne produisit pas des sectes religieuses qui, pâr principes, s'isolèrent de la société, et y renoncèrent, ne pouvant plus en supporter l'agitation, c'est que l'agitation et le tumulte furent tels, qu'ils ne permirent même pas à ces sectes de s'établir. Après l'inflammation, à force de stimulants, on évita la gangrène.

Les chefs seuls, qui donnaient l'exagération sans la partager réellement, avaient un plan secret, par intérêt personnel, par dévouement à des systèmes ou à des personnes. Le parti d'Orléans n'était pas plus coupable que tout autre. Un changement de dynastie ne l'était pas plus qu'un changement de gouvernement quelcon

que.

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