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§ Ier. Quels jugements sont susceptibles d'appel?

L'appel est une voie de recours commune aux jugements de police et aux jugements des tribunaux correctionnels. Mais des principes différents en règlent l'exercice à l'égard des uns et des autres.

Sous l'empire de la constitution de l'an III et du code du 3 brumaire an IV, tous les jugements des tribunaux de simple police étaient en dernier ressort et ne pouvaient être attaqués que par voie de cassation. Le législateura modifié une prohibition aussi absolue: ila considéré que si les condamnations de simple police n'impriment, en général, aucune flétrissure, et si le droit d'appeler dans tous les cas serait un présent funeste aux parties, ces motifs n'ont pas la même puissance lorsque la peine revêt un certain caractère de gravité; et les deux degrés de juridiction sont alors un droit dont on ne doit pas priver arbitrairement les parties. Aux termes de l'art. 172, C. Inst. Cr.,les jugements de police ne peuvent être attaqués par la voie de l'appel que lorsqu'ils prononcent un emprisonnement ou une condamnation pécuniaire excédant cinq francs, outre les dépens. Cet article a donc dérogé, pour les cas qu'il a expressément déterminés, à la règle générale suivie jusqu'alors; mais il l'a maintenue dans tous les cas qu'il n'a pas compris dans cette exception; d'où il suit que les jugements de police ne sont susceptibles d'appel que dans les cas strictement spécifiés par la loi (1).

On doit décider, par une conséquence de ce principe, que c'est l'objet de la condamnation et non l'objet de la demande qui règle si le jugement est susceptible d'appel; en d'autres termes, que la recevabilité de l'appel se juge non d'après les conclusions des parties, mais d'après les condamnations prononcées. La raison eu est dans les termes de l'art. 172, qui donnent pour base au droit d'appel l'emprisonnement prononcé et les amendes et répara tions civiles encourues. Cependant cette règle fut pendant quelque temps controversée (2); mais toute incertitude a cessé cet égard, et la jurisprudence n'offre aucune dissidence sur ce point (3). D'après la même règle, les jugements qui n'excèdent pas, en amendes et en réparations civiles, une somme de cinq francs, sont en dernier ressort, soit que la partie civile ait conclu à des dommages-intérêts de plus de cinquante francs (4), soit que la condamnation soit le résultat d'une fausse application de la loi pénale (5), soit enfin que le jugement soit une déclaration d'incompétence (6), ou que le tribunal de police ait sursis à statuer (7).

(1) Arr. cass. 10 avril 1812.

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(2) Voy. Bourguignon, Man. d'instr. crim., sur l'art. 172; Carnot, Comm. du C. d'instr. crim., tom. 1, p. 496; Legraverend, tom. 2, p. 350.

(3) Arr. cass. 26 mars 1813, 5 sept. 1811, 10 avril 1812, 29 janv. 1813. (4) Arr. cass. 20 fév. 1823.

(5) Arg. de l'arr. cass. 11 fév. 1819.

(6) Arr. cass. 31 déc. 1818, 18 juill. 1817, 24 juill. 1829, rapp. dans notre art. 209.

(7) Arr. cass. 25 juin 1824.

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Mais si la condamnation prononcée, soit en amendes, soit en réparations, excède la valeur de cinq francs, l'appel est de droit (1); tels sont les jugements qui, outre l'amende de cinq francs, condamnent le contrevenant à remplir une condition d'une valeur indéterminée, comme l'enlèvement de matériaux déposés sur la voie publique (2), la démolition d'ouvrages faits en contravention à uu réglement de voirie (3), ou la confection de certains travaux (4). Ces diverses décisions n'offraient aucun doute sérieux; mais l'ordre de ne plus commettre telle voie de fait à l'avenir, de ne pas récidiver, ne pourrait être considéré comme une condamnation d'une valeur inappréciable ou indéterminée, et ne donnerait pas ouverture à l'appel du jugement (5).

L'appel d'un jugement qui a prononcé une amende de cinq francs et un emprisonnement, doit-il être déclaré non recevable, par le motif que cette condamnation est la suite d'une fausse application de la loi? La négative est évidente, puisque la disposition de l'article 172 est générale et absolue ; que la nécessité de son exécution n'est point subordonnée au caractère du moyen par lequel le jugement peut être attaqué, et qu'elle dépend uniquement de la nature et de la quotité de la condamnation qu'il prononce (6). On doit remarquer que la loi n'excepte que les dépens de la fixation qu'elle fait de la somme de cinq francs pour déterminer la qualité de premier ou de dernier ressort du jugement rendu (7); que le montant des amendes doit être supputé avec les réparations civiles; et que la loi ne distinguant point entre les réparations, la confiscation, qui est aussi une réparation civile, est nécessairement comprise dans le compte qui sert à fixer la nature du jugement (8).

Arr. cass. 11 sept. 1818.
Arr. cass. 9 août 1828

(3) Arr. cass. 8 janv. 1830, ainsi conçu : «Attendu, sur le premier moyen de pourvoi, fondé sur ce que l'appel du jugement du tribunal de police n'était pas recevable, puisqu'il ne prononçait pas une amende supérieure à la somme de cinq francs; qu'aux termes de l'art. 172, G. instr. crim., les jugements de police peuvent être attaqués par la voie de l'appel lorsque les amendes, restitutions et autres réparations civiles excéderont la somme de cinq francs; que le jugement attaqué par cette võié prononçait non-seulement une amende de cinq francs, mais encore la démolition de tous les travaux faits en contravention, ce qui élevait les condamnations prononcées à une somme supérieure à celle déterminée par l'arrêt précité :- - Rejette,» (4) Arr. cass. 3 mai 1833, ainsi conçu: Sur le deuxième moyen, tiré de ce que le jugement n'ayaut prononcé qu'une amende d'un franc, l'appel était non recevable suivant l'art. 172, G. instr. crim. : Attendu qu'en cutre l'amende d'un franc prononcée contre les demoiselles Cabrillon, le jugement du tribunal de police leur a ordonné d'ouvrir un fossé sur leur propriété, conformément au tracé qui serait fait par le maire, parce que, faute par elles de faire ce travail dans le délai de huit jours, le maire était autorisé le faire exécuter à leurs frais et dépens; que cette deuxième disposition constitue une condamnation d'une valeur indéterminée, et rend dès lors sans application l'art. 172:- Rejette..

(5) Arr. cass. 30 juillet 1825.

96) Arr. cass. 11 fév. 1819..
(7) Arr. cass. 24 juillet 1828.

(8) Legraverend, tom. 2, pag. 350.

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Néanmoins cette règle, qui rend susceptibles d'appel tous les jugements qui prononcent une condamnation supérieure à cinq francs, reçoit une exception dans le cas où la contravention a été portée devant le tribunal eorrectionnel: ce tribunal, si le renvoi devant le juge de police n'a pas été requis, statue en dernier ressort (art. 192, C. instr. crim.). C'est ainsi qu'il a été jugé que l'appel d'un jugement correctionnel qui a statue sur une simple contravention n'est recevable qu'autant qu'il est articulé que les faits ont été mal appréciés (1). C'est encore ainsi qu'il a été reconnu que lorsque des prévenus ont été traduits devant le tribunal correctionnel sous la double prévention d'un délit correctionnel et d'une contravention de police, et n'ont été déclarés coupables que de la contravention, l'appel n'est pas recevable (2)+21

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Telles sont les principales règles qui servent à discerner quels jugements de simple police sont susceptibles d'appel. Les deux classes de jugements qui viennent d'être définies n'existent point en matière correctionnelle. Aux termes de l'art. 199, tous les jugements rendus en cette matière peuvent être attaqués par la voie de l'appel; mais cette disposition, quelque géné¬ rale et absolue qu'elle soit, fait naître cependant une question grave.

La voie de l'appel s'applique-t-elle non-seulement aux jugements interlocutoires et définitifs, mais encore aux jugements qui sont simplement préparatoires? Cetted istinction, établie par l'art. 451 du C. de proc. civ., doitelle s'étendre aux matières correctionnelles M. Legraverend a soutenu la negative, en se fondant sur ce que la procédure criminelle est essentielle-" ment distincte de la procédure civile ; que les règles applicables à l'une ne peuvent être appliquées à l'autre, et que le Code d'instr. crim. n'établit aucune restriction au droit d'appel des jugements correctionnels (3). Mais cette opinion n'a point été adoptée par les autres criminalistes (4), et la jurisprudence y a constamment résisté (5). La distinction établie entre le jugements préparatoires et ceux qui sont définitifs domine toute la législation; non-seulement elle existe dans l'art. 451, C. pr. civ., on la retrouve encore dans l'art. 416, G. d'instr.crim. L'appel des jugements préparatoires en matière correctionnelle serait donc une anomalie dans la loi; et aucun motif ne justifierait cette exception, puisque l'appel de ces jugements, d'ailleurs essentiellement provisoires et qui ne préjugent pas le fond, entrafnerait des retards qu'on doit sur-tout éviter dans une matière qui exige une grande célérité.

Mais il en est autrement des jugements interlocutoires, parce qu'ils préjugent le fond, et des jugements qui prononcent sur la compétence, parce qu'ils ont le caractère de jugements définitifs. La question de savoir si un

(1) Arr. cass. 24 avril 1829, rapporté dans notre art. a44. (2) Arr.cass. 4 août 1832.

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(3) Législat. crim., tom. 2, pag. 398. Arr. Limoges, 12 mai 1826. (4) M.Carnot, sur le C. d'instr. crim., tom. 1, pag. 564 et 565; M. Bourguignon, sur l'art. 199. 82.77A (6) (5) Arr. cass. 2 août 1810, 1 février 1811 et 8 thermidor an 13. Ces arrêts, quoique rendus sous l'empire du Code de brumaire, conservent leur autorité, puisque l'art. 199, C. instr. crim. n'est que la reproduction de l'art. 198 du Code de l'an 4. — Arr. cass. 24 août 1852, rapp. dans notre art. 9ā1.

jugement est purement préparatoire, ou s'il préjuge le fond n'est pas toujours d'une solution facile. Nous recueillons dans la jurisprudence quelques exemples qui peuvent servir de règle à cet égard.

La Cour de cassation a considéré comme ayant un caractère définitif, et par suite comme susceptibles d'appel, 1o le jugement qui ordonne que la partie civile fera les frais d'une expertise ordonnée pour vérifier si le lieu d'une saisie est ou non hors de la ligne des douanes (1); 2o le jugement qui ordonne une nouvelle instruction à l'égard d'un prévenu précédemment acquitté par le jury (2); 3o le jugement qui raie une cause du rôle en déci. dant que la partie civile ne peut procéder sans l'assistance d'un avoué (3) ; 4° le jugement qui statue sur une exception préjudicielle et renvoie les parties à fins civiles (4).

Mais le jugement qui ordonne l'apport d'une pièce ne constitue qu'un jugement préparatoire et d'instruction, dont l'appel ne peut être interjeté qu'après le jugement définitif, et conjointement avec l'appel dirigé contre le jugement (5). La jurisprudence va plus loin encore à l'égard du jugement qui refuse d'accorder à un prévenu sa liberté provisoire, en décidant qu'un tel jugement n'est susceptible d'aucun appel. Mais cette solution ne se fonde pas tant sur ce qu'un jugement de cette nature ne préjuge pas le fond, que sur ce que l'art. 114, C. inst. crim., a conféré à la chambre du conseil le pouvoir discrétionnaire d'ordonner ou de refuser la mise en liberté (6).

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Mais, et c'est ici une autre différence qui distingue les jugements correctionnels des jugements de police, les premiers peuvent toujours êtré atta→ qués par appel lorsqu'ils déclarent l'incompétence du tribunal (7); mais il· est nécessaire que le tribunal saisi ait statué sur cette question avant d'en faire un moyen d'appel (art. 539, G. inst. crim.). Ainsi l'appel pour cause d'incompétence d'une ordonnance du juge d'instruction ne serait pas recevable si l'incompétence n'avait pas été présentée à ce juge (8). Cependant le ministère public ne serait pas déchu du droit de former appel pour incompétence du tribunal correctionnel, parce qu'il n'aurait pas fait opposition à l'ordonnance de la chambre du conseil qui renvoyait l'affaire en police correctionnelle; car le droit d'appel est établi en sa faveur d'une manière générale et absolue, et la loi n'a nulle part prononcé de déchéance pour le cas dont il s'agit (9).

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Au reste, l'appel est recevable encore bien que les premiers juges aient déclaré par erreur statuer en dernier ressort (10). Il est évident que les parties ne peuvent être privées du droit qu'elles tiennent de la loi par suite

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de l'erreur da juge. Nous avons vu plus haut que cette décision s'appliquait également aux jugements de simple police.

Peut-on appeler d'un jugement qui déclare qu'il y a partage? Cette question neuve été résolue affirmativement par arrêt du 24 août 1832 (1). Le principe posé en l'art. 12, tit. xxv, de l'ordonnance de 1670, portant qu'en cas de partage l'avis le plus doux doit prévaloir, est applicable aux matières correctionnelles comme aux matières criminelles, puisqu'aucune disposition du Code n'y fait obstacle. Un jugement de partage équivaut donc à un acquittement; et dès lors une telle décision, loin d'avoir un caractère purement préparatoire, est définitive entre les parties: l'appel est de droit. Il nous reste à examiner, dans ce premier article, sur quels jugements le droit d'appel conféré au ministère public peut s'exe cer.

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Et d'abord les jugements de simple police sont-ils sujets à l'appel du ministère public? Cette question a été vivement controversée. M. Legraverend (2) et M. Carnot (5) enseignent que le ministère public le droit d'appeler des jugements de police dont les condamnations excèdent cing francs. Cette opinion nous semble formellement repoussée par le texte e la loi c'est aux parties condamnées seules que l'art. 172 donne le droit d'appel; le ministère public n'a, aux termes de l'art. 177, que la voie du recours en cassation. Placez ces dispositions en présence des art. 199 et 202, qui s'appliquent aux matières correctionnelles, et cette interprétation devient plus évidente encore; car ici le droit du ministère public est clairement formulé, la loi en règle l'exercice; tandis qu'à l'égard des jugements de police elle reste muette. Et comment concilier l'appel du ministère public, qui agit dans l'intérêt de la vindicte publique, avec cette disposition qui ne soumet à l'appel que les condamnations les plus rigoureuses, les peines les plus graves? De sorte que le ministère public pourrait appeler du jugement qui lui aurait adjugé ses conclusions ou les aurait dépassées, et se trouverait privé de ce droit quand il y aurait acquittement, ou que la condamnation serait inférieure à ses réquisitions. Au reste, l'opinion que nous souteuons, adoptée par plusieurs criminalistes (4), a été consacrée par la jurisprudence, qui n'a même jamais varié sur ce point (5).

Il n'existe aucun obstacle à ce que le ministère public interjette appel d'un jugement rendu conformément à ses conclusions (6); mais peut-il exercer ce droit à l'égard d'un jugement auquel il a formellement acquiescé? La solution de cette question dépend de savoir si la théorie de l'acquiescement peut se concilier avec les principes de la législation criminelle. La Cour de cassation n'a pas hésité à le penser; mais elle a établi à cet égard une distinction que nous ne saurions admettre : si le prévenu acquiesce au jugement qui le condamne, il est déchu de l'appel; l'acquiescement du ministère public, au contraire, ne peut jamais lui être opposé (7).

(1) Voy. notre art. 931.

(2) Législat. crim., tom. 2, pag. 346.

(3) Comm. sur le C. d'instr. crim., tom. 1. pag. 502.

(4) Voy. M. Bourguignon, Jurispr. des Codes crim., tom. 1, pag. 395. (5) Arr. cass. 22 juillet 1818; 24 fév. 1827.

(6) Arr. cass. 25 fév. 1813; 11 juin 1825.

(7) Arr.cass, 2 fév. 1827; 5 nov. 1829, rapp. dans notre art. 274.

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