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grand État, & fans doute je verrai s'élever contre moi le préjugé qui s'élève naturellement contre un Particulier ifolé & qui annonce de grandes vues; mais un trait de lumière ne peut-il pas frapper fubitement l'homme le plus ordinaire & le moins Ipéculatif, tandis qu'il échappe aux génies les plus tranfcendans & les plus appliqués à fa découverte? Un fimple apperçu n'eft-il pas fouvent plus heureux que les méditations les plus profondes? Jofeph, fils de Jacob, cet Ifraélite que le hafard & la jalou fie de fes frères avoient expatrié en Egypte, étoitil rien moins qu'un spéculateur confommé, quand il confeilla à Pharaon des précautions contre la ftérilité dont il prévit que la terre alloit être frappée? Le Roi l'écouta cependant, fuivit fon confeil, & s'en trouva bien. Il dut à cet Étranger le falut de fes Peuples, la gloire de fon régne & l'immortalité dont il jouit dans l'Hiftoire. Que fait-on? J'aurai peut-être auffi bien rencontré que le fit Jofeph; peut-être rendrai-je à ma Patrie & à mon Roi des fervices auffi réels & plus durables que ceux que cet inconnu rendit à l'Egypte. Tout ce que je demande, c'eft qu'on veuille bien m'accorder quelqu'attention, & ne me condamner, fi je dois l'être, qu'après qu'on m'aura bien entendu.

Aujourd'hui la Providence a changé pour nous l'état de crife dont je viens de parler; elle nous

fait jouir à ce moment, & depuis cinq à fix ans déjà, d'une honnête abondance; mais nous a-t-elle promis que, toujours prodigue envers nous de fes dons, elle nous perpétueroit la conceffion de cette faveur ? Nous a-t-elle promis qu'elle fixeroit immuablement pour nous l'inconftance habituelle des faifons? Nous a-t-elle promis qu'elle nous préserveroit toujours & par-tout de l'effet des accaparemens & du monopole? Et s'il en eft autrement; s'il eft certain que ces évènemens, fi redoutables pour la pauvre humanité, font toujours choses poffibles, fommesnous fages d'en attendre tranquillement & fans précautions le retour? Je penfe & j'ofe dire le contraire.

Vous en penfiez de même en 1764, vous, qui cédant à nos inftantes follicitations, nous obtîntes de la bonté du feu Roi, la liberté de la fortie & de l'entrée des Grains dans le Royaume. Et vous étiez tellement convaincu de la néceffité de précautions, même très-étendues, que votre main, quoiqu'un peu raffurée par les modifications que votre prudence vous fuggéra d'appofer à la conceffion, ne traçoit encore qu'en tremblant, je l'ai vu, les difpofitions de l'Édit qui accorda cette liberté.

Miniftre vigilant & fage, on vous avoit démontré que la plénitude de nos greniers étoit un mal qui exigeoit ce remède; mais fon activité vous étoit connue; elle vous effrayoit; vous craigniez que

notre intempérance n'en fit un poifon. L'effet, hélas, n'a que trop juftifié vos craintes, puifqu'il eft vrai de dire que l'Édit du mois de Juillet 1764, malgré les modifications qu'il contenoit, émancipa des infenfés, délia des furieux & arma des brigans qui, depuis, ont porté la défolation dans toutes nos contrées.

Confolez-vous cependant; ces malheurs n'étoient ni dans votre intention, ni dans la Loi, & cette Loi fage, ci-devant la caufe occafionnelle de nos maux, va peut-être devenir la fource des plus grands biens; elle peut, conformément aux vues qui vous déterminèrent à la propofer, procurer des greniers dans nos Villes, produire une abondance perpétuelle dans ces greniers, & affurer par-tout la fubfiftance & la tranquillité des familles.

Mais je ne dois pas me diffimuler que pour en faire résulter ces avantages, j'ai, tout-à-la-fois, un fyftême très-étayé à combattre & un grand préjugé à vaincre.

Le systême est devenu l'idole de nos beaux efprits, l'enfant gâté de Philofophes favans, qui tous, ont écrit bien mieux qu'ils ne calculoient, & qui, même en fuppofant leurs intentions auffi pures que leurs fpéculations ont été malheureuses, ce que je fais affurément, ne se prêteront pas fans résistance à lui voir porter des chaînes.

Le préjugé eft un préjugé fpécieux, invétéré, prefque univerfel; un préjugé dont la destruction allarmeroit grand nombre d'efprits timides & incapables de fecouer le joug d'une vieille erreur; un préjugé dont l'existence intéreffe effentiellement une multitude de riches, parce qu'il eft l'aliment de leur opulence, comme il en a été la fource. A quelles contradictions ne dois-je pas m'attendre ?

D'un autre côté, je parle à une Nation dont ce fyftême & ce préjugé font le malheur, qu'ils affoibliffent, qu'ils dépeuplent chaque jour, furtout dans les campagnes, & dont ils opéreroient infailliblement la ruine, fi l'illufion n'en étoit enfin démontrée. Je parle à un Gouvernement dont l'intérêt le plus cher eft, fans contredit, de procu rer la gloire du Monarque & le bonheur de ceux qui vivent fous fes loix. Avec quelle confiance ne puis-je pas proposer mes vues?

Mais avant que d'expofer mon plan, venons au fyftême auquel je propoferai de le fubftituer.

SYSTÉME A REMPLACER.

Au fond d'une Province, où j'entretiens plufieurs charrues à la culture de terres que je fais valoir," & où je confulte, autant qu'il eft en moi, les Ecrits qui peuvent m'inftruire, foit à diriger ma culture,

foit à me procurer le débouché de mes productions, il me tomba entre les mains, vers la fin de l'année 1769, une brochure relative au Commerce des Grains, nouvellement imprimée, fous le titre de Représentations aux Magiflrats. Je jettai dès-lors fur le papier les idées qu'elle me fit naître; je follicitai de fuite la permiffion qui m'étoit néceffaire pour les publier; mais la vérité n'étoit pas mûre encore apparemment; elle ne l'eft pas toujours ni pour tous les tems. On m'impofa filence, comme je l'ai dit ailleurs (a).

Aujourd'hui que j'ai obtenu la permiffion de m'expliquer, je commence par féliciter tous ceux qui, avant moi, ont écrit fur le Commerce des Grains,

d'avoir folidement établi que les Campagnes méritent toute préférence fur les Villes; que pour encou rager la culture on doit enrichir le Cultivateur & lui accorder des diftinctions: je leur rends graces d'avoir voulu ainfi rétablir mon état d'Agricole dans fon ancien luftre, & j'applaudis au talent qu'ils ont employé pour y réuffir. Enfin, j'admets avec nos Philofophes modernes que « s'il eft un moyen » de pourvoir à la fubfiftance des Villes, en fai

fant le bien des Campagnes, celui-là feul eft bon, » & qu'il faut qu'il exifte ce moyen, fans quoi, ou

(a) Lettre à l'Auteur des Obfervations fur le Commerce des Grains,

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